# 136 / Edito

Le film The Boy raconte l’histoire d’Avinoam et Barak, un père et son fils vivant dans le Kibboutz Kfar Aza, à la frontière de la bande de Gaza, alors qu’ils sont confrontés à une énième salve de tirs de roquettes. Son réalisateur de 36 ans, Yahav Winner, a été assassiné par les tueurs du Hamas dans sa maison dans ce même Kibboutz le 7 octobre 2023. Ady Walter, réalisateur de Shttlque nous avons interviewé dans un précédent numéro de K. – se réjouissait de le rencontrer en novembre prochain au festival du film juif de Hong Kong.  Leurs films respectifs seront projetés lors d’une même séance. Ady Walter nous a communiqué le récit d’une rencontre imaginaire avec Yahav Winner lors de ce festival. Ce récit sert ici d’introduction à un petit texte que ce dernier a laissé, qu’il avait rédigé précisément pour présenter son film. Le réalisateur y exprime comment, du point de vue d’un Israélien pour qui la question palestinienne se pose avec légitimité et acuité, un « conflit constant existe en vous lorsque vous regardez par-dessus la clôture ce qui se passe à Gaza ».

Il y a trois semaines, en écho à la sortie en salle du film Le procès Goldman, de Cédric Kahn, nous avons publié un article de Gérard Bensussan qui insistait sur ce que la revendication par Pierre Goldman de sa judéité avait de singulier dans le contexte de la gauche révolutionnaire des années 70, déjà minée politiquement par un antisionisme systématique à la suite de la guerre des Six Jours. L’histoire de Pierre Goldman fut en partie l’expression douloureuse et violente d’une métabolisation de la blessure incommensurable de la Shoah, mais aussi de la résistance au nazisme incarnée par ses parents polonais, juifs et communistes. Nous publions aujourd’hui un manuscrit inédit de Pierre Goldman, que nous a transmis son fils Manuel Goldman. Il dépeint en quelques lignes intenses le lien viscéral et historique qui unissait aux yeux de Pierre Goldman la question juive à Israël. « Israël est un endroit de la diaspora, de l’exil », écrit-il en 1974. La proposition n’est pas contradictoire, en ce qu’elle révèle le prolongement de la condition minoritaire qui reste éprouvée par les Juifs lors de leur exil sur la terre d’Israël elle-même. Mais elle indique aussi, en filigrane, le fourvoiement de la gauche lorsque, faisant l’impasse sur la cause des juifs et de leur autonomie politique, elle voit en eux un obstacle dans la poursuite de sa lutte contre les structures de la domination.

Sergey Lagodinsky est un avocat, journaliste et homme politique allemand (Les Verts ) d’origine juive russe, membre du Parlement européen depuis 2019. Il fut l’un des responsables de la Fondation Heinrich Böll qui soutient notre revue depuis sa naissance[1]. Au lendemain des attaques du Hamas, il a publié une tribune dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, « Nous avons tous été attaqués », que nous sommes heureux d’avoir pu traduire pour nos lecteurs français[2]. Sergey Lagodinsky y évoque son départ de Russie et son arrivée en Allemagne où « [il vit] un rêve juif depuis trente ans ». Rêve qui risque d’être ébranlé ? Son texte, qui dessine l’image de l’Europe qu’il désire, s’émeut de l’indifférence et du silence, des complaisances et de la volonté d’oublier le passé, et par-dessus tout du refus affiché par certains de condamner la terreur. « Cette combinaison de violence et d’absence de prise de position face à cette violence est le mélange mortel de notre époque. Pour nous, les personnes concernées, cela suscite le sentiment que, le cas échéant, personne ne se précipitera pour nous venir en aide ; pire encore, que l’attaque que nous subirons sera bientôt transfigurée en attaque justifiée, voire légitime. Cette combinaison est l’explosif qui ébranle les rêves et détruit l’avenir. Et ce ne sont pas seulement les juifs qui sont touchés, mais tous ceux qui osent rêver de démocratie et de réflexivité. »

Notes

1 Le 7 novembre prochain, la Fondation Heinrich Boll et K. organisent une soirée au mahJ : « Guerre en Ukraine. Identités juives bouleversées ». Sergey Lagodinsky y sera présent parmi nos invités à distance, en vidéo. Il est déjà possible de s’inscrire à la soirée sur le site du mahJ : ICI.
2  »Wir wurden alle angegriffen« , FAZ, 12 octobre 2023

Ady Walter se rendra au festival de cinéma de Hong Kong en novembre prochain pour y présenter ‘Shttl’. Lors de la même séance, sera projeté ‘The Boy’ dont l’action se situe dans le Kibboutz de Kfar Aza où son réalisateur Yahav Winner a passé sa vie. Et où il est mort le 7 octobre. En lisant le texte que celui-ci a rédigé pour présenter son film – et que nous introduit Ady Walter –, on comprendra que ce sont aussi des personnes concernées par la misère de Gaza et qui veulent la relance du processus de paix, que le Hamas a massacrées.

Dans un court texte de juin 1974, Pierre Goldman décrit la nature de sa relation à Israël — attachement fondamental, mais dénué d’illusion. Tiré de sa correspondance avec Wladimir Rabinovitch (Rabi), ces quelques lignes inédites sont rendues publiques pour la première fois grâce à son fils, Manuel Goldman.

Sergey Lagodinsky est un homme politique allemand (Les Verts) d’origine juive russe, membre du Parlement européen depuis 2019. « Nous avons tous été attaqués » est paru quelques jours après les attaques du Hamas dans le ‘Frankfurter Allgemeine Zeitung’. Il y témoigne de son inquiétude quand, face aux « terroristes [qui] détruisent des corps humains », il voit, au cœur de l’Europe démocratique, « les voisins indifférents, les silencieux discrets, les relativistes froids et tous ceux, nombreux, qui sont trop bien confortablement installés là où ils sont pour affronter sérieusement la nouvelle réalité. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.