Le philosophe allemand Jürgen Habermas a récemment célébré son quatre-vingt quatorzième anniversaire. Profitant de l’occasion, Bruno Karsenti s’attarde, dans un article qui est aussi un hommage, sur une œuvre qui est, comme il l’écrit, le socle le plus robuste de la « construction européenne » en tant que porteuse de l’universel. Une œuvre allemande et européenne à la fois, ou allemande puis européenne. Car Jürgen Habermas a le premier compris que c’est uniquement en commençant par regarder en face le crime et la culpabilité allemande qu’on pouvait, comme il l’a fait, relancer un projet politique européen. Mais Jürgen Habermas ne s’en est pas tenu à cet impératif. En s’attardant sur certains de ses textes négligés, Bruno Karsenti montre aussi que le propre de Jürgen Habermas ne fut pas seulement de ne jamais détourner les yeux de l’unicité du crime – y compris quand certains de ses collègues commençaient à en défendre la nécessité – mais aussi de rappeler l’apport proprement juif à la philosophie allemande. Un apport que détaille ici Bruno Karsenti pour en restituer l’importance, pour les Européens d’aujourd’hui assurément, mais aussi pour les Juifs qui se sont éloignés de l’Europe.
C’est aussi de traces juives en Europe dont il est question dans le deuxième texte de ce numéro. De traces matérielles cette fois, qu’un regard attentif peut dénicher en se baladant dans certaines rues de l’île de Rhodes, l’une des extrémités méridionales du continent. Peu de regards sont plus affutés que celui de Dario Miccoli, spécialiste de l’histoire des Juifs des pays de la Méditerranée, dont ceux de Rhode – les Rhodeslis – dont la quasi-totalité furent exterminés par les nazis. Et pourtant, malgré leur disparition, Dario Miccoli s’interroge dans ce texte sur l’actualité de leur histoire, sur son pouvoir d’évocation et d’inspiration dans une île aujourd’hui écartelée entre le tourisme de masse et l’accueil des réfugiés.
Enfin, nous republions le texte du journaliste Anshel Pfeffer qui nous révèle quelques-uns des grands mouvements souterrains du monde méconnu de l’orthodoxie. Depuis quelques années, en effet, des jeunes familles orthodoxes quittent Londres pour la petite île de Canvey Island où les prix de l’immobilier leur permettent de s’installer. Ainsi est née la communauté de Kehile Kedoshe, qui semble s’intégrer parfaitement aux côtés d’une population autochtone tory et pro-Brexit vieillissante : « Vous avez enfin apporté de la diversité à Canvey » a pu entendre M. Friedman, un des dirigeants du groupe. Initialement parue dans la revue américaine Sapir, cette carte postale britannique a quelque chose de dépaysant autant que de touchant.