#38 / Edito

 

Cette semaine la revue K. vous raconte l’histoire de livres qui font l’histoire. Le premier, le plus récent, Vichy et les Juifs a bouleversé l’historiographie des années 80 et progressivement imprimé sa marque sur la mémoire nationale française. Les faussaires de l’histoire à la Zemmour, qui s’emploient à gommer la complicité de Vichy dans la politique d’extermination nazie, ne perdent pas une occasion de rappeler, comme s’il y avait là motif d’illégitimité, l’origine nord-américaine de ses auteurs, les historiens Robert Paxton et Michaël R. Marrus. Mais ce que l’on sait moins, c’est que la commande de ce travail capital fut adressée à Robert Paxton par un éditeur français : Roger Errera. Conseiller d’État, Roger Errera fut aussi le fondateur et directeur, chez Calmann-Lévy, de la grande collection Diaspora. Revenant sur sa vie, Bruno Karsenti en dévoile la tension propre et dresse de Roger Errera un portrait où se dessine le modèle d’une attitude politique exemplaire pour les Juifs de la diaspora après la Shoah. Dans le deuxième texte de cette semaine, c’est Robert Paxton lui-même qui raconte sa rencontre avec Roger Errera, les enjeux de la commande de ce qui allait devenir Vichy et les Juifs et les difficultés rencontrées lors des dix années de travail mouvementées qui allaient permettre sa réalisation.

Plus ancien, le second livre dont il est question cette semaine n’en marque pas moins, lui aussi, une rupture. Avec Daniel Deronda, la grande George Eliot, l’auteure de Middlemarch,  écrit en 1876 un roman qui devient un fleuron de la littérature britannique. Le livre détonne dans la littérature victorienne pour son empathie envers les Juifs et ses sentiments pro-sionistes. Le journaliste Josh Glancy éclaire à travers Deronda l’histoire moderne de l’intégration des Juifs en Angleterre et l’une des voies européennes de la diffusion de l’idéal sioniste.

La collection « Diaspora », fondée par Roger Errera en 1971 aux Éditions Calmann-Lévy, a été décisive. Aux Français non-juifs, elle a ouvert le meilleur accès qui soit au judaïsme. Pour les Juifs eux-mêmes, elle a représenté un appui inestimable pour ressaisir leur situation diasporique après la Shoah. En dessinant le portrait de Roger Errera, Conseiller d’État et Juif français jugeant l’État dans ses dérives possibles, Bruno Karsenti s’efforce de dégager le sens nouveau de cette position diasporique dans l’Europe post-Shoah. Si persévérer en exil est le propre du peuple juif, et que cette condition est modifiée sans être déniée par l’existence de l’État d’Israël, alors c’est une attitude politique singulière qui se dessine.

Il y a quarante ans parut, en français et anglais simultanément, le grand livre d’histoire Vichy et les Juifs, de Michael R. Marrus et Robert O. Paxton. Réédité en 2015, le livre connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, alors que certaines déclarations remettent en cause la responsabilité de la France dans la politique persécutrice à l’égard des Juifs sous l’occupation allemande. En 2015, à l’occasion d’une journée en hommage pour celui qui fut à l’origine de son écriture, Roger Errera, Robert O. Paxton, qui nous autorise aujourd’hui à reproduire ce texte, est revenu sur le difficile processus de production de ce livre qui a si violemment mis à mal le mythe de la France résistante.

Publié en 1876, Daniel Deronda est un roman unique dans l’histoire de la littérature anglaise du XIXe siècle. Élevé dans un foyer aristocratique, Deronda aspire à découvrir ses véritables origines. Qui sont ses vrais parents ? Une rencontre fortuite l’entraîne dans le Londres de Whitechapel et le monde des Juifs britanniques. Une affinité croissante le lie à ce monde, avant de découvrir finalement l’histoire de sa propre naissance. Situé au zénith de l’Angleterre victorienne, le dernier roman de George Eliot témoigne d’une profonde empathie envers les Juifs britanniques, tout en exposant les sympathies pro-sionistes de l’auteur. Comment a-t-elle réussi ce singulier exploit ? Et pourquoi ?

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.