Les échos de la réactivation actuelle du conflit israélo-palestinien dans le débat public des sociétés occidentales nous obligent à réinterroger une vieille question : celle de la différence, mais aussi de l’articulation, entre racisme et antisémitisme. C’est particulièrement clair en ce qui concerne la question qui se pose, ou devrait se poser, à la gauche : comment intégrer la possibilité manifeste que des « dominés », des « racisés » puissent être antisémites ? On connaît les explications culturalistes, voire essentialisantes, qui circulent à la droite de l’échiquier politique. La gauche, quand elle ne nie pas le fait embarrassant, se réfugie trop souvent dans des explications psychologisantes (notamment par le recours à l’idée d’un trop compréhensible ressentiment à l’égard des « dominants ») qui évacuent la spécificité politique de l’antisémitisme moderne. Dans son texte — « Racisme et modernité politique », réflexions à partir Race et histoire dans les sociétés occidentales (XVe-XVIIIe siècle) de Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani (qui avaient été récemment interviewés dans K.) –, Cyril Lemieux nous propose les outils conceptuels pour éviter ces écueils et produire un diagnostic authentiquement sociologique de la situation. Il distingue la logique du racisme de classe de celle du racisme égalitariste, dont les racines chrétiennes servent de matrice à l’antisémitisme moderne. Ainsi est rendue intelligible, et donc ouverte à une critique formulée depuis un idéal d’émancipation collective, la possibilité qu’une aspiration égalitariste se retourne en une position réactionnaire.
Nous nous sommes attachés, dans K., à décrire le bouleversement existentiel qu’avaient impliqué, pour Israël, les massacres du 7 octobre : la remise en question de sa capacité à mettre les Juifs à l’abri du pogrom. Mais le contrecoup de l’événement vient interroger une autre dimension de la société israélienne : le fait que des Arabes y coexistent en tant qu’Israéliens, et doivent continuer d’y coexister. Le texte de Mouna Maroun publié cette semaine, « Je suis une Arabe israélienne. Le Hamas ne me représente pas », témoigne de l’acuité de cette problématique, et de la manière dont elle est vécue au niveau subjectif. Mouna Maroun y partage en effet l’embarras qu’elle peut ressentir lorsqu’on lui demande si elle condamne le Hamas, et la crainte que les conséquences du 7 octobre affectent durablement le processus d’intégration de la population arabe. Mais son témoignage résonne aussi de l’espoir de ceux qui savent à quel point la vie des deux communautés est intriquée, jusque dans l’expérience de l’horreur : « Le Hamas n’a fait aucune distinction entre les Juifs et les Arabes ; pour le Hamas, ils étaient tous Israéliens ».