Et si l’antijudaïsme n’était pas seulement un préjugé irrationnel à l’encontre des juifs, mais une structure fondamentale de la pensée occidentale ? C’est la thèse défendue par David Nirenberg dans Antijudaïsme, que cette conférence de juin 2023 au Collège de France présente à l’occasion de sa traduction en français. On y découvre un problème vertigineux : la dépendance de nos systèmes moraux, philosophiques et critiques à une figure repoussoir du juif imaginaire.
Ayant donné à mon exposé un titre un peu prétentieux — « Anti-Judaism, Critical Thought, and the Possibility of History » [Antijudaïsme, pensée critique et possibilité de l’histoire] —, je devrais peut-être commencer par expliquer pourquoi je pense que ces trois éléments méritent d’être pensés ensemble. Par possibilité de l’histoire, j’entends la possibilité de certaines questions très générales. Le passé affecte-t-il notre perception du présent ? Nos préoccupations actuelles influencent-elles la manière dont nous percevons le passé ? Notre pensée d’hier — l’histoire de nos idées — affecte-t-elle notre réflexion d’aujourd’hui et de demain ? Comment les formes de vie et de pensée d’une époque et d’un lieu donné influencent-elles celles d’une autre époque et d’un autre lieu ? Ce type de question animait autrefois la discipline historique. Mais dans la seconde moitié du XXe siècle, beaucoup — historiens, philosophes, psychologues — en sont venus à développer une méfiance croissante à l’égard de ces questions. Méfiance méritée au regard de la place occupée par les généalogies et les téléologies historiques dans la formation des idéologies nationalistes, racistes et colonialistes qui ont tragiquement frappé une grande partie du monde au cours de la première moitié de ce siècle. L’histoire, comme l’a dit Michel Foucault dans les années 1960, sert à trancher.
Le tranchage est en effet une possibilité importante (et critique, dans le sens d’une remise en question de nos certitudes) de l’histoire. Aujourd’hui, les historiens de la pensée concentrent largement leurs efforts sur la reconstitution du contexte dans lequel une idée donnée a été exprimée, plutôt que sur l’exploration du mouvement et de la transformation des idées à travers le temps et l’espace. Cette démarche mettant l’accent sur des contextes historiques de plus en plus précis est précieuse, car elle peut nous aider à briser certaines des continuités imaginaires que les cultures établissent entre le passé et le présent. Cependant, elle comporte une limite importante en ce sens qu’elle ne peut pas nous aider à percevoir ces continuités, ni à les reconstruire ou à les comprendre. Pour paraphraser Montaigne, coupez n’importe quoi en petits morceaux et tout devient une masse de confusion.
Je pense qu’il s’agit là d’une possibilité tout aussi importante et tout aussi critique (au sens d’une remise en question de nos certitudes) de l’histoire. La négliger comporte un grave danger, car si le présent n’est pas indépendant du passé, si les possibilités cognitives à un moment donné — même les nôtres — sont dans une certaine mesure conditionnées par des habitudes de pensée acquises au fil du temps, il nous faut alors un moyen de prendre conscience de ces habitudes, sous peine de nous voir agir sous leur emprise.
Nous devrions nous demander pourquoi tant de cultures diverses — même des cultures sans juifs en leur sein — ont tant réfléchi au judaïsme. Quelle a été la contribution de cette réflexion aux efforts déployés pour donner un sens au monde ?
Le problème ne pourrait être plus général, mais l’histoire de la réflexion sur le judaïsme constitue un exemple particulièrement frappant, parce qu’il s’agit à la fois d’un thème d’actualité très chargé et d’un sujet ayant une longue histoire. Les anciens Égyptiens ont consacré beaucoup de papyrus aux Hébreux ; les premiers (et moins premiers) chrétiens ont rempli des pages pour tenter de distinguer le Nouvel Israël de l’Ancien ; les disciples de Mahomet étaient très préoccupés par la relation du Prophète avec les juifs et les « fils d’Israël » ; les Européens du Moyen Âge invoquaient les juifs pour expliquer des calamités aussi diverses que la famine, la peste et les politiques fiscales de leurs princes. Et à travers les vastes archives qui subsistent de l’Europe ancienne et moderne et de ses colonies culturelles, il est assez facile de démontrer que des mots comme « juif », « hébreu », « sémite », « israélite » et « Israël » apparaissent avec une fréquence étonnamment disproportionnée par rapport au nombre réel de juifs vivant dans ces sociétés.
Nous savons que « juif » n’est pas synonyme d’« hébreu », que les israélites ne sont pas des Israéliens, qu’Israélien ne signifie pas nécessairement sioniste ou juif (ou inversement) et que de nombreuses personnes ont été traitées de « juif » ou de « judaïsant » alors qu’elles ne s’identifiaient en aucune façon au judaïsme. Pourtant, nous savons aussi que tous ces mots et catégories existent dans une certaine proximité et que, même si nous insistons pour les séparer, ils se sont souvent mélangés au cours de la longue histoire de la pensée.
Étant donné l’importance politique de certaines de ces catégories à notre époque, nous devrions nous demander pourquoi tant de cultures diverses — même des cultures sans juifs en leur sein — ont tant réfléchi au judaïsme. Quelle a été la contribution de cette réflexion aux efforts déployés pour donner un sens au monde ? Ce travail a-t-il, à son tour, influencé la manière dont les sociétés postérieures — y compris la nôtre — pourraient ou voudraient penser avec et sur le judaïsme ? À défaut de poser ces questions, nous pourrions difficilement parer le risque de voir notre propre compréhension du monde façonnée par de vieilles habitudes de pensée, y compris celle que j’appellerai l’antijudaïsme.
Permettez-moi d’illustrer le problème à travers l’exemple d’une penseuse qui a vécu et écrit à une époque où de telles questions n’auraient pas pu être plus cruciales. Hannah Arendt a fui l’Allemagne nazie, d’abord pour Paris, en 1933, puis pour les États-Unis. Dans la première partie de son ouvrage Les origines du totalitarisme, publié en 1951, elle aborde une question très proche de la mienne : Comment et pourquoi les idées sur les juifs et le judaïsme deviennent-elles des explications convaincantes de l’état du monde à une époque et dans un lieu donnés ? Arendt souligne l’échec de l’antisémitisme en tant qu’explication suffisante. Le terme « antisémite » désigne les ennemis des juifs et du judaïsme, mais il n’explique pas la nature ou la raison d’une telle hostilité. Au contraire, il implique qu’il n’y a pas de raison à cette inimitié, laquelle serait irrationnelle.
Toute théorie critique doit s’intéresser à ses habitudes de pensée, à l’histoire de ses idées, voire à ses mots mêmes. Dans le cas de l’antijudaïsme, cette tâche s’avère très difficile.
Mais comme l’a dit Arendt, « une idéologie qui a besoin de persuader et de mobiliser les gens ne peut pas choisir sa victime arbitrairement ». Le choix doit avoir un sens culturel si l’on veut qu’il soit convaincant et capable de mobiliser les masses. Pourquoi et comment les idéologies font-elles sens sur le plan culturel ? Une réponse pourrait être que les idéologies revêtent un sens culturel parce qu’elles décrivent avec précision quelque chose du monde comme il est. Telle était l’approche d’Arendt : les idéologies antisémites décrivent quelque chose que les juifs étaient ou faisaient réellement. Elle établit un lien étroit entre l’idéologie et la réalité à travers ce qu’elle considérait comme des « fonctions spécifiquement juives » dans les économies capitalistes de l’État moderne : « [t]outes les statistiques économiques prouvent que les Juifs allemands n’appartenaient pas au peuple allemand, mais tout au plus à sa bourgeoisie ».
Je répondrais différemment à la question de savoir pourquoi les idéologies sont culturellement significatives. Je mettrais l’accent sur la façon dont notre perception même de la réalité est façonnée par les cadres conceptuels et les outils cognitifs disponibles. Par exemple, les « vérités » statistiques d’Arendt ont parfois été tirées de la « recherche engagée » de nazis comme Walter Frank et son Institut d’histoire du Reich [Reichsinstitut für Geschichte des neuen Deutschland]. Mais même si ses choix avaient été moins partisans, ils auraient inévitablement été empreints de théorie. Notre pensée est toujours tributaire de concepts et de catégories, qui ont eux-mêmes une histoire. Les mots mêmes que nous utilisons sont déjà le produit d’une longue histoire et façonnent nos possibilités de pensée. Comme l’a dit Nietzsche, « jedes Wort ist ein Vorurteil » [chaque mot est déjà un préjugé en soi]. C’est pourquoi toute théorie critique doit s’intéresser à ses habitudes de pensée, à l’histoire de ses idées, voire à ses mots mêmes. Dans le cas de l’antijudaïsme, cette tâche s’avère très difficile.
Arendt elle-même rejetait spécifiquement une telle approche de l’histoire des idées sur le judaïsme, une approche qu’elle qualifiait avec mépris d’« antisémitisme éternel ». Les appels à l’histoire, tels qu’elle les concevait, n’étaient que des tentatives de nier que les juifs étaient « co-responsables » des idéologies qui les ciblaient dans le présent, en raison de ce qu’ils avaient réellement été et fait. La distinction établie par Arendt entre notre réalité et l’histoire de nos idées est répandue et déterminante, mais elle me semble à la fois trop marquée et trop dangereuse.
C’est précisément dans la mesure où la pensée critique dans la tradition occidentale s’est si souvent imaginée comme un dépassement du judaïsme, qu’elle a la capacité d’introduire ce même judaïsme dans tout ce qu’elle critique.
Deux des compagnons d’exil d’Arendt, les philosophes Max Horkheimer et Theodor Adorno, ont bien cerné le danger. Dans les années 1930, ils ont eux aussi critiqué ce qu’ils considéraient comme une participation excessive de leurs coreligionnaires juifs à la vie économique et compris que cette participation était la cause des idéologies antisémites. Mais dans les années 1940, la force fantastique que les idées européennes sur les juifs avaient acquise leur semblait dépasser les frontières de la réalité. Ce qui donnait à ces idées leur pouvoir, suggéraient-ils en 1944, ce n’était pas leur relation à la réalité, mais plutôt le fait qu’elles échappaient aux contrôles de réalité, c’est-à-dire à l’examen critique auquel sont soumis tant d’autres concepts : « Ce qui est pathologique dans l’antisémitisme n’est pas le comportement projectif en soi, mais son absence de réflexion ».
Pourquoi l’antisémitisme est-il si réfractaire à la réflexion ? Pourquoi est-il si difficile — même pour les plus grands penseurs de l’époque, comme Arendt ou (pour prendre un cas extrême) son maître Heidegger — de réfléchir à ces concepts et à ces schémas explicatifs ? La réponse à cette question réside à mes yeux dans la place extraordinaire qu’occupe le judaïsme dans l’histoire de la pensée critique elle-même. C’est précisément dans la mesure où la pensée critique dans la tradition occidentale s’est si souvent imaginée comme un dépassement du judaïsme, qu’elle a la capacité d’introduire ce même judaïsme dans tout ce qu’elle critique.
Karl Marx fournit un excellent exemple (en bien ou en mal) de ce phénomène. Dans deux essais qu’il a écrits en 1844, « Sur la question juive » et (avec Friedrich Engels) « La Sainte Famille, ou Critique de la critique critique », Marx a soutenu que le judaïsme est autant une attitude qu’une religion, une attitude d’esclavage spirituel et d’aliénation du monde. Cette aliénation est juive, mais elle n’est pas l’apanage des juifs. L’argent est le dieu du judaïsme, mais il est aussi le dieu de tout homme, quelle que soit la religion qu’il confesse, aliénant à cette divinité le fruit de sa vie et de son travail. Tant que l’argent est Dieu, c’est-à-dire tant qu’il existe une propriété privée, même la conversion de tous les juifs au christianisme ne saurait émanciper la société du judaïsme, car la société chrétienne continuera à « produire du judaïsme à partir de ses propres entrailles ».
Pour Marx, la « question juive » concerne autant les outils et les concepts de base au moyen desquels les individus d’une société se relient au monde et les uns aux autres que la présence d’un judaïsme « réel » et de juifs vivants au sein de cette même société. Il a compris que certains de ces outils de base —tels que l’argent et la propriété — considérés dans la culture chrétienne comme « juifs » peuvent donc produire la « judéité » de leurs utilisateurs, qu’ils soient juifs ou non. Le « judaïsme » n’est donc pas seulement la religion de personnes spécifiques partageant des croyances données, mais aussi une catégorie, un ensemble d’idées et d’attributs. Et l’« antijudaïsme » n’est pas simplement une attitude à l’égard des actes des vrais juifs et de leur religion, mais une façon de percevoir le monde d’un œil critique.
La thèse de Marx selon laquelle nos concepts peuvent eux-mêmes créer le judaïsme du milieu auquel on les applique revêt une importance cruciale, car elle nous invite à réfléchir à la manière dont nos propres habitudes de pensée projettent des figures du judaïsme dans ledit milieu et créent ainsi la réalité qu’elles prétendent découvrir. À partir de cette réflexion, Marx aurait pu procéder à une critique de ces habitudes de pensée. Il aurait pu, par exemple, se demander pourquoi la culture européenne chrétienne a si souvent qualifié le capitalisme de juif et écrire une histoire censée inciter ses contemporains à réfléchir davantage à cette association. Il a préféré exploiter ces habitudes en renforçant l’ancienne judéité du capitalisme pour la mettre au service d’un projet nouveau : celui d’un monde plus parfait, sans propriété privée ni travail salarié.
L’« antijudaïsme » n’est pas simplement une attitude à l’égard des actes des vrais juifs et de leur religion, mais une façon de percevoir le monde d’un œil critique.
Marx montre comment le fait de s’interroger sur les rôles joués par les idées sur le judaïsme dans notre façon de penser le monde peut stimuler le type de réflexion dont nous avons besoin pour prendre conscience de certaines de nos propres habitudes de pensée. Mais il montre aussi le danger réel que comporte le fait de poser de telles « questions juives » : le risque que, à l’instar de Marx, nous cessions de nous les poser à partir du moment où nous parvenons à une réponse qui s’harmonise confortablement ou utilement avec notre propre vision du monde. Un tel questionnement nous donne l’illusion de nous livrer à une pensée critique, alors qu’en réalité il contribue uniquement à renforcer nos idées préconçues et nos convictions.
Ne pas arrêter le questionnement trop tôt nécessite une histoire longue. De combien ? Cette question n’a pas de réponse unique. Au moment où les récits sur « Israël » et « les Juifs » deviennent visibles dans l’Égypte ancienne, ils ont déjà été mêlés à d’autres histoires et cosmologies et sont devenus suffisamment souples pour aider leurs auteurs à donner un sens à des événements allant de l’invasion grecque à la politique fiscale romaine. Les sources qui nous sont parvenues témoignent de ce travail. Il peut sembler curieux, par exemple, que les délégations égyptiennes aient à plusieurs reprises traité de « juifs » des empereurs romains tels que Claude, Trajan et Commode. Pourtant, cet anathème devait revêtir un sens profond pour ces émissaires puisqu’ils étaient prêts à subir le martyre pour l’avoir prononcé.
De même, les premiers textes produits par un disciple de Jésus — les épîtres de Paul — font déjà appel à de multiples traditions, tant juives que païennes, chacune avec sa propre histoire, afin de concevoir une « théorie critique » sur la manière d’interpréter le monde. Lorsque Paul entreprend de démontrer que la Jérusalem terrestre est alignée sur l’esclavage, la charnalité, la loi, le littéralisme aveugle et la mort de l’âme, il déploie des éléments critiques de l’exégèse juive et de la philosophie grecque déjà bien éculés à son époque. Mais il les intègre dans une nouvelle réflexion sur les différentes exigences que la prophétie impose aux disciples juifs et païens de Jésus.
Certaines des formulations qu’il a élaborées pour exprimer ces différences — « La lettre tue, mais l’esprit vivifie » (II Corinthiens 3,6) — ont transformé l’histoire autant qu’elles s’en sont inspirées, offrant aux générations futures une nouvelle façon de penser les textes, la transcendance et le monde matériel. Au fur et à mesure que la religion de Jésus se répand, le vocabulaire spécifique de Paul, déjà saturé d’histoire, gagne en signification et en puissance. Ainsi, son utilisation du mot « judaïser » dans Galates 2:14 pour caractériser la relation inappropriée d’un païen converti aux lois et coutumes d’une tradition est devenu un raccourci susceptible de conférer un sens à toute relation « incorrecte » au monde matériel. Citons à ce propos le poète George Herbert qui, en 1633, écrivait :
« Celui qui aime, et aime mal, préférant les plaisirs de ce monde à la vraie joie chrétienne, a fait un choix juif… Et est un Juif Judas. »
Il n’y a pas que Paul. Les paroles de Jésus dans les Évangiles regorgent également de déclarations susceptibles d’enseigner à ses disciples à prêter un visage « juif » aux mensonges et confusions de ce monde, comme son sermon connu sous le nom des « Sept malheurs des Pharisiens ». Dans mon livre, j’essaie de montrer qu’aucune étape de la formation de cette tradition critique n’était incontournable, même si, rétrospectivement, elle est apparue à beaucoup — chrétiens comme musulmans (et aussi juifs) — comme continue et éternelle. Elle est devenue utile et influente même à des époques et dans des lieux éloignés de tout contact avec des juifs en chair et en os. Les rébellions médiévales contre les « rois juifs », les attaques de la Réforme et de la Contre-Réforme contre la « judaïsation » des papes et des protestants, et même la création par Shakespeare du personnage de Shylock pour représenter la « judéité » potentielle des marchands chrétiens (il n’y avait pas de juifs dans l’Angleterre de Shakespeare, sauf ceux inventés par des écrivains comme ce dernier) sont autant d’exemples de la façon dont les juifs ont été perçus. Ils peuvent être compris non pas comme des reflets de la réalité ou les produits de préjugés irrationnels (pour ne citer que deux des options couramment privilégiées par les historiens), mais comme la prévalence d’habitudes de pensée critique fondamentales de ces cultures, sans cesse transformées par leur application à de nouvelles thématiques.
Loin d’abattre l’idole de l’antijudaïsme, les penseurs des Lumières lui ont offert un nouveau culte, en représentant leurs adversaires comme étant sous l’emprise du littéralisme, de la superstition et de l’aveuglement « juifs ».
La capacité créatrice de ces habitudes de pensée ne disparaît pas avec le siècle des Lumières. Spinoza, Bayle, Voltaire, Kant et bien d’autres se sont attaqués aux « idoles de la pensée » qui, selon eux, sous-tendaient la superstition, l’intolérance et l’injustice de leur ordre politique chrétien. « Osez savoir ! Brisez l’infâme ! », proclamaient-ils avec leurs collègues. Mais loin d’abattre l’idole de l’antijudaïsme, ils lui ont offert un nouveau culte, en représentant leurs adversaires comme étant sous l’emprise du littéralisme, de la superstition et de l’aveuglement « juifs ». Ces adversaires étaient des rois, des tribunaux et des ecclésiastiques chrétiens, mais la lutte était dirigée contre « L’esprit du judaïsme », pour reprendre le titre du livre du baron d’Holbach paru en 1770. Tous les contemporains de ce dernier ont compris que l’exhortation du livre — « Osez donc, ô Europe ! Brisez le joug insupportable des préjugés dont vous êtes affligés » — était un appel à se libérer d’habitudes de pensées « juives » (pour d’Holbach) telles que la religion organisée.
Les défenseurs de l’ordre chrétien traditionnel proférèrent le même type d’accusation à l’encontre de leurs détracteurs du siècle des Lumières. Leurs adversaires étaient des matérialistes, des littéralistes, des « Juifs » et des « Pharisiens » qui refusaient de reconnaître un dieu autre que la raison humaine et le monde matériel et qui traitaient les liens sociaux et politiques comme de simples contrats commerciaux. Des deux côtés, le discours critique de l’antijudaïsme devint si important que, dans les années 1790, les plus grands penseurs pouvaient débattre de la question de savoir si la Révolution française représentait une victoire des « courtiers juifs », qui aurait éteint à jamais « la gloire de l’Europe » (Edmund Burke), ou la défaite d’un ordre « juif » qui aurait transformé les Constitutions en « livres morts » composés de « lettres dures et inflexibles » et réduit les sujets à l’état d’animaux « dans la contradiction la plus flagrante de l’esprit de l’humanité » (Johann Gottlieb Fichte).
Bien que le nombre de juifs dans la France révolutionnaire ait été extrêmement faible, le rôle du judaïsme dans ces débats a revêtu une importance majeure. Ce rôle primordial s’explique par une longue généalogie de la pensée ayant placé le judaïsme au centre des questions et des distinctions les plus vitales de la culture européenne. Qu’il s’agisse de distinguer entre « l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la foi et l’intellect [ou] la liberté et la nécessité » (la liste est de Hegel), l’Europe occidentale et ses héritiers ont appris à penser tous ces éléments en termes de « judéité ».
Hegel lui-même n’était pas différent. De fait, il considérait sa propre philosophie comme un dépassement du « judaïsme » imprégnant toutes les philosophies antérieures, en particulier celle de Kant (également comprise comme une lutte contre le « judaïsme »). Hegel voyait dans les travaux de ses prédécesseurs « le principe juif consistant à opposer la pensée à la réalité, la raison au sens », une opposition qu’il proposait de surmonter par une synthèse dialectique modelée sur l’incarnation du Christ. Pour certains, il s’agissait d’une solution heureuse. Mais pour d’autres, comme Schopenhauer, c’était la philosophie de Hegel qui représentait la « mythologie juive » et les hégéliens qui puaient, pour reprendre ses termes, le judaïsme.
De la musique aux mathématiques, chaque domaine de pensée moderne a produit son discours critique de l’antijudaïsme. Mais gardons-nous de confondre le « judaïsme » produit par ce discours avec ce que nous entendons par les « vrais » juifs ou le « vrai » judaïsme.
Seule la prise au sérieux de la logique qui sous-tend ce discours « judaïsant » nous permet de comprendre comment non seulement la philosophie, mais aussi l’ensemble de la culture occidentale moderne, peuvent être critiquées de manière pertinente à l’aune du judaïsme. De la musique aux mathématiques, chaque domaine de pensée moderne a produit son discours critique de l’antijudaïsme. Comme l’a fait remarquer un politicien autrichien en 1907, « la culture est ce qu’un Juif plagie d’un autre ». Mais gardons-nous de confondre le « judaïsme » produit par ce discours avec ce que nous entendons par les « vrais » juifs ou le « vrai » judaïsme. Sur les 112 artistes condamnés au nom de leur « judaïté » lors de l’exposition nazie sur « l’art dégénéré » en 1937, seuls six étaient juifs « de race ». On pourrait en dire autant de nombreux musiciens (comme Hindemith) ou mathématiciens (Ernst Zermelo, David Hilbert) et d’une légion d’autres personnalités dont l’œuvre a été dénoncée par les nazis comme « juive ».
Les nazis ont été les promoteurs les plus acharnés et les plus efficaces de ce discours, se présentant comme rebelles à une pensée faussement critique ayant asservi le monde au judaïsme. « L’ère de l’intellectualisme juif rampant est désormais révolue », a déclaré Goebbels lors d’un autodafé de livres non allemands en 1933. Mais le succès de sa diffusion — autrement dit, le fait qu’il ait réussi à mobiliser une grande partie de l’Europe dans une tentative de purge meurtrière du judaïsme qui l’affligeait — ne peut s’expliquer ni par la fonction « réelle » des juifs en Europe ni par quelque fantasme excentrique imposé à une population par une puissante machine de propagande. Ce succès s’inscrit dans une histoire ayant intégré la menace du judaïsme dans certains des concepts les plus fondamentaux de la pensée occidentale, régénérant cette menace sous de nouvelles formes à chaque nouvelle époque et aidant de nombreux citoyens européens, même parmi les plus éduqués et les plus critiques, à donner un sens à leur monde. Sans comprendre cette histoire, nous ne pouvons pas saisir comment une société a pu si terriblement se méprendre sur la nature des dangers qui l’assaillaient.
Nous vivons à une époque qui a ses propres « questions juives », une époque où des millions de personnes sont exposées quotidiennement à une variante de l’argument selon lequel la meilleure façon d’expliquer les défis du monde dans lequel elles vivent est de convoquer « Israël ». Comme Arendt, de nombreux penseurs critiques autoproclamés d’aujourd’hui rejettent la possibilité que l’histoire de la pensée sur le judaïsme puisse nous apprendre quoi que ce soit de vital sur ces questions pressantes. Certains considèrent que de telles histoires ne sont rien d’autre que des plaidoyers spéciaux, c’est-à-dire des tentatives de nier la responsabilité d’un peuple dans les critiques qui lui sont adressées (comme, par exemple, lorsque l’histoire de l’antisémitisme ou de la Shoah est invoquée pour faire taire les critiques de l’État d’Israël). Trop souvent, ils ont raison : l’histoire peut facilement devenir peu propice à la réflexion et entraver ainsi la critique au lieu de la faire progresser.
Pourtant, il me semble que le plus grand danger consiste à croire trop facilement que notre réalisme ne doit rien à notre passé. Nous faisons notre propre histoire, mais nous ne la faisons pas comme bon nous semble, et la conscience de la pesanteur que le passé exerce sur notre esprit peut nous aider à comprendre la façon dont nous voyons le monde.
La pensée occidentale a intégré la menace du judaïsme dans certains de ses concepts les plus fondamentaux, régénérant cette menace sous de nouvelles formes à chaque nouvelle époque et aidant de nombreux citoyens européens, même parmi les plus éduqués et les plus critiques, à donner un sens à leur monde.
Mon livre se termine en 1948, mais permettez-moi de conclure par quelques exemples actuels. En voici un : en Europe occidentale et en Amérique du Nord, l’un des discours politiques nationalistes et racistes les plus percutants s’appelle la « théorie du remplacement », c’est-à-dire l’idée que des puissances juives conspiratrices s’efforcent de remplacer les majorités chrétiennes blanches dans des pays comme la France (pensez au livre de Renaud Camus de 2011 intitulé « Le Grand Remplacement »), l’Allemagne, la Hongrie, le Royaume-Uni, le Canada ou les États-Unis par des immigrants non blancs ou non chrétiens (en particulier des musulmans). Ces idées inspirent des mouvements politiques, mais aussi des meurtriers de masse. L’assassinat de 11 fidèles juifs à Pittsburgh en 2018 et de 51 fidèles musulmans à Christchurch en Nouvelle-Zélande en est la preuve.
La théorie du remplacement est à certains égards moderne, voire post-moderne, et tout à fait d’actualité. Mais elle s’appuie également sur des idées très anciennes. Robert Bowers, le meurtrier de Pittsburgh, a choisi pour son dernier message sur les réseaux sociaux les mots que Jésus avait adressés « à certains Juifs qui l’avaient cru » dans l’Évangile selon Jean, chapitre 8, verset 44 : « Vous êtes issus de votre père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père ».
Permettez-moi de m’attarder un instant sur ce dernier exemple, afin de souligner une évidence. Ce n’est pas seulement la pérennité de ces idées qui les rend dangereuses, mais aussi la manière dont elles sont historiquement enracinées dans des réservoirs religieux qui renferment bon nombre des aspirations les plus élevées de l’humanité, en l’occurrence le Nouveau Testament. Quelle est la profondeur de ces racines historiques ? Je m’en tiendrai à cet exemple. Environ 160 ans après la naissance de Jésus, un obscur auteur nommé Heraclion Philologus a écrit un commentaire sur l’Évangile de Jean dans lequel il s’oppose aux premiers chrétiens qui prétendaient apparemment, sur la base de ce verset, que les juifs descendaient de Satan. Selon lui, en tant que force purement négative, le diable ne pouvait pas créer la vie et, par conséquent, les juifs ne pouvaient pas être les véritables enfants de Satan. Mais cette limitation du démoniaque fut repoussée comme une hérésie par son quasi-contemporain Tertullien, dont les enseignements ont jeté les bases d’une grande partie de ce que nous appelons aujourd’hui la théologie catholique. Celui-ci préférait souligner le pouvoir créatif de la semence de Satan qui transmet ce potentiel à sa postérité.
La semence de Satan est un bon exemple de la façon dont de très vieilles idées sur les juifs, déjà véhiculées par certaines interprétations anciennes des Écritures, continuent d’influencer les attitudes à l’égard des intéressés à l’heure actuelle. Mais il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin dans le temps. Les théories du remplacement se retrouvent également dans les sources de nos philosophies critiques modernes.
Emmanuel Kant, par exemple, semblait parfois considérer l’histoire de l’humanité comme une longue lutte entre les races, dans laquelle la victoire ne viendrait qu’avec le remplacement du non-Blanc par le Blanc. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en détail les écrits de Kant sur la race (tels que « Von der vershiedenen Rassen der Menschen » [Des différentes races humaines] de 1775/1777), ni d’explorer sa propre correspondance entre l’histoire raciale et l’histoire biblique (par exemple dans son « Mutmaßlicher Anfang der Menschengeschichte » [Supposé début de l’histoire humaine] de 1786). Pour simplifier, nous pouvons dire que Kant divise les races en deux catégories fondamentales, la blanche et la noire[1], qu’il considère comme en lutte.
Dans sa série de conférences Menschenkunde (1781-1782) consacrée à la connaissance de l’homme et dans des notes inédites de la même période, Kant semble convaincu que « la race des Blancs contient en elle-même toutes les motivations et tous les talents », tandis que les Noirs « peuvent être éduqués, mais seulement pour être serviteurs ». C’est pourquoi, comme il le dit dans une note privée (Reflexionen 1520) : « Alle racen werden ausgerottet warden » [Toutes les races seront éliminées] parce qu’elles sont trop serviles ou trop têtues. « Mais jamais celle des Blancs »,[2] à moins que les races inférieures ne reçoivent de l’aide. De qui ? La réponse ne vous surprendra pas. Dans son « Anthropologie d’un point de vue pragmatique », Kant décrit l’autre race, la non blanche, comme incapable de s’abstraire du corps et de la matérialité. Il se tourne ensuite vers les juifs, auxquels il attribue des caractéristiques analogues, conformément à la théologie chrétienne. Mais les juifs sont beaucoup plus dangereux, poursuit-il, parce qu’ils sont proches de la blancheur, à la fois racialement et socialement. Ce sont des « Palestiniens vivant parmi nous », des ennemis de l’intérieur, dont la présence — semble craindre Kant — pourrait mettre en péril tout le progrès auquel ses lumières sont dédiées[3].
Mon propos n’est pas de prétendre que l’on peut tracer une ligne droite entre l’Évangile de Jean ou les écrits de Kant et les manifestes des penseurs antijuifs, antimusulmans ou anti-noirs d’aujourd’hui. Ce que je veux dire, c’est que les idéologies, les idéaux et les idées du présent peuvent puiser dans des réservoirs hérités du passé sans que nous en soyons conscients. En fait, plus ces interactions sont nombreuses, plus il est difficile d’en prendre conscience, car elles font désormais partie de notre environnement cognitif, de nos habitudes de pensée critique.
Je vais donc poser de la manière la plus explicite possible une question qui me préoccupe. Nombreux sont nos contemporains de bonne volonté s’efforçant d’améliorer ce monde et non de le détériorer. Se pourrait-il qu’ils soient enfermés dans une époque semblable à celle qu’Hanna Arendt a dû traverser ? Vivons-nous un moment où l’antijudaïsme est de plus en plus répandu, où il devient acceptable en tant que langage critique dans de nombreuses composantes du spectre politique, alors que nous sommes collectivement incapables ou réticents à détecter et à nommer le danger, précisément parce que l’antisémitisme d’aujourd’hui se présente (comme il l’a souvent fait dans le passé) comme une critique des réalités d’un pouvoir injuste dans le présent ?
L’exemple le plus difficile est, bien sûr, la question d’Israël qui occupe aujourd’hui presque autant de terrain que ce que Marx et d’autres appelaient « la question juive », qui surgit dans presque toutes les discussions sur l’antisémitisme et domine même les efforts visant à définir ce terme. En ce moment, par exemple, une controverse sur la définition opérationnelle de l’antisémitisme (également appelée définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) fait rage. Je n’aborderai pas cette controverse, ni la question d’Israël, si ce n’est pour dire qu’une fois de plus, il semble que nous nous retrouvions, en notre qualité de penseurs critiques de bonne volonté — de gauche, de droite ou du centre — à essayer de faire la distinction entre la « réalité » et les préjugés antijuifs. La ligne de démarcation est désormais tracée entre, d’une part, la « critique légitime » des juifs, c’est-à-dire la critique des juifs en tant qu’agents réels dans un monde imparfait et, d’autre part, un « antisémitisme inacceptable » qui déforme la réalité et fait des juifs, de manière outrancière, des ennemis du bien, des obstacles majeurs à l’amélioration de ce monde imparfait.
Le glissement entre la « réalité » et les « idées antisémites » se révèle très difficile à détecter, même pour les passionnés de savoir les plus subtils.
Je ne prétends pas qu’il est vain de vouloir tracer de telles lignes de démarcation. Mais je dis que, ce faisant, nous ne devons pas oublier que l’histoire de la réflexion sur le judaïsme a elle-même façonné notre propre perception de la place qu’il occupe dans le monde, autrement dit de notre perception de la réalité juive. Si l’on oublie cela, on devient incapable de reconnaître l’antijudaïsme, sauf peut-être dans le discours de « l’autre » (lorsque la gauche dénonce la droite et inversement), mais jamais dans le nôtre.
On pourrait situer le danger en rappelant que, dans la première moitié du XXe siècle, la réalité de l’inégalité économique et les différences de pouvoir criantes entre capital et travail ont empêché de percevoir la puissance grotesque de l’antisémitisme à l’œuvre dans la société européenne. Les réalités de l’inégalité et les différences marquées de pouvoir dans nos sociétés contemporaines ont-elles un effet semblable, c’est-à-dire nous empêchent-elles de voir le pouvoir croissant que l’antijudaïsme est en train d’acquérir à notre époque et dans notre région ?
Je ne voudrais pas vous démoraliser. Permettez-moi donc de conclure sur un message positif. L’histoire peut nous faire prendre conscience que la « réalité » et les « préjugés antijuifs » ne sont pas indépendants l’un de l’autre, qu’il est facile de glisser de l’un à l’autre sans s’en apercevoir. Ceci, même lorsque nous défendons nos idéaux les plus élevés, précisément parce que ces idéaux ont souvent été construits au cours d’une longue histoire de réflexion sur les dangers du judaïsme.
Le glissement entre la « réalité » et les « idées antisémites » se révèle très difficile à détecter, même pour les passionnés de savoir les plus subtils. Prendre conscience du terrifiant cheminement que ce glissement a accompli à différents moments du passé constitue l’un des meilleurs moyens de cultiver une sensibilité au danger actuel. C’est le cadeau que l’histoire de l’antijudaïsme peut offrir au présent et à l’avenir.
Des historiens espèrent que les préjugés perdront de leur force si les gens comprennent à quel point ils sont usés et ont échoué à apporter l’avenir meilleur que leurs adeptes promettaient. Cet espoir a souvent été déçu. L’histoire n’est pas une amulette magique à laquelle nous pouvons nous frotter pour nous protéger des dangers qui nous guettent dans un monde en mutation. Mais elle nous rappelle avec force comment les générations précédentes se sont débattues avec des problèmes semblables aux nôtres et constitue un précieux cadeau d’humilité en cette époque si riche en convictions passionnées. Lorsqu’il s’agit d’affronter les préjugés, les idées reçues, les habitudes de pensée, nous avons besoin de toute l’aide qu’une bonne généalogie des idées peut nous offrir.
David Niremberg
Merci à David Nirenberg de nous avoir permis de publier la version écrite de sa conférence.
David Nirenberg est né en Argentine en 1964. Il a enseigné à l’Université de Chicago, où il a été membre du ‘Committee on Social Thought’. Il dirige aujourd’hui l’’Institute for Advanced Study’ à Princeton, l’un des centres de recherche les plus prestigieux au monde. Il a travaillé sur les minorités au Moyen Age [‘Violence et minorités au Moyen Age’, Presses Universitaires de France (2001)]. Son livre ‘Anti-Judaism – The Western Tradition’, paru en 2013 — et disponible en traduction française dans quelques mois chez Labor et Fides – marque un tournant dans le domaine des études juives.
Notes
1 | Dans son ouvrage intitulé « Des différentes races humaines », Kant n’explicite pas cette division, se contentant d’affirmer qu’elle est évidente ; voir l’Édition de l’Académie de ses Œuvres complètes [Akademie-Ausgabe Gesammelte Schriften (Berlin : G. Reimer, 1910), 2:432-33] et Carter, J. Kameron, « Race : A Theological Account ». New York: Oxford University Press, 2008, 84. |
2 | « La race des blancs » : Akademie-Ausgabe, 25.2.1187-88 ; cité dans Carter, « Race », opus précité, 91. « Toutes les races… » : Akademie-Ausgabe, 15:878 et Carter, 92 |
3 | Immanuel Kant, « Anthropologie du point de vue pragmatique », traduit par Alain Renaut. Paris : Flammarion, 1983. Voir aussi Akademie-Ausgabe, 7:205 et Carter, « Race », 104. |