#20 / Édito

Nous avions déjà publié dans K., le 10 mai dernier, un article de Rudy Reichstadt sur le détournement de l’étoile jaune. Depuis, la logique absurde qui sous-tend l’usage de cette comparaison n’a cessé de se formuler. Les manifestations antivax et contre le « pass sanitaire » où fleurissent la référence au marquage par les nazis des Juifs, signe funeste de leur extermination programmée, sont devenues le mouvement social de l’été, en France comme en Europe. Qu’il y ait de l’antisémitisme au fond de ce geste de détournement protestataire, on le ressent confusément – quand bien même il serait parfois exprimé avec une certaine forme d’innocence. Qu’il soit sous-tendu par une forme particulière de sottise, qui est d’ailleurs souvent le propre de l’innocence, on le soupçonne également. On se remet donc pavlovement à parler pédagogie, apprentissage de l’histoire, sans toujours bien percevoir que l’étoile jaune comme slogan terminal pour dire la colère antisystème ne relève pas que d’une pratique d’illettrés qui se sentent empêchés de manifester leur liberté.

Giorgio Agamben, philosophe de « l’état d’exception », de « la vie nue » et qui s’est autrefois demandé Ce qu’il reste d’Auschwitz, lui qui affirmait il y a un an que la pandémie était une « invention », n’est pas un ignorant. La référence à la Shoah est même une clé du savoir qu’il entend professer sur « le contemporain » au sein duquel il faudrait savoir percevoir selon lui la persistance d’une logique « despotique ». Un homme politique qui prône la vaccination de manière un peu musclée « ne se rend[-il] par compte qu’il utilise un jargon fasciste [et que] le certificat vert [nom du « pass sanitaire » en Italie] fait de ceux qui n’en ont pas les porteurs d’une étoile jaune virtuelle.[1] » ? La dictature et le fascisme étant aujourd’hui des réalités dont « on ne se rend pas compte », l’étoile jaune est donc brandie comme la lumière censée révéler la vérité post-nazie logée au cœur inconscient de notre réalité.

Piquée par ce climat, Julia Christ rompt notre programme de reprise estival et revient cette semaine sur le retour des étoiles jaunes.  Et pour elle, loin d’Agamben, ce n’est pas l’arrière-garde « antisystème » de la société qui s’exprime par le geste de détournement, mais bien au contraire une sorte d’avant-garde hyper individualiste et ultralibérale.

Mais notre programme de reprise n’est pas totalement abandonné : K. remet à la une le podcast et l’entretien avec Joann Sfar, où il témoignait de sa « terreur de la disparition d’une vie culturelle et intellectuelle juive européenne »; ainsi que la conversation entre Jean Marc Liling et l’historienne Diana Pinto, pour qui « les Juifs d’Europe doivent réexaminer les moments où leurs rencontres avec le monde extérieur ont été positives ainsi que leur vieille passion pour les valeurs universelles ».

Notes

1 “Che il vaccino si trasformi così in una sorta di simbolo politico-religioso volto a creare una discriminazione fra i cittadini è evidente nella dichiarazione irresponsabile di un uomo politico, che, riferendosi a coloro che non si vaccinano, ha detto, senza accorgersi di usare un gergo fascista: “li purgheremo con il green pass”. La “tessera verde” costituisce coloro che ne sono privi in portatori di una stella gialla virtuale.”, in “Cittadini di seconda classe”, Qodlibet, 16 juillet 2021 [« Le fait que le vaccin soit ainsi transformé en une sorte de symbole politico-religieux visant à créer une discrimination entre les citoyens est évident dans la déclaration irresponsable d’un homme politique qui, se référant à ceux qui ne se font pas vacciner, a dit, sans se rendre compte qu’il utilisait un jargon fasciste : « nous allons nous en débarrasser avec le certificat vert ». Le « certificat vert » fait de ceux qui n’en disposent pas des porteurs virtuels de l’étoile jaune.»]

Les manifestations antivax et contre le passe sanitaire où fleurissent les étoiles jaunes sont le mouvement social de l’été, en France comme en Europe. Pour Julia Christ, ce n’est pas l’arrière-garde « antisystème » de la société qui s’exprime par le geste de détournement de ce symbole historique mais bien au contraire une sorte d’avant-garde hyper-individualiste et ultralibérale.

A l’occasion de notre premier PodKast, rencontre avec Joann Sfar, qui nous devait bien quelques explications concernant le titre de son dernier roman : « Le dernier juif d’Europe ».

« Les Juifs d’Europe doivent réexaminer les moments où leurs rencontres avec le monde extérieur ont été positives ainsi que leur vieille passion pour les valeurs universelles. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.