Albert Cohen est mort il y a quarante ans. L’occasion pour K. de rendre hommage à ce romancier hors-norme, auteur d’une somme qui, de Solal en 1930 aux Valeureux en 1969, en passant par Mangeclous (1938) et Belle du seigneur (1968), doit s’appréhender comme une vaste fresque, une unique tempête de lyrisme et de fulgurances narratives où le comique et le tragique s’empoignent dans un jeu virtuose et foisonnant qui place à l’un de ses multiples centres une réflexion unique sur le destin juif. Avant cela, dans le contexte de la montée de l’antisémitisme en France qui poussa des intellectuels juifs à prendre publiquement la parole, Albert Cohen fondait en 1925 La Revue juive dans la Déclaration inaugurale de laquelle (dont nous reproduisons le fac-similé à la suite de l’article de Maxime Decout) il écrit notamment : « Nous regarderons en face les problèmes que ne cesse de secréter l’existence parmi les nations d’un groupement trop original et dont on comprend qu’il puisse être une gêne pour certains. Il y aurait de l’inconvenance à se dissimuler le malaise que cause en certains pays la présence de masses juives parmi des majorités non juives. Qu’il y ait, dans le monde détraqué par la guerre et par la paix précaire, une interrogation juive pressante, nous ne songerons pas à le nier. Nous examinerons sans partialité le problème juif et les raisons des théoriciens de l’antisémitisme. Nous essaierons de juger avec droiture et, tout en nous réservant la faculté de signaler des injustices, nous apporterons des remèdes, nous proposerons des solutions. »
« Un enfant juif rencontre la haine le jour de ses dix ans. J’ai été cet enfant » écrit Albert Cohen dans Ô vous, frères humains. Cette haine n’a pas disparu, elle a muté dans les formes de son expression. Elle peut désormais se présenter sous un jour où l’ambiguïté et la dissimulation sont cultivées comme un art que l’on cultive entre-soi et cherche à déverser dans l’espace public. 20 octobre : aujourd’hui a été rendu le jugement de Cassandre Fristot. Souvenez-vous : cette militante d’extrême-droite qui a eu le bon goût de brandir lors d’une manifestation contre le pass sanitaire une pancarte égrenant plusieurs noms de personnalités supposément juives (Rothschild, Soros, BHL, Attali, Buzyn, etc.) surmontés d’une question (« Mais qui ? ») et du mot « traîtres » en guise de mention centrale. Rudy Reichstadt revient sur la rhétorique d’un antisémitisme qui, pensant ainsi se mettre à l’abri – et notamment des bornes imposées par la loi –, avance masqué. La justice vient donc de se prononcer sur cette technique de camouflage dérisoire qui, paradoxalement, accroit la violence du propos dans son codage même ; et qui nécessite un décryptage coûteux. Le verdict ? Six mois de prison avec sursis.
Le chancelier conservateur autrichien, Sebastian Kurz, vient de démissionner à la suite d’une enquête judiciaire pour détournements de fonds public. Au sein de la population juive de taille très modeste (environ 10.000 personnes), cette démission prolonge d’anciens tiraillements, décrits dans le reportage de Danny Leder paru dans K. en juin dernier et que cette actualité autrichienne nous pousse à remettre à la une. Car, comme le note Danny Leder, si beaucoup de Juifs autrichiens apprécient l’engagement sans fard de Kurz en faveur d’Israël (pendant la guerre avec le Hamas, il a fait hisser le drapeau israélien sur les bâtiments gouvernementaux à Vienne), d’autres voix juives qui s’élevaient contre Kurz dès le début de son règne (quand il gouvernait, dans un premier temps, avec l’extrême droite), se retrouvent à nouveau en première ligne pour dénoncer les multiples infractions à la loi de Kurz et de son entourage.