#3 / Edito

Après les deux premiers numéros de K., où figuraient des textes d’analyse, un entretien et des reportages, nous avons voulu faire une pause littéraire. Quoiqu’à vrai dire, il ne s’agit pas d’une pause à proprement parler : de manière oblique et avec ses moyens propres, la littérature aussi documente et analyse. La fiction et la poésie, bien sûr, savent voir la réalité et peut-être permettent-elles de fournir un point d’acuité maximale. Pour Avrom Sutzkever, l’immense poète yiddish, l’un des rares rescapés juifs qui purent témoigner lors du procès de Nuremberg, ce point d’acuité est un point limite – « limite du rêve quand le rêve est possible, limite du cauchemar quand celui-ci s’impose » et que l’histoire européenne se déchire, comme Rachel Ertel nous l’explique. Son portrait de Sutzkever nous fait rentrer dans l’intimité de la création d’un homme qu’elle a personnellement connu, accompagnant lors de ses visites à Paris celui qui s’est demandé dans un ses poèmes de 1943 écrit dans le ghetto de Vilnius s’il n’était peut-être pas « le dernier poète d’europe ». Dans son vers, le continent est effectivement traduit en français avec une minuscule. D’ailleurs, comme on peut le voir dans les extraits d’Heures rapiécées, la monumentale anthologie des poèmes en vers et en prose qui paraît ces jours-ci et que les Éditions de l’éclat nous permettent de publier dans K., c’est toute la poésie de Sutzkever que Rachel Ertel traduit sans majuscule. En un autre temps, à une autre heure, la nouvelle de Nathalie Azoulai peut se lire en écho avec la poésie d’Avrom Sutzkever, hantée par la mémoire de l’extermination. Dans sa fiction d’anticipation, c’est l’angoisse de la disparition de cette mémoire que la romancière parvient à nous communiquer.

Régulièrement, nous publierons dans K., comme cette semaine, des traductions inédites et des nouvelles. Mais en attendant, la semaine prochaine dans notre #4, nous reviendrons sur la logique des combats idéologiques, tels qu’ils peuvent se densifier autour de la question des formes contemporaines de l’antisémitisme. En effet, avec la résurgence des actes antisémites violents, au tournant du vingt et unième siècle, la question des manières de les combattre s’est imposée dans le débat public. Prenant conscience de l’importance d’un phénomène que l’on avait longtemps pensé résiduel, des instances internationales, notamment l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), ont souhaité prendre part à la lutte en en proposant une définition. Or, comme on le verra, tout se passe comme si la réalité d’une résurgence de l’antisémitisme devait, dans notre contexte politique, engendrer une dispute sur sa définition même.

On peut voir la silhouette bouleversante d’Avrom Sutzkever dans le film qui, en 1945, enregistre son témoignage au procès de Nuremberg. Il est l’un des rares Juifs qui y témoignera. À la barre, il est présenté comme un rescapé du ghetto de Vilnius, mais il est déjà un grand poète yiddish. Sa traductrice Rachel Ertel fait pour K. le portrait de ce poète immense sur fond de son rapport à l’Europe.

Extraits de « Heures rapiécées, poème en vers et en prose » d’Avrom Sutzkever, monumentale anthologie des poèmes tirés de tous les ouvrages publiés par le poète – né à Smorgon (Biélorussie) en 1913, et mort à Tel Aviv en 2010, âgé de 96 ans – qui vient de paraître aux Editions de l’éclat.

« A l’aube d’un nouveau siècle ou d’un autre millénaire, on ne sait pas, Kate Stevenson trouva sur une plage une grande boîte en fer blanc. Était-elle partie explorer les rives de la Baltique, de la Caspienne ou de l’Adriatique, l’histoire ne le dit pas. Peut-être se promenait-elle tout simplement sur une plage des Cornouailles, à quelques miles de chez elle. » >>>

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Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

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