Les scènes de liesse qui ont eu lieu la semaine dernière à la Knesset à l’occasion de l’accord de cessez-le-feu et de la libération des otages ont, malgré tout, laissé un drôle d’arrière-goût en bouche : celui de voir un peuple devenu souverain marquer tant de déférence à l’égard d’un souverain étranger venu le sauver, qui plus est en l’inquiétante personne de Trump. La question de l’allégeance, alors, vient interroger le sens de la politique sioniste et, plus généralement, le chemin qu’empruntent ceux qui rêvent de politique de puissance : Netanyahu ne bravait-il pas la réalité de l’isolement croissant d’Israël en proclamant son avenir de « super-Sparte », quelques jours avant d’incarner devant Trump la position du « juif de cour » ? Cette semaine, Danny Trom interroge à partir des réflexions d’Hannah Arendt ce qui a permis à Israël de conjurer jusqu’ici ce destin d’isolement spartiate sous tutelle, et ce qui peut donc être une ressource pour contrer la pente inclinée par Netanyahu. Mais, en creux de son discours, c’est une question européenne qui se dessine. Car Arendt pense dans le contexte qui a vu l’État-nation hérissé d’armes devenir criminel, et un nouveau modèle de souveraineté se dessiner : celui d’une reconnaissance horizontale entre États limités par le droit, à l’extérieur comme à l’intérieur. Au miroir de l’alternative politique que devra affronter Israël, c’est la crise d’une Europe où montent à nouveau les nationalismes réactionnaires qui se réfléchit.

Fierté mal placée et oubli des leçons de l’histoire, cela ne définit pas si mal ce qui a permis au gouvernement du parti « Droit et Justice » (PiS) de diriger la Pologne pendant presque une décennie. Alors qu’une coalition centriste a pris le pouvoir fin 2023, le chantier polonais de la lutte contre l’antisémitisme et du rapport à la mémoire de la Shoah reste donc largement en friche. Dans le cadre de notre série d’enquêtes en partenariat avec la DILCRAH, Paula Sawicka dresse le constat lucide de ce qui reste à faire en ce domaine, mais aussi des initiatives qui offrent quelque espoir.

De la richesse et de la complexité de ce que fut l’appartenance juive à la nation polonaise, c’est ce dont vient témoigner le manifeste « Nous, Juifs polonais… » du poète Julian Tuwim, dont nous publions cette semaine la traduction inédite d’André Laks. Écrit en 1944 depuis New York, alors que…

 

>>> Suite de l’édito

Sous le gouvernement Netanyahu, et avec la guerre à Gaza, l’État d’Israël s’est trouvé de plus en plus isolé sur la scène internationale. Le Premier ministre israélien, amateur de politiques de puissance et de bravades virilistes, voudrait en faire un motif de fierté : « Nous allons devenir une super-Sparte ». Mais, interroge Danny Trom, une souveraineté spartiate, n’est-ce pas une pseudo-souveraineté, en particulier pour le peuple juif ? Interrogeant les leçons politiques tirées par Hannah Arendt de l’histoire juive, le sociologue identifie alors les exigences qui s’imposent à l’État hébreu, s’il veut s’assurer d’une autonomie plus pérenne.

Dans un pays où la mémoire reste un champ de bataille, l’antisémitisme se nourrit d’oubli et de silence. La Pologne d’aujourd’hui oscille entre déni et sursaut, entre héritage religieux, dérives populistes et lente reconquête démocratique. La lutte contre l'antisémitisme ne se joue pas seulement dans les lois : elle engage la conscience nationale. Paula Sawicka, de République ouverte [en polonais Otwarta Rzeczpospolita], importante association polonaise contre l'antisémitisme et la xénophobie, analyse ici les blocages, les fractures et les signes d’espoir d’une société hantée par son passé. Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec la DILCRAH. 

Écrit à New York en avril 1944 et publié dans Nowa Polska, le manifeste « Nous, Juifs polonais… » de Julian Tuwim -- grande voix de la poésie polonaise -- paraît ici pour la première fois en français, dans la traduction d’André Laks. Texte de deuil et d’insurrection morale, il met à nu la grammaire antisémite du fascisme, reconfigure l’axe polonité/judéité et appelle une Pologne future capable d’honorer les martyrs du ghetto.

La Revue K. présente son nouveau cycle d’événements : Le Ciné-Club de K.   Première séance du Ciné-Club de K. – Enseigner la Shoah à l’école aujourd’hui, le lundi 3...

En mars 1973, Robert Badinter prononce une plaidoirie — restée méconnue, mais capitale –lors du premier procès intenté en vertu de la loi Pleven, qui réprime l’incitation à la haine raciale. Face à un article de propagande soviétique où l’antisémitisme se déguise en antisionisme, l’avocat déploie une argumentation mêlant droit, histoire et mémoire juive.
À l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter, K. publie le texte intégral de cette plaidoirie, où s’illustrent son engagement contre l’antisémitisme et son attachement aux principes socialistes. L’ensemble est précédé d’une introduction de l’historien Emmanuel Debono et accompagné d’un appareil critique de notes.

Le massacre du 7 octobre 2023 a provoqué un séisme dont l’onde de choc n’a pas fini de traverser le monde juif. En Israël, il a réactivé le spectre du pogrom que l’État devait rendre impossible ; en diaspora, il a révélé la fragilité d’une sécurité que l’on croyait acquise. L’historien Jacques Ehrenfreund interroge ce que cet événement dit de notre temps : la fin de l’après-Shoah, la dissolution des repères moraux européens, et la persistance d’une hostilité que l’histoire semblait avoir disqualifiée.

Le 3 octobre 2025, les éditions de l’Antilope publiaient la traduction en français de deux œuvres majeures de l’écrivain yiddish Peretz Markish : le roman Une génération passe, une génération vient (Dor oys dor ayn), traduit par Rachel Ertel, et un choix de poèmes, traduits et rassemblés par Batia Baum dans le recueil Le Tas (Di Kupe). Œuvres dont la revue K. propose dans ce numéro une sélection d’extraits.

Le 7 octobre n’a pas seulement été importé dans les débats européens : il s’y est réfléchi, révélant la crise interne d’une Europe incertaine de son héritage post-Shoah et post-colonial, et désormais divisée entre trois récits inconciliables — l’occidentaliste, l’anticolonial et l’européen. Au cœur de cette fracture, deux questions obsédantes : que reste-t-il de l’Europe, si elle ne sait plus reconnaître ce que signifie, ici comme là-bas, la résurgence de l’antisémitisme ? Mais aussi, que reste-t-il du sionisme comme projet européen, si la réponse qu’il a donné à l’antisémitisme en termes de droit des peuples lui échappe tout autant?

Qu’est-ce que « l’invalidation traumatique » ? Selon les psychologues Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman, c’est un concept qui pourrait décrire adéquatement les effets subjectifs du 7 octobre sur la psyché de nombreux juifs. Leur travail important nous est ici présenté par la psychologue clinicienne Céline Masson.

Dans ce court texte, l’écrivain israélien Etgar Keret évoque la faille que la guerre a creusée dans sa société, au point d’y rendre la communication impossible.

L’être juif relève-t-il d’un faire semblant, d’une mascarade ? Pris dans l’excentrique manège entre deux mendiants, Ruben Honigmann s’amuse à se laisser déstabiliser, jusqu’à faire boiter son identité.

Dans une yeshiva new-yorkaise, un jeune étudiant marqué par la guerre de Six Jours décrète que la loi talmudique prohibe tout dommage collatéral. Son ami, narrateur pas si innocent, relate les péripéties qui s’ensuivent, avec leur lot de conséquences inopinées. À travers cette nouvelle aux allures de roman de formation, initialement parue dans Tablet, Elie Hirsch nous initie au charme excentrique du monde de la yeshiva, sur fond de mésaventures adolescentes.

À Treblinka, la mémoire devient enjeu d’État : monuments et projets muséaux redessinent le passé au mépris des sources, jusqu’à promettre un « mur des noms » que que nulle archive ne permet d’établir avec exactitude. Jan Grabowski et Katarzyna Grabowska plaident pour une politique mémorielle transparente et fondée sur la rigueur historique.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.