Quand l’Allemagne se bat contre l’antisémitisme. Deuxième partie

Alors que l’Allemagne bataille toujours avec les spectres de son passé, sa réponse à la montée contemporaine de l’antisémitisme vient interroger la complexité de cohésion nationale. Les mesures récemment prises pour combattre ce fléau à tous les niveaux de la société illustrent la manière dont, à une authentique préoccupation pour la vie juive, peuvent venir se mêler des manœuvres politiques. La seconde partie de l’enquête menée par Monty Ott dans le cadre de notre partenariat avec la DILCRAH interroge les enjeux éthiques et sociétaux de la lutte allemande contre l’antisémitisme.

 

La police délimite un trottoir à Berlin-Neukölln lors d’une visite de l’ambassadeur d’Israël (2023) Source : Fabian Sommer / dpa

 

 

>>> Lire la première partie de l’enquête de Monty Ott

 

Les paragraphes qui suivent dressent un panorama des mesures prises par l’État pour lutter contre l’antisémitisme. Il convient de faire une distinction entre les mesures mises en œuvre avant et après le 7 octobre 2023.

 

Avant le 7 octobre

Mise en place de commissaires contre l’antisémitisme

L’une des décisions politiques les plus lourdes de conséquences à ce jour a probablement été la mise en place de commissaires contre l’antisémitisme, tant au niveau fédéral qu’à celui des Länder. Cette initiative a vu le jour le 18 janvier 2018 avec la création du poste de Commissaire du gouvernement fédéral pour la vie juive en Allemagne et la lutte contre l’antisémitisme. Cette mesure était directement liée à « la discussion intensive sur l’augmentation de l’antisémitisme en Allemagne et la question de savoir comment ce phénomène pourrait le mieux être contré au niveau fédéral ». Le 1er mai 2018, Felix Klein a été nommé à ce poste avec le soutien du Conseil central des Juifs d’Allemagne ; l’intéressé travaillait depuis 2014 en tant que représentant spécial pour les relations avec les organisations juives et les questions d’antisémitisme au sein du ministère fédéral des Affaires étrangères. Il est chargé de « coordonner les mesures prises par le gouvernement fédéral pour lutter contre l’antisémitisme dans tous les ministères » et de « servir de point de contact pour les groupes juifs et les organisations de la société civile, ainsi que de médiateur concernant la lutte contre l’antisémitisme menée par le gouvernement fédéral, les États fédérés et la société civile ». Félix Klein est également chargé de « sensibiliser la société aux formes actuelles et historiques de l’antisémitisme par un travail de relations publiques et d’éducation politique et culturelle ». Ce mandat repose sur une résolution interpartis adoptée par le Bundestag en janvier 2018.

Sur son site Web, le commissaire énumère une série de mesures qu’il a mises en œuvre depuis sa nomination il y a six ans. Il s’agit notamment de la création d’une « commission fédérale permanente » (septembre 2019) chargée de coordonner les mesures prises au niveau central et à celui des Länder ; de la mise sur pied d’un groupe consultatif composé d’experts juifs et non juifs (septembre 2019) ; de la promotion du recensement des incidents antisémites inférieurs au seuil de responsabilité pénale ; de la promotion de la coopération entre la société civile et les forces de sécurité ; et du financement à long terme de la recherche sur l’antisémitisme.

Felix Klein, Commissaire du gouvernement fédéral pour la vie juive en Allemagne et la lutte contre l’antisémitisme. 

En outre, dans le cadre d’échanges intensifs avec les organisations juives, le commissaire a élaboré une « Stratégie nationale contre l’antisémitisme et pour la vie juive » (NASAS) laquelle a été présentée et adoptée par la ministre fédérale de l’Intérieur Nancy Faeser (SPD) le 30 novembre 2022. L’objectif est « d’adopter une approche globale qui intègre la recherche, la prévention et la lutte contre l’antisémitisme, tout en promouvant la vie juive. Cette démarche se veut transversale, transcendant les différents domaines politiques et niveaux administratifs »[1]. À cette fin, cinq grands domaines d’action ont été identifiés (collecte de données ; recherche et prise de conscience de la situation ; éducation en tant que moyen de prévention de l’antisémitisme ; culture du souvenir, conscience historique et commémoration ; lutte répressive contre l’antisémitisme et sécurité ; présent et passé juifs) dans lesquels s’inscrivent des « mandats d’action » issus de trois « dimensions transversales » (perspective des personnes affectées, éducation structurelle, numérisation. À cette fin, la « stratégie » vise à traiter l’antisémitisme en tant que problème pour la société dans son ensemble.

L’une des décisions politiques les plus lourdes de conséquences à ce jour a probablement été la mise en place de commissaires contre l’antisémitisme, tant au niveau fédéral qu’à celui des Länder.

Presque tous les États fédérés ont également créé des postes, à plein temps ou bénévoles, afin de lutter contre l’antisémitisme au niveau du Land. À Brême, la communauté juive[2] et le maire Andreas Bovenschulte (SPD) se sont abstenus de mettre en place un commissaire indépendant, cette tâche étant dévolue au chef du service de la chancellerie du Sénat. La ville de Bamberg[3] et le district berlinois de Lichtenberg, par exemple, ont également nommé leur propre commissaire. La police de Bavière et de Berlin a créé des postes de commissaire et des rabbins de police ont été nommés dans le Bade-Wurtemberg et la Saxe-Anhalt. Les parquets du Bade-Wurtemberg, de Bavière, de Berlin, de Hesse et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont eux aussi créé des postes de commissaires.

Motions relatives au BDS

Les résolutions sur la campagne de boycott d’Israël « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) ont suscité d’importantes controverses dans le contexte des stratégies nationales de lutte contre l’antisémitisme. Cette situation trouve vraisemblablement son origine au sein des Jeunes Verts de Bavière. Lors de son conseil du Land en juillet 2017, cette formation a adopté successivement une résolution contre toute coopération avec la campagne BDS et une motion intitulée « Non à l’antisémitisme. Non au BDS ! ». Dans cette dernière, la campagne BDS était décrite « comme intégralement antisémite, anti-israélienne, réactionnaire et obscurantiste ». Les Verts bavarois déclaraient ainsi leur opposition à « tous les efforts déployés dans le cadre de la campagne BDS » et voulaient contrecarrer ces derniers par un « travail d’éducation ». Toute coopération devait être rejetée. Tous les partis (à l’exception du SPD) ont suivi le mouvement et adopté des motions similaires sur le BDS ou le boycott d’Israël.

En mai 2019, le Bundestag allemand a également adopté la motion interpartis (CDU/CSU, SPD, FDP, Alliance 90/Les Verts) « Contrer résolument le mouvement BDS – Combattre l’antisémitisme ». L’initiative de cette résolution revenait aux députés Frank Müller-Rosentritt et Bijan Djir-Sarai, alors porte-parole du groupe parlementaire du FDP pour la politique étrangère, en vertu d’une décision dudit groupe. Cette motion est l’expression commune de la volonté et de l’opinion des partis démocratiques représentés au Bundestag, lesquels tenaient absolument à se démarquer de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui avait présenté sa propre motion. Six points sont abordés dans la motion interpartis : la condamnation de la campagne BDS ; l’absence de soutien du Bundestag et du gouvernement fédéral ; le soutien au commissaire fédéral contre l’antisémitisme ; l’absence de soutien financier aux organisations « qui remettent en cause le droit à l’existence d’Israël » ou aux projets qui soutiennent le BDS et ses objectifs ; ainsi qu’un appel aux Länder, aux villes et aux municipalités et à tous les acteurs publics pour qu’ils « se joignent à cette prise de position ». Une action en justice a été intentée pour contester la « Motion BDS ». Les plaignants faisaient valoir que leur droit fondamental à la liberté d’expression et de réunion avait été restreint et qu’ils avaient été qualifiés d’« antisémites » alors qu’ils n’avaient fait que « critiquer Israël ». En 2023, le tribunal administratif supérieur de Berlin a statué en appel et s’est déclaré incompétent, « le contrôle au fond de la décision en tant que telle […] étant réservé à la Cour constitutionnelle fédérale ». La critique de la décision tenait principalement à son impact sur les autorités locales. Le Bundestag avait d’ailleurs salué le fait que « nombre de municipalités ont déjà décidé de refuser le soutien financier et l’attribution de locaux municipaux au mouvement BDS ou à des groupes poursuivant les objectifs de cette campagne ». En 2017, par exemple, Munich et Francfort-sur-le-Main ont décidé de ne plus mettre de locaux municipaux à disposition. Des actions en justice ont été intentées à plusieurs reprises contre ces décisions et ce n’est qu’en novembre 2020 que le tribunal administratif de Bavière a estimé que les interdictions générales sont inadmissibles, cet arrêt ayant été ensuite confirmé en janvier 2022 par le tribunal administratif fédéral. Pour les juges, en effet, une interdiction d’une portée aussi globale ne pourrait s’appliquer qu’en vertu d’une loi prévoyant une telle mesure.

« Libérez la Palestine de la culpabilité allemande », pancarte à une manifestation, Berlin, 2024. 

En 2019, quatre des cinq principales associations d’étudiants des universités, ainsi que le Young Forum of the German-Israeli Society et la Jewish Student Union Germany, ont adopté la résolution « Contre le BDS et tout antisémitisme ». Dans ce texte, lesdites organisations reconnaissent le droit d’Israël à exister et à assurer sa sécurité, considèrent l’antisémitisme sous toutes ses formes comme une menace pour la vie juive et la démocratie, appellent à la création de chaires dans le domaine de la recherche sur l’antisémitisme, condamnent la campagne BDS et soutiennent la définition de travail de l’IHRA[4]. Par la suite, la conférence des recteurs allemands a également adopté une résolution semblable.

Adoption de la définition de l’IHRA

La « définition de travail de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste » (définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA), également mentionnée dans la motion, a également fait l’objet de débats polémiques. Adoptée par le gouvernement allemand en septembre 2017, elle sert désormais de « base à une compréhension commune de l’antisémitisme au niveau national ». Plusieurs autres acteurs de la société civile et de la vie politique ont adopté la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA comme base de leur action, y compris, par exemple, la Ligue allemande de football et de grandes entreprises telles que la Deutsche Bahn, Daimler et Lufthansa.

L’une des critiques formulées à l’encontre de la définition de travail de l’IHRA est que sa « formulation […] est pour le moins trompeuse »[5]. Le principal point d’achoppement porte sur le fait de savoir dans quelle mesure la critique de l’action des gouvernements israéliens diffère fondamentalement du racisme et d’autres idéologies inégalitaires[6]. Dans ce contexte également, d’aucuns ont argué que la définition de travail de l’IHRA de l’antisémitisme, de même que son interprétation extensive par le gouvernement allemand, entraînent des restrictions à la liberté d’expression, à la liberté artistique et à la liberté de réunion.

Autres mesures

Avant le 7 octobre 2023, de nombreuses autres mesures avaient déjà été adoptées qui affectaient directement ou indirectement la lutte contre l’antisémitisme. Il n’est pas possible de les énumérer et de les analyser une par une dans la présente étude. Toutefois, il convient de souligner en particulier l’interdiction d’activité et les perquisitions contre l’organisation terroriste chiite libanaise Hezbollah en Allemagne (2020)[7], la Loi de 2017 fixant les modalités de l’application de la Loi sur les réseaux informatiques (NetzDG) et les mesures annoncées par le ministre d’État à la Culture et aux Médias à la suite du débat sur les œuvres d’art antisémites exposées lors de la quinzième édition de la Documenta.

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Après le 7 octobre

Le 7 octobre et la peur croissante des Juifs d’Allemagne face aux menaces du Hamas ont également conduit le législateur et l’exécutif à prendre des mesures. La première et la plus évidente a été le renforcement des mesures de sécurité autour des institutions juives, en concertation avec les ministres de l’Intérieur de l’État fédéral et des Länder et les communautés juives[8].

En particulier, les acclamations de membres et de sympathisants de l’organisation Samidoun (une vitrine du FPLP) ont été l’occasion d’appeler à l’interdiction des manifestations de solidarité pro-palestinienne lors de rassemblements ou dans les écoles. Dans une circulaire datée du 13 octobre, le sénateur pour l’Éducation, la Jeunesse et la Famille du Land de Berlin a demandé que le port de symboles n’étant pas normalement interdits par le droit pénal — tels que des autocollants portant des inscriptions comme « Free Palestine » ou le prétendu couvre-chef palestinien, le keffiyeh — soit proscrit afin de maintenir la paix dans les écoles. La proportionnalité de ces mesures doit être évaluée par les responsables sur le terrain. Dans certains cas, des manifestations pro-palestiniennes ont été interdites à l’issue de vérifications ayant révélé que leurs organisateurs avaient déjà commis des infractions pénales telles que l’incitation à la haine. Cependant, les acteurs pro-palestiniens ont souvent affirmé dans les médias qu’il s’agissait d’interdictions générales de rassemblement, ce qui n’est pas le cas, même si un grand nombre de réunions ont été interdites. À ce jour, les rassemblements pro-palestiniens à Berlin sont soumis à des conditions qui interdisent la promotion du Hezbollah, du Hamas, du FPLP, de Samidoun et du Hizb ut-Tahrir.

Contenu du tweet : Samidoun, l’organisation vitrine du FPLP, célèbre l’attaque terroriste contre Israël comme une « victoire pour la résistance ». Ils distribuent des sucreries sur Sonnenallee dans Berlin-Neukölln.

Le 12 octobre, le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD) a demandé l’interdiction du Hamas et de Samidoun dans sa déclaration gouvernementale, une mesure qui sera appliquée par le ministre fédéral de l’Intérieur le 2 novembre. Faeser a également dissous la branche allemande de Samidoun. Dans ce contexte, d’aucuns ont critiqué le fait qu’il a fallu attendre les massacres du 7 octobre pour appliquer cette interdiction alors que l’orientation clairement génocidaire et antisémite du Hamas n’a jamais fait le moindre doute. Il en va de même pour Samidoun, dont les liens avec le FPLP étaient bien connus. En outre, il s’est écoulé près de deux semaines entre la déclaration du chancelier et la mise en œuvre de l’interdiction par le ministre fédéral de l’Intérieur.

Toute lutte efficace contre l’antisémitisme sous ses diverses formes doit aborder ce sujet comme un phénomène affectant la société dans son ensemble.

Outre un certain nombre de mesures immédiates, d’autres mesures à plus long terme ont été décidées. Elles font notamment l’objet des motions de la coalition gouvernementale et du groupe parlementaire CDU/CSU du 9 novembre, de la décision de la conférence des ministres de l’Éducation et des Affaires culturelles et de l’augmentation de l’enveloppe budgétaire allouée aux institutions et organisations juives qui effectuent un travail d’éducation et de surveillance dans le domaine de l’antisémitisme. Les motions pertinentes ont été renvoyées en commission lors d’un débat connexe au Bundestag et feront l’objet d’une discussion ultérieure[9].

Classification des mesures

Il a été démontré que, indépendamment du contexte spécifique de la société post-nazie, la lutte contre l’antisémitisme par le biais de mesures étatiques s’accompagne souvent de processus visant à trouver un équilibre délicat entre plusieurs considérations juridiques. Ces processus sont d’autant plus laborieux que l’examen du passé allemand est largement insuffisant, en particulier dans le contexte des débats sociétaux.

La complexité de la situation augmente encore si l’on considère que la société allemande n’est pas uniquement post-nazie, mais aussi postcoloniale. Il faut donc souligner que non seulement l’antisémitisme, le national-socialisme et la Shoah ont été insuffisamment traités — en dehors de la recherche universitaire (historique) — mais aussi le colonialisme, le racisme et le Porajmos.

Toute lutte efficace contre l’antisémitisme sous ses diverses formes doit aborder ce sujet comme un phénomène affectant la société dans son ensemble. La nomination de commissaires contre l’antisémitisme et l’adoption d’une définition commune semblent fondamentalement répondre à cet objectif. La NASAS s’y conforme également. Malgré tout, il s’agit des premiers pas dans un nouveau domaine d’activité politique. Comme l’a noté Salzborn, le processus en est encore à sa phase initiale, malgré les premières mesures qui ont été prises.

La critique souligne que certaines voix prétendent lutter contre l’antisémitisme, mais le perçoivent en réalité comme un problème limité à un groupe spécifique, sans tenir compte de son impact sur l’ensemble de la société. Dans le sillage du 7 octobre, un certain nombre de mesures ont été demandées qui ont manifestement tenté d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme pour servir d’autres agendas politiques. En particulier, il apparaît que la demande de conditions plus strictes — dont l’efficacité peut être mise en doute — en matière de droit de séjour semble être la continuation d’un débat parallèle antérieur sur la politique migratoire d’une part, et une tentative de présenter des solutions rapides et simplistes d’autre part. Les doutes concernant cette exigence découlent du fait qu’un grand nombre des acteurs ayant suscité ce débat détiennent un passeport allemand et que le retrait de ce document ne serait de toute façon possible que pour les doubles nationaux (à condition que cette mesure ne vienne pas sanctionner des agissements passés).

Dans le sillage du 7 octobre, un certain nombre de mesures ont été demandées ayant manifestement tenté d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme pour servir d’autres agendas politiques.

Il est indéniable que l’unilatéralisme et la reproduction du racisme sont des phénomènes récurrents. C’est ce qui ressort notamment du comportement de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), un parti d’extrême droite. En 2020, la page Facebook officielle de l’AfD a tenté de minimiser l’importance de l’antisémitisme d’extrême droite, le qualifiant de « quantitativement et qualitativement mineur » comparé à ce qu’ils ont appelé la « haine des musulmans envers les juifs »[10]. Cette rhétorique s’inscrit dans une tendance plus large visant à sous-estimer l’antisémitisme présent « au cœur » de la société et parmi les mouvements de droite et à surestimer l’antisémitisme attribué à la gauche politique et aux communautés perçues comme « musulmanes » ou « immigrées ». Ni l’antisémitisme au sein de la gauche politique[11] ni celui présent au sein des communautés musulmanes ne peuvent être niés[12]. Cependant, il convient d’abord de noter que l’antisémitisme dans les mouvements socialistes et féministes est « historiquement l’exception et non la règle », précisément parce que ces mouvements « remettent fondamentalement en question les dimensions structurelles de la socialisation bourgeoise et y réfléchissent plus que les mouvements conservateurs ou religieux »[13]. Deuxièmement, la présence d’attitudes antisémites dans certaines communautés musulmanes ne doit pas être considérée isolément, mais plutôt comprise comme un symptôme d’un problème sociétal plus large.

Même si les statistiques criminelles de la police font l’objet de critiques répétées dans ce contexte, notamment parce qu’elles qualifient généralement tous les incidents antisémites d’actés liés à la droite, on peut affirmer que l’antisémitisme continue de revêtir une importance énorme au sein des mouvements de droite et que la violence antisémite émanant de cette mouvance n’a en aucun cas diminué[14]. Les attentats de Halle (Saale) et de Hanau, ainsi que le meurtre de Walter Lübcke, découlent d’idéologies conspirationnistes antisémites, diffusées en particulier par des acteurs de droite. Il est donc crucial de s’abstenir de tout « contrebalancement » si l’on veut pouvoir lutter durablement et résolument contre l’antisémitisme.

Conclusion

Le champ des mesures étatiques dans la lutte contre l’antisémitisme étant relativement récent, il convient de toujours procéder à un examen critique de l’efficacité de ces mesures. Il faut en permanence remettre en question leur motivation et dénoncer systématiquement toute instrumentalisation et tout détournement à d’autres fins. En effet, ce type d’approche apporte de l’eau au moulin des personnes s’opposant à la lutte contre l’antisémitisme dans son ensemble parce qu’elles ne reconnaissent pas (ou ne veulent pas reconnaître) son importance et son étendue.

Diverses études ont montré qu’entre 20 et 30 % des Allemands ont intériorisé des stéréotypes antisémites latents ou manifestes. Le nombre de personne ayant une vision fermée du monde et qui ne peuvent plus être touchées par des mesures éducatives est probablement bien plus faible. Dans ce contexte, ces mesures éducatives revêtent une importance capitale. Elles sont actuellement soutenues principalement par des initiatives de la société civile qui, en raison de facteurs propres à l’ordre constitutionnel allemand, dépendent du financement de l’État plutôt que d’un financement privé. À cet égard, une « Loi sur la promotion de la démocratie », telle qu’envisagée par le gouvernement actuel, pourrait s’avérer très utile. Ladite loi pourrait favoriser les petites initiatives, en particulier à long terme. Dans le même temps, il est clair que l’antisémitisme joue un rôle majeur dans la radicalisation. Par conséquent, les auteurs dont l’antisémitisme constitue un élément essentiel de la vision du monde, par exemple sous la forme d’un récit conspirationniste, passent à l’action de manière répétée. La cruauté des événements survenus ces dernières années a révélé l’ampleur de la menace qui pèse sur les Juifs. À cet égard, à l’heure où l’antisémitisme devient de plus en plus ouvert et violent, il apparaît essentiel pour les décideurs politiques de poursuivre une stratégie globale de lutte contre ce fléau. Outre la préservation des initiatives de la société civile, cette démarche implique un examen critique du système éducatif. L’apprentissage de la capacité à agir dans la confrontation avec l’antisémitisme doit faire partie des programmes d’enseignement, de l’école à l’université en passant par la formation des adultes. Les mesures pénales entrent également en ligne de compte. Force est d’admettre un déficit en matière de transfert de connaissances et de sensibilisation.


Monty Ott

Monty Ott est un auteur de livres politiques et un consultant pour la lutte contre l’antisémitisme et la promotion de la vie juive au sein du bureau de Marlene Schönberger (Verts), membre du Bundestag allemand. Il travaille depuis plus de dix ans dans le domaine de l’éducation à la lutte contre l’antisémitisme. Au début de l’année 2023, il a publié, avec Ruben Gerczikow, « ‘Wir lassen uns nicht unterkriegen’ – Junge jüdische Politik in Deutschland » [Nous ne serons pas vaincus – La nouvelle politique juive en Allemagne] aux éditions Hentrich & Hentrich.

 

Notes

1 Voir : « Nationale Strategie der Bundesregierung gegen Antisemitismus und für jüdisches Leben« ,
2  »„Wir sehen keinen Nutzen darin“: Warum Bremens Jüdische Gemeinde auf einen Antisemitismusbeauftragten verzichten will », Tagesspiegel, 27/12/2020.
3  »Er kämpft gegen Bambergs Antisemitismus-Problem », Fraenkischertag, 11/01/2022
4 Ce paragraphe a été repris presque sans modifications de l’ouvrage de Gerczikow, Ruben et Ott, Monty : « ‘Wir lassen uns nicht unterkriegen’ – Junge jüdische Politik in Deutschland », op. cit., p. 34.
5 https://epub.uni-regensburg.de/52345/1/Hidalgo2022_Article_DerIsraelbezogeneAntisemitismu.pdf
6 Aleida Assmann : « Wie viel Geschichte braucht die Zukunft? » [De combien d’histoire l’avenir a-t-il besoin ?] in Merkur 75, n° 869 (octobre 2021), p. 5-17 et plus spécialement la p. 15.
7  »Razzien gegen Hisbollah« , Taz, 30/04/2020.
8  »Rede der Bundesministerin des Innern und für Heimat, Nancy Faeser, in der Vereinbarten Debatte zum Schutz jüdischen Lebens in Deutschland vor dem Deutschen Bundestag am 9. November 2023 in Berlin »
9 Le texte a été soumis le 1er mars 2024, date depuis laquelle aucune autre information n’a été communiquée sur la suite des délibérations relatives aux motions.
10 Citation extraite de l’article de Markus Wehner intitulé « Israels falsche Freunde » [Les faux amis d’Israël], tel qu’il est paru dans le numéro du Frankfurter Allgemeine Zeitung daté du 28 janvier 2020.
11  »Inzwischen ist es kalt geworden
« , par Monty Ott, Zeit, 22/01/2023.
12 Voir le rapport de l’AJC sur l’antisémitisme en Allemagne
13 Salzborn, Samuel : Wehrlose Demokratie? Antisemitismus und die Bedrohung der politischen Ordnung, op. cit., p. 27.
14 Voir le rapport de Gideon Botsch à ce propos

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