# 23 / Edito

Résolument européenne, K. n’en a pas moins été initiée en France et sans doute cette origine ne doit-elle rien au hasard. La France, on le sait, compte le contingent juif le plus important d’Europe. Cette population se caractérise par sa très grande hétérogénéité : héritiers de vieilles familles israélites, descendants d’immigrés ashkénazes du XXème siècle, enfants et petits-enfants de séfarades… Les histoires divergent autant que varie l’importance de la part juive dans l’identité de chacun. En même temps qu’ils sont les plus nombreux, les juifs Français offrent sans doute l’une des images les plus riches de conséquences de l’histoire éclatée du judaïsme depuis l’époque moderne. Mais toutes ces trajectoires, au-delà de leur variété, ont en commun de venir se couler dans une histoire : celle de la relation entre la France et les Juifs. Depuis deux siècles, Tsarfat n’est pas une nation comme les autres. À l’avant-garde de l’égalité mais précocement confrontée à l’antisémitisme dans sa forme moderne, la France est le pays de l’émancipation révolutionnaire, à propos de laquelle nous republions la table-ronde que nous lui avions consacrée au printemps dernier, mais aussi de l’Affaire Dreyfus, sur laquelle revient aujourd’hui Boris Czerny à travers un texte inédit consacré à la vie de l’un de ses protagonistes, Salomon Reinach. Mais ce n’est pas que dans l’histoire que la France imprime sa marque sur le destin des Juifs, c’est surtout au présent. En cette fin d’un été marqué par des manifestations où instrumentalisation de la Shoah et complotisme antisémite désinhibé se sont abondamment exprimés, le présent des Juifs de France prend à nouveau des airs d’épreuve. Épreuve qui vaudra pour son avenir propre autant que pour l’avenir du judaïsme européen. Mais épreuve qui vaut aussi — c’est ce que Bruno Karsenti nous explique dans « Heur et malheur des juifs de France » que nous publions cette semaine — pour la France elle-même : parce qu’à travers le sort qu’y connaissent les Juifs, c’est la spécificité de ce pays parmi les nations qui est en jeu.

À travers la promesse de liberté et d’égalité formulée pour chaque Juif par les révolutionnaires, c’est aussi une certaine modalité de l’existence politique moderne que la France a voulu défendre et incarner. Les épreuves qu’affrontent les Juifs français aujourd’hui rappellent donc la France à elle-même et interrogent chacun : souhaitons-nous persévérer dans la défense d’un idéal qui distingua la France parmi les nations ?

Surnommés les frères Je Sais Tout, Joseph, Salomon et Théodore Reinach représentent à la fois l’excellence académique et l’assimilation exacerbée des juifs français au tournant du XXème siècle. Le cadet Salomon notamment, à travers sa défense d’un franco-judaïsme libéral modernisé ou son opposition au sionisme, a incarné la pointe la plus assimilée de l’israélitisme…

À travers quatre discours, se donnent à voir les débats qui agitèrent la France révolutionnaire à l’hiver 1789 lorsqu’elle décida de se pencher sur le cas des Juifs. La question qui préoccupe alors l’Assemblée est simple : les Juifs peuvent-ils être des citoyens comme les autres ? « Oui ! » répondent Clermont-Tonnerre et l’Abbé Grégoire. « Pas encore » nuance le Prince de Broglie. « Jamais » affirme Monseigneur de la Fare…

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Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.