Fictions

« Il avait alors un peu moins de cinq ans, mais comme il venait de passer six mois caché dans la singerie du zoo d’Amsterdam, cela ne l’avait ni surpris, ni même effrayé : ‘Le singe est venu nous apporter le repas, ça, c’était on ne peut plus normal.’ Ce qui n’était pas habituel, au point de nous mettre dans tous nos états… Ça, il le dit juste à ce moment-là : ‘Ce qui n’était pas habituel, au point de nous mettre dans tous nos états, c’est que le chimpanzé Kocheeba nous avait aussi apporté un livre. Il a posé la gamelle devant nous et s’est mis à bafouiller.’ »

« Devant le comité central du PCUS, Souslov présente un rapport sur les menées sionistes, affirmant que le gouvernement de Vienne n’a pas renoncé à établir un Judenreich dans l’empire des Habsbourg. Il en veut pour preuve la guerre des Six Jours qu’il soupçonne de préparer la reprise de la Slovénie, de la Bohème, de la Slovaquie et de la Hongrie. Les événements de Varsovie et de Prague ont été provoqués par des éléments sionistes aux ordres de Vienne ».

« La guerre de 1953 s’est soldée par une victoire militaire, mais aucun traité ne reconnaît l’occupation par l’État juif de la bande de sécurité longeant les frontières avec la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Une ligne continue de barbelés sépare les deux pays communistes de la République du Peuple juif. Des canonnières barrent toujours le Danube, interdisant tout accès fluvial à Bratislava. La Tchécoslovaquie et la Hongrie ne délivrent plus de visas aux ressortissants de la République du Peuple juif. Le silence enveloppe le vieux quartier juif de Prague, il n’y a plus de pèlerins sur la tombe du Maharal ni de fleurs devant la maison de Kafka. »

« Après le discours de Staline et les arrestations de Prague et de Moscou, le gouvernement juif de Vienne place ses forces armées en état d’alerte. Abba Eban, délégué du gouvernement auprès des Alliés, parcourt inlassablement les capitales occidentales pour obtenir des armes et du matériel militaire. »

« David Ben Gourion, chef du Conseil provisoire prend enfin la parole : ‘L’idée de l’État des Juifs est née ici même à Vienne. La ville où Theodor Herzl a fondé le sionisme devient aujourd’hui la capitale du premier État juif souverain depuis la destruction du royaume de Judée. Je proclame donc l’indépendance de la République danubienne du peuple juif. Ce peuple étant désigné dans sa langue historique comme celui d’Israël, nous proclamons solennellement ici l’indépendance d’Israël !’ ».

« A la fin de 1947, l’Agence juive estime le nombre de Juifs vivant dans le Judenstaat à trois millions. Les troupes soviétiques se sont retirées, comme convenu, à mesure des transferts de population. Ne reste plus, au début de mai 1948, qu’une poignée de régiments stationnés dans la périphérie de Vienne. Le maréchal Koniev assure leur commandement et a suspendu le retrait le 25 février afin d’être en mesure d’apporter si nécessaire ‘une aide fraternelle’ aux communistes qui viennent de s’emparer du pouvoir à Prague. »

« On parvient sans grand mal à trouver des rabbins pour balayer, à grand renfort de citations talmudiques, les objections des traditionalistes attachés à la terre ancestrale. Max Brod se charge de convaincre les intellectuels de Tel-Aviv réunis pour la circonstance dans la salle du théâtre Habima. Retrouver Vienne, comme à l’époque où il arpentait le Graben en compagnie de Franz Kafka, son compagnon de virée, c’est inespéré ! Surtout si les dirigeants de l’Agence juive s’engagent à placer la reconstruction du Burgtheater et de l’Opéra au rang des priorités, en plus de la réouverture des cafés. »

«  — Le sionisme en tant qu’idée vient de Vienne. C’est un journaliste autrichien, Theodor Herzl, qui l’a lancée. C’est pourquoi, avec l’accord de notre grand camarade Staline, je suis venu vous proposer de donner l’Autriche aux Juifs pour y bâtir leur État.
— Mais, s’offusque Churchill, que ferez-vous des Autrichiens ?
— Ça n’a guère d’importance, ricane Beria… Les nazis d’Autriche iront en Allemagne comme tous les autres… sur la parcelle de territoire que nous voudrons bien laisser à ces chiens d’Allemands. Hitler est autrichien, vous n’allez pas avoir pitié de ses semblables… »

« Nous aurons été comme des rêveurs » a été publiée pour la première fois en yiddish dans le magazine new yorkais Afn Shvel. Il constitue le prologue d’un roman en yiddish que l’auteur, Ber Kotlerman, professeur de langue et littérature yiddish à l’université de Bar-Ilan — né à Irkoutsk en 1971 et qui à grandi au Birobidjan, la « region autonome juive » fondée en 1934 en URSS — publiera bientôt chez l’éditeur suédois Olniansky Tekst.

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