Les êtres humains sont doués de langage et chaque groupe possède sa langue. Le langage unit, la langue divise. Il y a des langues, donc des divisions de toutes sortes. Comment passe la communication par-delà ces divisons ? Ou pas ?
L’islam est une langue nous explique Anoush Ganjipour, une langue qui permet d’exprimer une vision du monde politiquement ambivalente – comme le laisse entendre dès son titre le livre qu’il vient de faire paraître aux Éditions du Seuil, L’ambivalence politique de l’islam. Pasteur ou Léviathan ? Tant que cette langue de l’islam était pour nous une langue étrangère, nous pouvions en confier la connaissance à nos spécialistes, mais dès lors qu’elle est parlée par un nombre important de locuteurs européens, elle nous concerne au plus haut point. La traductibilité et la compatibilité de la langue de l’islam avec notre langue politique moderne est au cœur de l’entretien qu’Anoush Ganjipour a accordé à K. Plutôt que de nous laisser happer par le vent mauvais qui souffle actuellement sur la France, écoutons plutôt les perspectives inédites que trace l’auteur de L’ambivalence politique de l’islam.
La langue, lorsqu’elle s’actualise, devient parole. Avec la parole affleure la socialisation et la biographie d’un sujet, ce que dévoile au mieux des cas singuliers, lorsque des accents superposés persistent, lorsque des mots venus d’on ne sait quelle strate oubliée surgissent, conférant aux paroles un parfum d’étrangeté. Ainsi, Ruben Honigmann, qui hérite d’une langue allemande attachée à un état de l’Allemagne désormais périmé, une langue allemande-juive que personne ne connait plus ni ne veut connaître, nous raconte sur le ton du témoignage intime comment une langue peut abandonner son locuteur presque unique, le laissant esseulé dans les limbes d’une histoire sans rédemption.
Zemmour encore, parce qu’on n’a pas fini d’en manger et que décomposer le phénomène par tous les bouts possibles s’impose. Nous publions cette semaine une analyse de ce que « assumer » peut bien vouloir dire dans l’imaginaire zemmourien de la France. Signée par Karl Kraus (dédoublement de K. pourquoi pas…) dont le nom est devenu la métonymie de la satire, de l’intervention incisive, de la chronique pulsionnelle mais en même temps raisonnée et raisonneuse, sans oublier de l’attention extrême à l’usage des mots. En l’occurrence, notre petit Karl Kraus à nous — qui ne saurait bien sûr remplacer l’original qui manque si cruellement à notre époque — imagine Zemmour cherchant des arguments pour « assumer » et donc absoudre l’horreur de la violence couvée et couverte par l’Église catholique de France révélée la semaine dernière par le rapport de la CIAISE, lui, le juif disant que « pour devenir français, il faut s’imprégner du catholicisme » et qui n’a pas de problème pour « assumer » et absoudre la participation de la France dans la déportation des Juifs.