Les reconfigurations de la situation des juifs impliquées par le 7 octobre et la guerre qu’il a déclenchée sont ce que K. s’efforce obstinément de scruter et de comprendre. Depuis Israël, cette semaine, une perspective d’ensemble d’une ampleur et d’une précision remarquables nous est offerte par l’historien et démographe Sergio DellaPergola. Elle se distingue notamment par sa capacité à prendre en charge les deux versants du point de vue juif, israélien et diasporique. Le coup de force tient à leur articulation qui, plutôt que de les rabattre l’un sur l’autre, permet de saisir ce qui les empêche de partir à la dérive. Du côté israélien, l’expérience de l’antisémitisme génocidaire du Hamas, et la défaillance de la fonction de refuge de l’État juif, ont fait voler en éclat certaines illusions sur le dépassement de la condition diasporique. Hors d’Israël, c’est aux métamorphoses de l’antisémitisme qu’il a fallu s’affronter, et notamment à ce retournement de l’accusation de génocide envers Israël qui traduit une évolution profonde du rapport du monde occidental à la mémoire de ses crimes. Verra-t-on alors les enjeux se disjoindre, ou au contraire faire se rapprocher les deux versants ? À propos du destin des juifs, DellaPergola ne joue pas au prophète. Mais il nous offre un dessin pour se figurer l’avenir, où la meilleure issue est encore celle d’une intervention résolue de la diaspora dans la crise politique israélienne : le peuple juif doit se ressaisir de son histoire proprement moderne.

Parmi les tâches qui reviennent à l’université, sa fonction critique a une importance décisive pour la réflexivité des sociétés démocratiques. Que les réactionnaires de tous poils, goûtant peu la mise en question de leur arbitraire, cherchent à disjoindre la production du savoir de sa dimension critique n’a donc pas de quoi nous surprendre : il convient par contre de s’alarmer de l’ampleur actuelle de leur réussite, notamment sous Trump. Cependant, si la fonction critique de l’université défaille aujourd’hui, ce n’est pas uniquement pour des raisons externes. De cela témoignent les débats autour de l’appel au boycott des universités israéliennes, au sein desquels K. est déjà plusieurs fois intervenu…

 

>>> Suite de l’édito

 

Les suites du 7 octobre ont profondément reconfiguré les pratiques de l’identité et de la communauté juives, ainsi que la manière dont elles sont perçues par le reste des sociétés occidentales. Dans ce texte, le démographe Sergio DellaPergola livre le diagnostic général de ces mutations, dégageant ainsi les grandes questions qui se posent pour l’avenir des juifs.

Comment la frange la plus « critique » de l’université française justifie-t-elle son désir de boycotter les établissements d’enseignement supérieur israéliens ? Karl Kraus, s’est penché sur le rapport rédigé par quelques enseignants-chercheurs et étudiants de Sciences Po Strasbourg pour affirmer la nécessité de rompre tout partenariat avec l’université Reichman. Il n’y a découvert que le dépit de chercher le crime sans le trouver, et la perfidie de maintenir malgré tout le parti pris initial des accusateurs.

Le 3 octobre 1989, aux alentours de 18h, le Docteur Joseph Wybran, grand médecin et président du C.C.O.J.B, le CRIF belge, était abattu à bout portant sur le parking de l’hôpital Érasme de Bruxelles. Trente-trois ans plus tard, justice n’a toujours pas été rendue. Agnès Bensimon revient pour K. sur les rebondissements d'une enquête sur un assassinat dont le traitement par la police et la justice belge interroge.

Qui est invité à partager le repas de l’humanité libérée, et qu’y trouve-t-on à se mettre sous la dent ? À travers une comparaison entre le seder et le banquet gréco-romain, Ivan Segré met en évidence une conception proprement juive de la libération, et de ce qu’elle implique. Car ce qui se partage lors de ce « festin de paroles » juif, c’est le récit d’une libération qui eut lieu mais qui, pour être effective, doit se rejouer pour chaque être humain : « où en es-tu, singulièrement, avec le récit de ta propre sortie d’Égypte ? ».

Entre avril et juillet 1994, en un peu plus de trois mois, près d’un million de Tutsis ont été assassinés au Rwanda. Écrit en 2007, K. republie aujourd’hui ce texte de Stéphane Bou, à l’occasion de la semaine de commémoration du début du génocide. À l’heure où les rescapés vieillissent et où le négationnisme du crime qui les a frappés continue de circuler, il nous a semblé important de donner une nouvelle vie à ce reportage qui plongeait dans un pays encore pétrifié par l’horreur, où les souvenirs des massacres s’infusent partout, dans les mots, les silences, les corps, les paysages. Il témoigne de la durée du génocide – sa persistance psychique, sociale, politique – et du travail mémoriel propre à l’épreuve génocidaire.

Accusée par le Ministre israélien de l’Éducation d’ « idéologie anti-israélienne », la sociologue Eva Illouz a vu sa nomination au Prix Israël contestée. Dans cet entretien, elle revient sur l’affaire, dénonce les dérives autoritaires du gouvernement de Benjamin Netanyahu, et défend une position intellectuelle à la fois critique, universaliste et profondément attachée à l’État d’Israël. Pour elle, « Ce gouvernement fait comme si ceux qui se battent pour qu’Israël ne devienne pas un État paria étaient des ennemis ».

Dans un monde où l’impuissance collective ébranle les démocraties et nourrit les populismes, le recours au « passage à l’acte » devient tentant. Faust, le personnage emblématique de Goethe, et Walter White, le héros de Breaking Bad, incarnent cette fuite en avant : lorsque la compréhension échoue, la destruction et la refondation s’imposent. Mais dans ces récits de la puissance retrouvée, une figure juive surgit souvent en filigrane, accompagnant l’élan destructeur ou endossant la faute. Dans les moments où la modernité craque, que devient alors la minorité juive, se demande la philosophe Julia Christ ? Alors que nos sociétés écoutent les sirènes des solutions immédiates, elle rappelle que seule une solidarité patiemment construite peut protéger les minorités de la tyrannie du désir majoritaire.

Hadas Ragolsky, ancienne journaliste, activiste et fondatrice du mouvement Women in Red, a rencontré K. à deux reprises : la première fois dans son bureau à la mairie de Tel-Aviv en juin 2024, et la seconde il y a quelques jours. Lors de cette dernière rencontre, elle a évoqué les attaques répétées contre la démocratie, la résistance de l’opposition, et les droits des femmes, tandis qu’une partie de la société israélienne manifeste contre les actions controversées du gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Elle a notamment lancé un appel vibrant à la diaspora pour qu’elle soutienne les mouvements de protestation.

La lutte contre l’antisémitisme peut-elle être autre chose qu’une parodie dès lors qu’elle est organisée par l’extrême droite ? En invitant à venir parader sur la scène de sa « Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme » des députés de la droite autoritaire et xénophobe européenne, le ministère israélien de la Diaspora a commis une grave faute politique, qui sonne comme une trahison de sa mission. Michael Brenner rend ici compte de la dérive que représente cette initiative, et de la nasse dans laquelle elle enferme les juifs.

Qui, enfant, n’a jamais rêvé de se découvrir une filiation secrète, une obscure origine qui viendrait répondre à la lancinante question de l’identité ? Omniprésent dans la fiction, ce trope du « roman familial », bien identifié par Freud, croise parfois un semblant de réalité. C’est depuis ce point de jonction ténu qu’enquête Romain Moor, au sujet de ceux qui se découvrent marranes après l’heure.

David Hirsh était invité, en sa qualité de directeur académique du London Centre for the Study of Contemporary Antisemitism, à la Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme organisée par le ministère israélien de la Diaspora. Dans ce texte, il explique pourquoi il a choisi de ne pas participer à cette initiative qui, en faisant la part belle à l’extrême droite, décrédibilise la lutte contre l’antisémitisme et met en danger les juifs de la diaspora.

Les éditions de l’Échappée font paraître la traduction du roman écrit en yiddish par Benjamin Schlevin, Les Juifs de Belleville, publié en 1948. Cette fresque sociale plonge le lecteur dans le petit monde des immigrés juifs d’Europe centrale et de l’Est, ouvriers et artisans, militants idéalistes et arrivistes désabusés, à la veille de la défaite de 1940 et de l’Occupation. K. en publie un extrait, précédé d’une présentation d’Elena Guritanu.

Haine de la médiation et du langage, abolition des différences dans une logique du tout ou rien, rêve solipsiste où vient disparaître le monde : dans ce texte, le philosophe Gérard Bensussan propose une approche conceptuelle du nihilisme. Cette pathologie de la raison y apparaît, par-delà la diversité de ses manifestations, comme ce qui menace la pensée dès lors qu’elle oublie son dehors, pente sur laquelle glisse facilement le geste critique, et où se rencontre la vieille question juive. 

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.