Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán se distingue par son opposition systématique aux valeurs et politiques dominantes de l’UE. Comment s’étonner alors que, depuis le 7 octobre, il n’ait fait qu’intensifier son soutien à l’État israélien, n’hésitant pas à qualifier d’antisémite la moindre critique émanant de ses partenaires européens ? János Gadó — dans le cadre de notre série conçue en partenariat avec la DILCRAH sur l’antisémitisme en Europe — analyse ici avec lucidité les paradoxes d’un gouvernement qui, tout en voulant se faire passer pour l’ami des juifs, trafique la mémoire de la Shoah et recycle les tropes antisémites les plus éculés.
I. Des faits contradictoires
La situation est mauvaise parce que la démocratie est en déclin ; la sphère publique est dominée par les médias gouvernementaux, qui vomissent constamment des visions d’ennemis et de malveillance anti-hongroise, George Soros, le milliardaire juif d’origine hongroise, apparaissant régulièrement comme le manipulateur ultime[1]. Dans le même temps, les médias gouvernementaux font preuve de prudence en ne mentionnant pas directement les juifs, que ce soit de manière explicite ou implicite. Ces médias nient également avec véhémence que l’origine juive de Soros soit à l’origine de la campagne dont il fait l’objet[2].
Les mots « progressiste » et « progrès » sont couramment tournés en dérision dans les médias inféodés au gouvernement. Le Premier ministre Viktor Orbán a déclaré dans son dernier discours national que « de nos jours, le progrès signifie trois choses : l’immigration, les LGBTQ et la guerre »[3]. En ce qui concerne l’immigration, il avait précédemment déclaré que les Hongrois voulaient vivre dans la communauté des nations d’Europe centrale et ne souhaitaient pas devenir une « race mixte ». Suite au tollé international suscité par ces propos, il avait clarifié sa pensée en expliquant qu’il ne parlait pas de métissage au sens biologique du terme, bien entendu.
Le bastion de ce progrès maudit est « Bruxelles » élevée au rang d’ennemi mythologique. Dans ses discours, prononcés à l’occasion des fêtes nationales, Orbán revient régulièrement sur la même vision, celle d’une nation hongroise poursuivant un combat pour la liberté contre ses oppresseurs bruxellois. Un exemple : « Dans l’Europe d’aujourd’hui, il est interdit de dire la vérité… Il est interdit de dire qu’à Bruxelles on complote pour faire venir et installer des étrangers le plus vite possible ». Parfois, le ton est encore plus dur : « Nous résisterons fermement aux efforts déployés par Georges Soros pour nuire à la Hongrie et à ses intérêts. C’est notre patrie, notre foyer, et nous n’en avons pas d’autres. Nous la défendrons donc jusqu’au bout, sans jamais capituler.[…] Nous devons affronter un adversaire très différent de nous. Ses visages sont masqués, ses méthodes sont sournoises et déloyales. Ce n’est pas une force nationale, mais internationale, motivée non par le travail honnête, mais par la spéculation financière. Sans attaches particulières, elle se considère comme propriétaire du monde entier. Dénuée de générosité, elle est vindicative et vise directement le cœur surtout si celui-ci est rouge, blanc et vert ».
Le juif mythologique ne pourrait être décrit en des termes plus éloquents.
La nation hongroise est contrainte à une lutte incessante contre ses ennemis, laquelle est abondamment relatée au jour le jour dans les médias contrôlés par le gouvernement. Mais les juifs ne comptent pas au nombre de ces ennemis ; du moins, pas officiellement.
Le gouvernement a une vision du monde fondée sur les griefs de la nation hongroise (magyare), il est archi-conservateur et ignore la notion même d’introspection. La période historique qui s’en rapproche le plus dans l’esprit est le régime de Horthy, qui a sévi entre les deux guerres. Ledit régime — en accord avec l’esprit de l’époque — fut semi-officiellement antisémite jusqu’en 1938 et le devint officiellement par la suite avec l’adoption d’une législation antijuive inspirée par les nazis.
Le gouvernement actuel n’adhère pas à l’antisémitisme ouvert du régime Horthy, mais au nationalisme religieux réactionnaire de ce dernier. Il n’est pas surprenant de lire dans la presse gouvernementale hongroise un article appelant à une « évaluation équitable » de Miklós Horthy[4]. En pratique, cela ne signifie qu’une chose : exonérer l’intéressé de sa responsabilité dans la déportation de 435 000 juifs hongrois à Auschwitz (puisqu’il était régent de Hongrie à l’époque des faits, en 1944). Même les dirigeants juifs les plus favorables à Orban ont protesté contre ces tentatives.
La nation hongroise est contrainte à une lutte incessante contre ses ennemis, laquelle est abondamment relatée au jour le jour dans les médias contrôlés par le gouvernement. Mais les juifs ne comptent pas au nombre de ces ennemis ; du moins, pas officiellement. Entre-temps, les postes influents dans la presse gouvernementale sont souvent occupés par d’anciens journalistes d’extrême droite, qui s’abstiennent pour l’instant de vilipender les juifs.
Zsolt Bayer, l’heureux détenteur de la carte de membre numéro 5 du parti au pouvoir, en est un bon exemple : ses nombreuses saillies profondément antisémites et racistes sont accessibles sur Internet. Bayer, qui continue d’attaquer les ennemis du gouvernement dans son style vulgaire habituel, a pourtant appris, depuis un certain nombre d’années, à rester muet sur les juifs.
Le cas d’István Csurka est un autre exemple frappant. Dramaturge populaire, prisé par le régime de Kádár, Csurka est devenu un prophète de l’antisémitisme dès 1989 — aux prémices du changement de régime — et a continué là où ses peu glorieux prédécesseurs s’étaient arrêtés en 1945. Jusqu’à sa mort (2012), Csurka n’a cessé de se mobiliser contre la conspiration libéro-bolchévique mondiale menaçant la Hongrie. On peut à juste titre lui décerner le titre de champion de l’antisémitisme hongrois d’après 1989.
Aujourd’hui, certains journalistes éminents de l’organe officieux du gouvernement — le quotidien Magyar Nemzet — se font les champions de Csurka[5], affirmant que ses prophéties sur les ennemis de la Hongrie se sont toutes réalisées. De toute évidence, la paranoïa débridée de ce triste sire leur plaît. En attendant, ils préfèrent ignorer que, dans la vision de Csurka, les juifs étaient la source du mal absolu. La citation suivante de Csurka est éloquente. Elle est tirée d’un discours diffusé par la radio hongroise en janvier 1990, lequel est toujours considéré comme le principal manifeste de l’antisémitisme d’après 1989 : « Tant qu’une infime minorité pourra faire croire à l’ensemble de la société que seule sa vérité est la vérité, […], il n’y a aucune chance que les grandes masses populaires hongroises se sentent chez elles dans leur propre patrie. Réveillez-vous, Hongrois ! On vous trompe à nouveau ! La révolution des Asters[6] est terminée. C’est maintenant l’ère des Béla Kun<footnote>Béla Kun, dirigeant de la République des Conseils de Hongrie de 1919, un archétype du « Juif communiste » dans les esprits antisémites.</footnote>, même si les descendants des Lenin Boys[7] prétendent critiquer Lénine ». Voilà le genre de texte qui est salué dans le Magyar Nemzet comme une prophétie accomplie, en prenant bien soin d’ignorer le message antisémite évident qu’il véhicule.
À cette équivoque entretenue sur la question de l’antisémitisme répond un certain parti pris en faveur d’Israël. Si l’on examine les reportages de Magyar Nemzet — ou d’autres médias nettement favorables au gouvernement — sur la guerre à Gaza, on s’aperçoit qu’ils sont pour la plupart modérés, et en tout cas sans attitudes anti-israéliennes manifestes ou implicites. En fait, dans la sphère publique, dominée par les médias gouvernementaux, les victimes palestiniennes de l’oppression israélienne, si fréquemment mentionnées dans les grands médias occidentaux, sont très rarement mises en avant. C’est que, dans la vision ultraconservatrice et nationaliste du gouvernement hongrois, les groupes religieux musulmans sont considérés comme une source de danger. Les Palestiniens entrant dans cette catégorie, la presse officielle hongroise reste insensible aux sentiments pro-palestiniens et anti-israéliens véhiculés au nom des droits de l’homme.
La critique d’Israël au nom du respect des droits humains, venant de la gauche, est invariablement dénoncée comme de l’antisémitisme déguisé par les médias proches du pouvoir, lesquels trouvent ainsi un moyen facile de renvoyer l’accusation d’antisémitisme.
La tonalité anti-israélienne reste donc cantonnée aux médias d’opposition, et surtout susceptible d’apparaître sur des sites Web indépendants du gouvernement, où les mots « Israël » et « génocide » sont facilement confondus. Il faut noter que seules les franges les plus extrêmes de la gauche et de la droite radicales, qui n’ont qu’une importance marginale, se distinguent par une position anti-israélienne agressive. Il est cependant habituel pour la ligne éditoriale de nombreux médias d’opposition d’accuser Israël de détruire systématiquement les hôpitaux de Gaza, ou de balayer les arguments israéliens en se référant au Washington Post. Lorsqu’elle traite d’Israël, la presse d’opposition utilise principalement les grands médias occidentaux comme source d’information.
De fait, la critique d’Israël au nom du respect des droits humains, venant de la gauche, est invariablement dénoncée comme de l’antisémitisme déguisé par les médias proches du pouvoir, lesquels trouvent ainsi un moyen facile de renvoyer l’accusation d’antisémitisme. Le Premier ministre Viktor Orbán a ainsi déclaré publiquement à plusieurs reprises qu’« il n’y a aucune tolérance pour l’antisémitisme en Hongrie ». Cette tendance, perceptible depuis des années, n’a pas évolué après le 7 octobre : les médias de droite, dominés par le gouvernement, ne sont pas réceptifs aux accusations de « génocide palestinien » et autres allégations du même ordre. Le paradoxe étant bien sûr que la presse hongroise de droite s’est longtemps distinguée par son antisémitisme et son antisionisme, de sorte que son changement de ton correspond manifestement à une stratégie du gouvernement.
De temps à autre, le Premier ministre ou ses proches collaborateurs sont vus en compagnie de juifs manifestement orthodoxes. Les festivals culturels juifs se succèdent sans incident. Les projets importants des communautés juives bénéficient d’un soutien substantiel de l’État, dans le cadre d’une « renaissance » religieuse fortement encouragée par le gouvernement. La communauté juive préférée du gouvernement, la Congrégation israélite unie de Hongrie (l’aile hongroise du mouvement Chabad Loubavitch, EMIH selon son acronyme hongrois), dirigée par le rabbin Slomó Köves, reçoit des aides publiques particulièrement généreuses. Celles-ci se comptent en dizaines de millions de dollars et permettent un développement spectaculaire des infrastructures de la congrégation.
La Hongrie, sous le gouvernement Orbán, est devenue le premier partenaire politique d’Israël dans l’Union européenne. Tant au sein de l’UE que de l’ONU et d’autres forums internationaux, Budapest a refusé à plusieurs reprises de voter en faveur de résolutions condamnant Israël, au mépris de la politique commune adoptée par Bruxelles, une attitude qui s’est même renforcée après le 7 octobre. La politique pro-israélienne va si loin que les manifestations pro-palestiniennes sont pratiquement prohibées en Hongrie, au motif qu’il est interdit de « soutenir le terrorisme ». Ce soutien imperturbable à Israël doit être pensé dans la continuité de la politique internationale du gouvernement Orbán, qui l’oppose au courant dominant de l’UE. Budapest entretient notamment des relations politiques et économiques intenses avec des dirigeants autoritaires non européens, comme Poutine, Xin Chi Ping ou le Conseil des États turciques.
Le gouvernement souhaite raconter l’histoire de la Shoah en Hongrie sous un angle universel, mettant l’accent sur la responsabilité humaine dans son ensemble, et minimisant le rôle et la responsabilité spécifiques des autorités et de la société hongroises.
Cette politique a conduit à la formation d’un nouveau groupe au Parlement européen, les Patriotes pour l’Europe, qui est une alliance de partis de la droite radicale. Plusieurs de ces partis ont un passé antisémite, qu’ils rejettent aujourd’hui et compensent par une position favorable à Israël. À sa manière, le gouvernement est très attaché à la mémoire de la Shoah. Il a dépensé près de 10 milliards de forints (28 millions USD) pour la création d’une nouvelle institution chargée de perpétuer le souvenir de la Shoah. Cette « Maison des Destins » était censée raconter l’histoire de la Shoah en Hongrie sous un angle universel, mettant l’accent sur la responsabilité humaine dans son ensemble. Cette approche aurait évidemment eu pour effet de minimiser le rôle et la responsabilité spécifiques des autorités et de la société hongroises dans les persécutions et la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette tentative a échoué et l’énorme chantier est resté inachevé. La raison en est qu’il ne s’est trouvé, en Hongrie ou à l’étranger, aucun historien jouissant de la réputation professionnelle requise pour prêter son concours au projet.
Le gouvernement a également dépensé des milliards de forints pour acheter l’héritage du seul écrivain hongrois lauréat du prix Nobel, Imre Kertész, et créer un institut chargé de le gérer. L’intention était probablement la même que dans le cas de la Maison des Destins : puisque l’œuvre de Kertész est centrée sur la Shoah, le gouvernement souhaitait en fait influencer la manière dont le souvenir de cet événement est entretenu en Hongrie.
De manière générale, avec le soutien tacite du gouvernement, une certaine tradition de commémoration du souvenir de la Shoah s’est instaurée au cours des vingt dernières années, tant au niveau national que local. Le jour de la commémoration, la communauté juive (là où elle existe encore) et les représentants de l’État (ou des municipalités) se réunissent pour honorer la mémoire des juifs déportés et assassinés en 1944. Ils soulignent le rôle décisif des juifs dans le développement et la modernisation du pays (ou de la ville en cause), ainsi que leur contribution à l’économie et à la culture hongroises. Les organisateurs soulignent les pertes subies par les communautés hongroise et juive à la suite de la déportation des victimes. Ils condamnent de manière générale l’exclusion et la haine. L’antisémitisme de la société hongroise de l’époque est très peu évoqué. Si la responsabilité de l’appareil d’État de l’époque est parfois mentionnée, le comportement de la population hongroise en 1944 reste généralement minimisé, voire ignoré. Je n’ai pas lu un seul rapport relatant un événement commémoratif au cours duquel un quelconque orateur aurait pris la peine d’évoquer l’empressement avec lequel les habitants locaux se sont jetés sur les biens des juifs déportés en 1944.
L’absence de violence antisémite est un élément récurrent de la propagande gouvernementale, en particulier lorsque le fléau de la migration est évoqué.
Cette situation paradoxale et contradictoire est encore amplifiée par deux faits quantifiables : d’une part, le niveau négligeable de la violence antisémite et, d’autre part, le niveau particulièrement élevé des préjugés antisémites. La Fondation Action et Protection (sur laquelle nous reviendrons plus tard), spécialisée dans la recherche et la lutte contre l’antisémitisme, a enregistré 128 agressions antisémites en 2023. C’est presque trois fois plus que les 48 de 2022. Cette augmentation est clairement le résultat du 7 octobre, comme le montrent les chiffres mensuels : alors qu’un total de 18 incidents antisémites ont été enregistrés entre janvier et septembre 2023, 110 ont été comptabilisés entre octobre et décembre de la même année. Les trois quarts d’entre eux étaient des actes d’incitation à la haine. Le niveau de violence est resté faible : en 2023, tout comme en 2022, un seul acte violent a été enregistré. Les juifs orthodoxes (dans les quartiers traditionnellement « juifs » de Budapest) peuvent se déplacer dans leur tenue traditionnelle. L’absence de violence antisémite est un élément récurrent de la propagande gouvernementale, en particulier lorsque le fléau de la migration est évoqué. Toutefois, en ce qui concerne les préjugés antisémites, la proportion de personnes entretenant de tels préjugés en Hongrie est de 63 %, ce qui nous place en troisième position parmi les 16 pays de l’UE évalués[8] dans lesquels la moyenne s’établit à 39 %.
Alors que leur attitude vis-à-vis de l’antisémitisme est très controversée, le gouvernement et les médias officiels brandissent régulièrement des accusations d’antisémitisme à l’encontre de leurs opposants politiques. Ainsi, une campagne féroce est menée contre le parti d’opposition Jobbik, pour stigmatiser son antisémitisme rampant. Les partisans d’Orban omettent toutefois de préciser que le Jobbik, initialement antisémite et fasciste, a depuis lors abandonné ces idées, pour se contenter d’attaquer le gouvernement sur une base nationaliste, conservatrice et anticorruption.
À l’époque, le président de la plus grande organisation juive, la Fédération des communautés juives de Hongrie (Mazsihisz), qui hésitait à se joindre à la campagne de propagande anti-Jobbik, a également fait l’objet de nombreuses accusations lui reprochant de « […] ne [pas] prendre au sérieux la lutte contre l’antisémitisme ». Le gouvernement (et ses médias) critique beaucoup moins le parti Mi hazánk [Notre patrie], lequel perpétue la tradition d’extrême droite du Jobbik sans, cependant, faire montre d’une réelle hostilité à l’égard du gouvernement.
George Soros est également régulièrement accusé d’antisémitisme (!) par les médias gouvernementaux, en raison de son soutien à des organisations anti-israéliennes. Mais ces médias vont plus loin encore, relayant de manière récurrente l’allégation absurde selon laquelle Soros, alors qu’il se cachait des nazis en 1944, aurait participé au pillage des biens de ses coreligionnaires juifs. Ces organes de presse se paient ainsi au passage le luxe de donner une leçon de morale à un survivant de la Shoah.
Enfin, il convient de mentionner que l’antisémitisme d’extrême gauche est actuellement très faible en Hongrie, seuls quelques articles comparant Israël à l’Allemagne nazie étant publiés dans certains médias de la gauche pure et dure. Le courant dominant de la gauche lutte en effet pour sa survie dans une Hongrie nationaliste et autoritaire. Mais, contrairement à la Pologne ou à la Russie, la gauche hongroise est dépourvue de toute tradition antisémite profonde, à l’exception de l’antisionisme étatique hérité du régime communiste.
La Hongrie ne connaît pas non plus d’antisémitisme islamique, dans la mesure où le gouvernement utilise les « migrants » comme épouvantails et empêche l’immigration, notamment celle en provenance de pays musulmans.
II. La vision du monde du « système illibéral »
Je vais tenter de replacer ces faits contradictoires dans un contexte plus large.
Le système de valeurs ultraconservateur et réactionnaire de Viktor Orbán, qu’il qualifie d’« illibéral », est l’exact contraire de celui prôné par l’Union européenne (généralement désignée sous l’appellation de « Bruxelles » dans la communication du gouvernement, avec une connotation clairement péjorative). Ce qui est bon pour eux est mauvais pour nous et inversement. Cette attitude se reflète également dans la politique à l’égard des juifs.
La vision du monde de l’Union européenne est laïque et humaniste, celle du régime d’Orbán, religieuse et antimoderne. Plus d’un État membre de l’UE restreint la pratique religieuse juive (en interdisant ou en tentant d’interdire l’abattage casher et la circoncision) pour des raisons humanistes. Le régime d’Orbán, en revanche, ouvre grand la porte à la pratique religieuse juive : il a subventionné l’établissement d’un abattoir casher et encourage le tourisme de pèlerinage juif. Il ne manque pas non plus de critiquer l’UE pour avoir restreint la liberté de culte des juifs.
L’idéologie illibérale dépeint les Hongrois comme des victimes et non comme des bourreaux. En conséquence, on constate un manque d’introspection et l’image que la nation se fait d’elle-même reste intacte
L’attitude à l’égard de la Shoah est fondamentalement différente dans les deux « camps ». Dans les États membres de l’Union situés à l’ouest du continent, il est généralement admis que la nation porte la responsabilité morale de la destruction des juifs du pays et qu’il n’est pas possible de faire porter ce fardeau à d’autres. Cela a conduit à une grave crise de la conscience nationale traditionnelle, laquelle a été remplacée par d’autres idéologies (multiculturalisme, antiracisme, droits des minorités). L’idéologie illibérale prend le contre-pied : elle dépeint les Hongrois comme des victimes et non comme des bourreaux. En conséquence, on constate un manque d’introspection et l’image que la nation se fait d’elle-même reste intacte. Le culte silencieux voué à Horthy (qui s’est allié à Hitler après 1938) ne pourrait pas être possible autrement.
L’Union européenne s’est donné pour valeurs cardinales le multiculturalisme, l’inclusion et l’antiracisme. Ces idéaux solidement ancrés placent souvent l’UE en porte-à-faux avec la politique israélienne à l’égard des Palestiniens. Par ailleurs, il leur arrive aussi d’être détournés à des fins antisémites par l’antisionisme militant, qui cherche à exclure l’État d’Israël du concert des nations en l’accusant d’être intrinsèquement raciste, génocidaire[9], etc. L’attitude de l’UE à l’égard d’Israël se révèle ainsi souvent fondamentalement en tension, Bruxelles acceptant le principe d’un État juif, tout en lui adressant une critique particulièrement acérée. Il n’y a pas de meilleur exemple que Josep Borrel, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dont la rhétorique anti-israélienne véhémente — surtout depuis le 7 octobre — continue d’exacerber les tensions entre l’UE et l’État hébreu.
Nationaliste et confessionnel, le régime d’Orbán tolère, mais à peine, le multiculturalisme (voir le commentaire d’Orbán sur le « mélange des races ») et considère l’inclusion comme un terme codé pour désigner l’immigration. Dans le vocabulaire officiel, les migrants sont le plus grand danger auquel la Hongrie doit faire face pour protéger l’Europe chrétienne.
Sur ce terrain confessionnel, nationaliste et anti-immigrés, le régime d’Orbán considère le gouvernement Netanyahou comme un allié. La Hongrie soutient fréquemment Israël au sein de l’UE. Quant à la presse gouvernementale, elle vilipende souvent les reportages des grands médias occidentaux — critiques à l’égard d’Israël — en les taxant d’antisémitisme.
Depuis le 7 octobre 2023, le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur d’Israël, battant plus d’une fois en brèche la position collective de l’UE. (Tout comme il s’est exprimé à de nombreuses reprises en faveur des intérêts russes et contre une attitude européenne unie de soutien à l’Ukraine.)
Figure légendaire du multiculturalisme et de l’inclusion, George Soros est devenu une cible presque incontournable de la propagande orbaniste. Citant certains auteurs israéliens, la presse inféodée au régime soutient qu’attaquer Soros ne relève pas de l’antisémitisme. Pourtant, au-delà de la dénonciation de sa position anti-israélienne, Soros est souvent dépeint sous des traits (milliardaire dépourvu de sentiments, cosmopolite et spéculateur) relevant des stéréotypes antisémites les plus tenaces.
Il ressort clairement de ce qui précède que lorsque l’UE remet en question les pratiques religieuses juives ou la politique israélienne, Orbán les accepte comme elles sont, ce qu’il ne manque jamais de souligner, se présentant comme l’ami des juifs. Lorsque l’UE fait preuve d’acceptation de l’autre (multiculturalisme et antiracisme), le régime d’Orbán ne fait preuve d’aucune ouverture d’esprit. Lorsque l’UE s’engage sur la voie de l’examen de conscience (commémoration de la Shoah), le régime d’Orbán ne peut s’y résoudre, car dans l’image qu’il se fait de lui-même, la nation ne peut être qu’héroïque ou victime.
Sur le terrain confessionnel, nationaliste et anti-immigrés, le régime d’Orbán considère le gouvernement Netanyahou comme un allié.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, une nostalgie discrète (du moins non officielle) de Horthy fait partie intégrante de la vision du monde d’Orbán. Miklós Horthy, régent de Hongrie entre 1919 et 1944, était un antisémite convaincu, conformément à l’esprit de l’époque. Il a cherché à marginaliser les juifs, qui avaient pourtant joué un rôle clé dans la modernisation de la Hongrie. Orbán s’inspire de l’exemple de ce personnage, sans pour autant embrasser l’antisémitisme. Le zeitgeist post-Shoah ne le permet pas. Par conséquent, il ne cherche pas à marginaliser les juifs, mais à leur donner une place et un rôle dans sa grande vision de la nation. Ce rôle consiste avant tout à asseoir la bonne réputation de la Hongrie dans le monde et à protéger le gouvernement contre les accusations d’antisémitisme. Le soutien indéfectible à Israël avant et après le 7 octobre peut être considéré comme un élément de cette stratégie.
Pour peu que les juifs hongrois soient prêts à déclarer dans les forums internationaux qu’ils vivent sans être inquiétés dans le cadre du « système de coopération nationale » (dont l’acronyme hongrois est NER) orbaniste, alors le gouvernement, fort de son pouvoir autoritaire, leur garantira cette vie paisible. Tel serait le pacte — non écrit ni déclaré — proposé par le régime d’Orbán. Si la grande majorité des juifs hongrois, qui honnissent la nostalgie dont Horthy fait l’objet, ne sont pas disposés à jouer le rôle qui leur est proposé, leurs organisations réagissent de diverses manières.
III. La réaction des juifs au régime illibéral
Le peu de juifs hongrois ayant survécu au nazisme et au communisme déteste profondément les régimes autoritaires. Libéraux, antiracistes et favorables aux minorités, ils se rapprochent du portrait que font les gens des juifs new-yorkais. Ils adhèrent plus ou moins aux mêmes valeurs que George Soros, qui, à partir de 1980, a beaucoup contribué à faire évoluer la Hongrie vers la démocratie libérale. Par conséquent, s’il y a un groupe de personnes en Hongrie qui n’est pas réceptif à la politique orbaniste de diabolisation de Soros et de dénigrement de Bruxelles, ce sont certainement les juifs.
Ces observations sont étayées par une enquête exhaustive menée auprès des juifs de Hongrie en 2017[10]. Les données révèlent que les valeurs et les habitudes culturelles de la communauté juive en Hongrie reflètent des tendances libérales en net contraste avec la moyenne nationale. En ce qui concerne leurs préférences politiques, 1 % seulement des 1 879 personnes interrogées ont déclaré qu’elles voteraient pour le Fidesz. Dans le même temps, 72 % des répondants considèrent que les médias gouvernementaux sont antisémites. Un constat qui illustre la défiance de cette minorité envers le pouvoir en place depuis 2010 et ses relais médiatiques.
Aucune enquête sur l’opinion des juifs hongrois n’a été réalisée après le 7 octobre. Ceux-ci sont manifestement divisés devant le paradoxe suivant : la presse gouvernementale nationaliste et antidémocratique soutient Israël, tandis que la presse d’opposition libre et démocratique est beaucoup plus critique. Toutefois, les principales organisations confessionnelles juives ont clairement salué la position pro-israélienne du gouvernement.
Après l’expérience traumatique de la Shoah, on pourrait s’attendre à ce que les juifs soient particulièrement méfiants envers toute idéologie nationaliste à la recherche de boucs émissaires, ainsi qu’au démantèlement des contre-pouvoirs démocratiques au profit d’un régime corporatiste. Et pourtant, force est de constater qu’il existe dans le monde deux grands groupes au sein de la communauté juive qui semblent faire fi de ces mises en garde historiques.
L’un d’entre eux, comme cela a été mentionné, est le groupe des partisans de l’actuel gouvernement israélien, à l’intérieur et à l’extérieur de l’État hébreu. Israël est la cible privilégiée des ennemis des juifs dans le monde d’aujourd’hui. La haine à son égard s’exprimant essentiellement par le truchement d’un langage de gauche, humaniste et favorable à la défense des minorités, une grande partie de l’opinion publique israélienne a commencé à suspecter ces valeurs de gauche, et à douter de la possibilité d’une solution politique au conflit. Cela est devenu encore plus évident à leurs yeux après le 7 octobre. Les hommes politiques israéliens qui ont su tirer parti de cette tendance sont donc en phase avec le régime de Viktor Orbán, sur la base d’une idéologie antimoderne, laquelle rejette également l’idéologie des droits de l’homme. Le paradoxe de cette sympathie mutuelle entre les gouvernements hongrois et israélien se cristallise dans cette affirmation : les deux prétendent « être entourés d’ennemis qui veulent les détruire ». Une rhétorique qui, si elle peut se justifier pour Israël, semble surtout fantasmée dans le cas de la Hongrie.
L’un des gestes les plus importants du mouvement Loubavitch a été de défendre le gouvernement hongrois contre les accusations d’antisémitisme dans le contexte de la campagne anti-Soros.
L’autre groupe est le mouvement hassidique Chabad Loubavitch, dont l’antenne hongroise IMEH est devenue l’alliée juive d’Orbán dans la construction de son système corporatiste. Suivant les préceptes de leur maître, le Rabbi de Loubavitch, les émissaires du Chabad œuvrent mondialement à préparer la voie du Messie en diffusant la Torah auprès des juifs. Dans ce but, ils construisent un réseau institutionnel aussi large que possible en s’appuyant volontiers sur les autorités locales, quitte à cautionner ces dernières. Le fait que ces autorités relèvent d’un pouvoir autoritaire est perçu non pas comme un obstacle, mais comme un avantage puisque les dispensant de certaines formalités « encombrantes » propres aux démocraties. C’est le cas notamment en Russie et en Hongrie.
Slomó Köves, le talentueux et ambitieux leader politique du mouvement Chabad en Hongrie, s’est révélé un bon partenaire pour le gouvernement hongrois. Il a beaucoup fait pour présenter le gouvernement Orbán aux cercles juifs orthodoxes américains et israéliens. Il a publié des photographies spectaculaires de réunions entre des représentants du gouvernement hongrois et des rabbins orthodoxes. Ainsi, la rencontre entre Orbán et le grand rabbin ashkénaze israélien David Lau peut se révéler un contre-argument efficace en cas d’accusation d’antisémitisme à l’encontre du gouvernement.
L’un des gestes les plus importants de l’IMEH a été de défendre le gouvernement hongrois contre les accusations d’antisémitisme dans le contexte de la campagne anti-Soros. « Soros apparaît aux yeux du public non pas comme un juif, mais comme un symbole du capitalisme mondial. En taxant la campagne d’antisémitisme, nous validons nous-mêmes le paradigme selon lequel “le capitalisme mondial est égal à la juiverie” »[11], avait déclaré M. Köves à l’époque.
Le projet de la Maison des Destins, mentionné plus haut, qui visait à faire passer la responsabilité de la Shoah en Hongrie à l’ensemble de l’humanité a été repris par Slomó Köves en 2018. Même si cette entreprise a échoué[12], elle reflète la loyauté de Slomó Köves envers le système NER. Ladite loyauté a toutefois ses limites, puisque l’intéressé a cru bon de protester contre l’article de journal susmentionné appelant à la réhabilitation de Horthy[13].
L’ IMEH a donc été intégrée en douceur dans le système corporatiste du NER[14]. Au cours des vingt dernières années, elle s’est dotée d’un système institutionnel qui rivalise avec celui du Mazsihisz autochtone (fondé en 1867). Le soutien de l’État se chiffre en dizaines de millions de dollars<footnote>« Les huissiers à la porte — La dette de l’EMIH se chiffre en milliards » (Szombat.org)</footnote>. La tragédie du 7 octobre a renforcé la coopération entre l’IMEH et le gouvernement. Le site Web “Neokohn”, géré par l’IMEH, est un fervent défenseur d’Israël et entretient donc de bonnes relations avec d’autres médias gouvernementaux. Le 7 octobre a également mis un frein à l’escalade des luttes au sein de la communauté juive de Hongrie.
Le gouvernement intervient aussi discrètement au nom de l’IMEH en cas de luttes internes au sein de la communauté juive. Il a récemment confirmé les dirigeants affiliés à l’IMEH issus de la communauté orthodoxe. Par son intégration réussie au sein du système corporatiste NER, l’EMIH est parvenue à phagocyter la respectable communauté orthodoxe juive de Hongrie, certes de taille modeste, mais riche d’une longue tradition. Malgré tous ces efforts, l’IMEH n’est parvenu à obtenir le soutien que de 2549 juifs hongrois, ce nombre correspondant à celui des contribuables hongrois qui, en vertu de la loi hongroise, leur ont fait don d’un pour cent de leurs impôts en 2022. Il n’existe malheureusement pas d’autre indicateur fiable du soutien du public aux organisations religieuses en Hongrie.
Mazsihisz, la plus grande organisation de juifs hongrois, est parvenue quant à elle à séduire 12 612 donateurs et fédère par conséquent la majorité des juifs hongrois fortement assimilés. Le prédécesseur de Mazsihisz avait été fondé en 1868 pour représenter les juifs d’orientation “néologique” (perçue à l’époque comme progressiste, même si elle apparaît aujourd’hui comme conservatrice). Les juifs néologues se déclarent hongrois de par leur nation et juifs de par leur religion. Tout au long de son histoire, la direction du mouvement néologique est restée loyale au pouvoir en place : aussi bien pendant l’année tragique de 1944 que pendant l’ère communiste. Paralysée par deux types de totalitarisme, l’organisation ne peut plus guère prétendre s’occuper de liberté depuis 1989, et son obsolescence a été un sujet de raillerie dans les cercles juifs hongrois pendant de nombreuses années.
Seul András Heisler, élu président en 2013, a tenté de changer de cap, en imprimant consciemment à Mazsihisz une orientation moderne, inclusive et libérale. Ce faisant, il n’a pas eu peur d’entrer en conflit avec le gouvernement. Lorsque ce dernier a érigé un mémorial dans le centre de Budapest en 2014, à l’occasion du 70e anniversaire de la Shoah hongroise, en vue de dépeindre les Hongrois et les juifs comme des victimes de l’agression allemande, Heisler a cessé de coopérer avec le pouvoir en place et les membres de Mazsihisz l’ont soutenu jusqu’au bout. Par la suite, Mazsihisz n’a pas participé aux programmes de commémoration de la Shoah organisés par le gouvernement. Heisler a également eu le courage de demander au Premier ministre de mettre fin à la campagne anti-Soros, en attirant l’attention sur ses connotations antisémites. Toutes ces initiatives ont rehaussé le prestige de Heisler — et celui de Mazsihisz, longtemps méprisé — dans le pays et à l’étranger[15].
Pendant cette période, Heisler a cependant éprouvé de sérieuses difficultés dans la modernisation du système institutionnel inefficace de Mazsihisz. Ainsi, l’organisation n’a pas été en mesure de déployer des outils modernes pour lutter contre l’antisémitisme et n’a pas obtenu de résultats significatifs dans ce domaine.
La “tolérance zéro” à l’égard de l’antisémitisme, pour reprendre les termes du Premier ministre, ne signifie qu’une seule chose : le régime se réserve le droit de dire qui est ou ce qui est antisémite dans une situation donnée.
La surveillance systématique des actes antisémites a été lancée en 2012 par l’énergique Slomó Köves, lequel a créé dans ce but la Fondation pour l’Action et la Protection (TEV, selon son acronyme hongrois) avec la participation de plusieurs organisations juives (dont Mazsihisz). Cet organe, après s’être montré très actif dans un premier temps, a ensuite été lâché par les autres organisations juives sous prétexte qu’elles n’avaient aucune influence sur son fonctionnement réel[16].
Le projet le plus important de TEV a été l’enquête comparative sur l’antisémitisme dans 16 pays, mentionnée plus haut, réalisée en 2020. Cette étude coûteuse a été largement financée par le gouvernement hongrois, lequel a été déçu par les résultats puisque les Hongrois se sont classés très haut en matière de préjugés antisémites. L’enquête, qui a fait l’objet d’un grand battage médiatique au moment de son lancement, a été rapidement oubliée : elle n’est même pas mentionnée sur le site Web de TEV[17]. Par la suite, l’activité de TEV s’est ralentie — chacun de ses rapports mensuels ne mentionne qu’un ou deux incidents. Pendant ce temps, elle continue à recevoir 500 millions HUF (1,5 million USD) par an de fonds publics.
IV. Conclusions
Dans les circonstances décrites ci-dessus, la “tolérance zéro” à l’égard de l’antisémitisme, pour reprendre les termes du Premier ministre, ne signifie qu’une seule chose : le régime se réserve le droit de dire qui est ou ce qui est antisémite dans une situation donnée. Il peut ainsi, à sa guise, stigmatiser — ou au contraire absoudre — à sa guise des hommes politiques, voire des dirigeants juifs.
La Hongrie se caractérise par un nombre négligeable d’incidents antisémites violents (même depuis le 7 octobre) et une proportion élevée de personnes nourrissant des préjugés à l’égard des juifs. Cette situation diffère notablement de celle régnant en Angleterre ou aux Pays-Bas, où le nombre d’incidents violents est important, mais les préjugés moins ancrés.
Dès lors qu’en Europe centrale, la quête d’ennemis et de “pouvoirs occultes” s’invite dans le débat public, les juifs redeviennent inévitablement la cible désignée, éternel bouche-trou comblant le besoin de bouc émissaire.
Cela explique pourquoi, malgré la mise en sourdine des voix ouvertement antisémites, la proportion d’antisémites en Hongrie est aujourd’hui l’une des plus élevées d’Europe. Cependant, les gens s’abstiennent actuellement d’exprimer cette opinion, parce que le régime qui domine complètement la droite politique attend d’eux qu’ils le fassent.
Ainsi, la situation en Hongrie peut être résumée comme suit : le Premier ministre hongrois garde la main sur les démons qu’il a lui-même contribué à réveiller.
Le 7 octobre a encore renforcé cette politique, dans la mesure où ces événements tragiques peuvent parfaitement se rattacher à l’agenda anti-immigration du gouvernement hongrois, qui brandit la menace des masses et du terrorisme islamiques. Toutefois, compte tenu des bonnes relations du gouvernement avec les pays antidémocratiques (Chine, Russie, Conseil des États turciques), d’aucuns s’interrogent sur la viabilité à long terme des relations cordiales avec Israël.
János Gadó
Notes
1 | « C’est le tribunal de George Soros qui a rendu le verdict sur la punition de la Hongrie », a déclaré Viktor Orbán en juin dernier, après que la Cour européenne de justice a condamné la Hongrie à une amende de 200 millions d’euros pour avoir enfreint la législation européenne en matière d’asile et ignoré un jugement antérieur. |
2 | Selon le texte, l’image de George Soros comme ennemi idéal a été créée en 2015 par deux conseillers en communication juifs, Arthur Finkelstein et George Birnbaum, pour le compte du gouvernement hongrois. Birnbaum affirme que l’origine juive de Soros n’a pas joué de rôle dans cette stratégie. Pourtant, selon Howard Jacobson, un écrivain britannique, « … lorsque les gens mentionnent le nom de Soros, ils n’ont même pas besoin de dire qu’il est juif, cela est sous-entendu ». |
3 | Viktor Orbán, « Les valeurs occidentales n’ont pas besoin d’être dépeintes sous un jour peu flatteur, elles sont déjà intrinsèquement peu reluisantes » (promenad24.hu) |
4 | « Le temps est venu de procéder à une évaluation équitable de Miklós Horthy » (magyarnemzet.hu) |
5 | Ágoston Balázs, « Csurka a raison aujourd’hui comme hier » (Magyarnemzet.hu) |
6 | La révolution des Asters, parfois nommée révolution des Chrysanthèmes, a été lancée en octobre 1918 par le comte Mihály Károlyi et abouti à la fondation de l’éphémère République démocratique hongroise, laquelle fut renversée dès mars 1919 par une autre révolution — d’inspiration communiste — voir la note qui suit. Cette nouvelle République des Conseils de Hongrie sera elle aussi de courte durée. |
7 | Cette unité d’élite de la police politique dans l’éphémère République des Conseils de Hongrie de 1919 est devenue par la suite le symbole de la terreur communiste dans la propagande nationaliste. |
8 | L’étude portant sur 16 pays a été coordonnée par le sociologue András Kovács, professeur à l’Université d’Europe centrale. Pour plus de détails, voir ci-dessous. |
9 | Et comment ne pas voir que le slogan « Israël fait aux Palestiniens ce que les nazis ont fait aux juifs » reflète le désir profond de ses colporteurs de se dégager de la responsabilité de la Shoah, autre boussole de l’UE ? |
10 | András Kovács, Ildikó, Barna, « Juifs et judaïsme dans la Hongrie contemporaine : Résultats d’une enquête sociologique » (Szombat) (en hongrois avec un résumé en anglais page 207. |
11 | « Netanyahou : la campagne anti-Soros n’est pas antisémite », Zsido.com |
12 | Il y a quelques mois, le président nouvellement élu de Mazsihisz a présenté une proposition : le bâtiment de la Maison des Destins devrait être rattaché à l’actuel Centre commémoratif de l’Holocauste en tant que département éducatif. |
13 | « Il ne faut jamais fausser la justice — Slomó Köves sur la réévaluation du rôle de Miklós Horthy » (Index.hu) |
14 | L’EMIH fait référence à une étude prétendument réalisée par l’Institut de recherche sur la politique juive (JPR) en 2022 : « Une étude novatrice combinant diverses mesures de l’expérience juive a conclu que la Hongrie et l’Italie sont actuellement les pays les plus accueillants pour les Juifs en Europe ». Cependant, cette étude intitulée « L’Europe et les Juifs : un indice par pays du respect et de la tolérance envers les Juifs » soulève des interrogations, car elle n’est pas disponible sur le site Web dudit JPR qui est censé l’avoir commanditée. |
15 | Pendant plusieurs mois, une véritable campagne de dénigrement a été menée contre Heisler et ses soutiens par un site Web au nom évocateur : Smúzoló (rumeurs). Fait troublant, ce site diffamatoire était géré par des juifs anonymes, mais manifestement bien informés et influents au sein de la communauté. « Le président sortant de Mazsihisz : “J’ai rencontré une grandeur et une profondeur humaines étonnantes” » (szombat.org) |
16 | Kata Vörös, « Nous célébrons la haine et le combat » (es.hu) |
17 | L’étude est disponible en anglais sur le site Web de la Ligue d’action et de protection, la branche internationale de TEV. |