La guerre actuelle avec l’Iran nous rappelle la menace existentielle sous laquelle ne cesse pas de vivre Israël. Pour les Israéliens, la conscience de cette menace ne s’est évidemment jamais éteinte, régulièrement ravivée par les attaques de différents groupes armés dont la puissance iranienne est la matrice, porte-flambeau de la volonté de détruire l’État juif qui domine largement l’opinion des pays de la région. Pour les juifs de la diaspora, cette menace est ressentie chaque jour depuis le 7-octobre, à travers les manifestations débridées de l’antisionisme, qui fait sienne cette volonté de destruction sous couvert de lutte contre le colonialisme. Le slogan « Free Palestine », lorsqu’il est proféré avec la rage d’en finir avec l’État des juifs, a la même résonance que le discours officiel iranien, qui s’accompagne lui des actes consistant à se doter de l’arme adéquate pour parvenir à ses fins. Car la République islamique iranienne s’est affirmée depuis plusieurs décennies comme le centre mondial de l’antisémitisme international, un lieu où s’élabore et se diffuse cette synthèse d’antisionisme et de négationnisme qui soutient que si l’ « entité sioniste » est illégitime, c’est qu’elle repose sur le « mythe » de la Shoah, pour en conclure inlassablement que la détruire accomplira réellement et salutairement ce qui n’était jusqu’alors qu’une fiction de « l’Occident ».

Aussi, c’est le monde juif tout entier qui s’unifie dans ce nouveau moment d’épreuve. Il se resserre lors de ces nuits d’angoisse qui s’enchaînent, dans les abris pour les uns, accrochées aux nouvelles pour les autres. Dans chaque cas pourtant, la conviction demeure que la survie juive est à ce prix, puisque l’existence même d’Israël est mise en jeu par les capacités réelles de son ennemi. Dans chaque cas, le lien avec le 7-octobre, qui avait violemment réactivé ce sentiment de menace existentielle et d’exigence de survie, a un caractère d’évidence.

Or, il faut se résoudre à le constater, cette évidence n’est pas le lot commun. Ce n’est pas seulement qu’elle s’affronte à ses opposants déclarés, les porteurs de l’antisionisme militant. C’est qu’elle est obscurcie dans l’opinion générale par la conduite de la guerre à Gaza et la politique israélienne. En transformant une réaction fondée et nécessaire face à l’agression du 7-octobre en une guerre meurtrière, terrible pour la population civile palestinienne et mue par ce qui s’énonce dans les discours des dirigeants comme une volonté de conquête, le gouvernement israélien s’est placé en contradiction avec le sionisme historique, axé sur la survie juive…

 

>>> Lire la suite

Alors que l’opération israélienne de décapitation du régime de Téhéran et de ciblage de son programme nucléaire se poursuit, entraînant une riposte sur l’ensemble du territoire de l’État juif, Bruno Karsenti et Danny Trom s’interrogent sur le sens politique de ce tournant majeur du conflit au Moyen-Orient. Par rapport au dévoiement du sionisme que représente la conduite actuelle de la guerre à Gaza, la guerre contre l'Iran revêt une tout autre signification, pour les Israéliens comme pour l'ensemble du monde juif.

Du 13 au 15 juin avait lieu à Vienne le premier congrès juif antisioniste, visant à faire entendre la voix de farouches résistants à l’abomination sioniste. Depuis la capitale autrichienne, et au nom de la mémoire de la Shoah, se disait alors d’une seule traite « Ni Herzl ni Hitler », comme s’il s’agissait finalement un peu de la même chose. Cette « clarté » morale est-elle suffisante pour illuminer la voie politique à suivre ? Le reportage de notre correspondant Liam Hoare donne à croire que non : tout n’est pas clair chez les juifs antisionistes, rejoints pour l'occasion par leurs alliés Roger Waters et Rima Hassan.

Les deux lettres que nous publions sont extraites de 'Parler sans détours. Lettres sur Israël et la Palestine' (Cerf, 2025), correspondance entre Anoush Ganjipour et Jean-Claude Milner engagée au lendemain du 7 octobre et sur fond de guerre à Gaza. Dans cet échange, les deux intellectuels confrontent leurs diagnostics sur la nature et l’histoire de la haine antijuive en Orient : passion occidentale importée par la modernité conquérante pour l'un, judéophobie inscrite dans les affects collectifs et revitalisée aujourd’hui par l’antisionisme pour l'autre. Au cœur du désaccord, une divergence fondamentale s'exprime à travers deux regards portés sur un même phénomène, mais ancrés dans deux expériences politiques distinctes. 

Pour mieux transmettre et faire circuler nos idées, K. repense et refonde son site internet, crée de nouveaux formats (Audio, Réseaux sociaux...) et commande de nouveaux textes. Pour concrétiser ce projet, nous avons besoin de votre soutien. Chaque don (déductible d'impôts) contribuera à faire vivre les textes et les réflexions de la Revue K. et à en élargir la portée. Pour toute question sur les types de dons éligibles, nous écrire à contact@k-larevue.com

L’antisémitisme, celui qui traîne dans l’atmosphère contemporaine jusqu’à la rendre irrespirable, est d’abord une affaire de signes que l’on apprend à repérer. Signes à déchiffrer, donc, mais qui, pour ceux qui ont de la mémoire, apparaissent nimbés du funeste halo de l’évidence. Le témoignage que Boris Schumatsky nous livre dans ce texte vient nous rappeler que ce monde saturé de signes inquiétants peut nous faire suffoquer : il nous interroge alors sur le sens du combat qu’il est possible d’y mener. 

Dans Pogrom. Kichinev ou comment l’Histoire a basculé, paru en français aux Éditions Flammarion, Steven J. Zipperstein revient sur le massacre de Kichinev en 1903, événement local devenu traumatisme global dans la conscience juive moderne. Plus qu’un simple récit de violence, son enquête dévoile comment ce pogrom – largement médiatisé, interprété, mythifié – a infléchi l’histoire juive contemporaine : il a nourri l’essor du sionisme, suscité une mobilisation mondiale, inspiré la littérature et la presse, et forgé un paradigme durable de la vulnérabilité juive.

Depuis l’attaque du 7 octobre et la guerre que mène Israël à Gaza, le mot « génocide » s’est imposé comme pierre de touche du débat public. Symbole d’un engagement intransigeant pour les uns, il ne relève plus du droit, mais d’un impératif moral absolu. Matthew Bolton analyse dans ce texte le glissement de ce terme — d’accusation juridique à condamnation ontologique — et montre comment son usage, nourri par la théorie du « colonialisme de peuplement », conduit à se couper de toute possibilité d’agir politiquement sur la guerre de destruction à Gaza menée par le gouvernement Netanyahu. Car en posant qu’Israël actualise une logique d’annihilation intrinsèque à son existence même, l’équation « Israël = génocide » devient l’axiome d’une idéologie qui réfute par principe tout issue politique au conflit.

Pour garder présent à notre mémoire le grand historien Pierre Nora, qui vient de nous quitter lundi 2 juin, nous donnons à lire un texte qui interroge l’écho entre le projet des Lieux de mémoire de Nora et Zakhor de Yerushalmi. Deux rapports à la mémoire foncièrement distincts, voire opposés, qui pourtant dessinent tous deux la question de l’Émancipation des juifs dans la nation moderne, et de ce qui persiste de leur conscience historique lorsque la République ne tient pas ses promesses.

En février 2024, Gabriel Abensour ouvrait dans K. un débat sur l’état du franco-judaïsme contemporain, déplorant sa tiédeur et l’oubli de ses héritages spirituels. Après David Haziza et Julien Darmon, c’est au tour de Jérémie Haddad d’émettre une critique amicale du diagnostic proposé. Regrettera-t-on vraiment une époque révolue, quand le présent abonde de signes de la vitalité d’un judaïsme français qui sait témoigner de sa spécificité par rapport aux mondes anglo-saxons et israéliens ?

Alors que la situation à Gaza s’aggrave et que le débat politique israélien se radicalise toujours plus, tout projet de solution au conflit israélo-palestinien semble décalé. Pourtant, nombreux sont ceux qui préparent l’avenir. Un projet politique, A Land for All – Two States, One Homeland mérite une attention particulière. Il propose deux États souverains liés par une confédération, reconnaissant chacun les légitimités nationales de l’autre, et organisant la coexistence sur toute la terre disputée. Dans un contexte marqué par l’impasse militaire, la fatigue démocratique et la montée des lectures antisionistes en Europe, y compris de ce projet, que penser d’une telle construction utopique ?

Journaliste israélien, ancien reporter pour Yediot Aharonot et Haaretz, Meron Rapoport a cofondé avec le Palestinien Awni Al-Mashni l’initiative A Land for All [une terre pour tous], qui propose une solution inédite au conflit israélo-palestinien : deux États pleinement souverains, mais liés par une confédération, Jérusalem pour capitale partagée, une frontière ouverte, et un droit au retour négocié des deux parts. Dans cet entretien, Rapoport revient sur son parcours personnel, sur sa rupture avec le paradigme de la séparation, et sur la nécessité de penser, à rebours des logiques d’exclusion, un avenir fondé sur le partage, la réciprocité et la démocratie.

Milena Jesenská fut bien plus que la simple héroïne de la correspondance passionnée qu’elle eût avec Kafka : journaliste brillante, femme libre et engagée – devenue ‘Juste parmi les nations’ en 1994. Par son intelligence et sa force de caractère, elle captivait Kafka, à qui elle inspira certaines de ses plus belles lettres. Comme elle captiva Margarete Buber-Neumann, avec qui elle fut déportée à Ravensbrück et qui lui consacra un splendide livre-portrait. Christine Lecerf, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la mort de Milena, témoignait de son admiration pour la femme que Kafka disait vouloir  « [emporter] dans ses bras hors du monde ». 

Lors de la remise du Prix Primo Levi 2025 à Gênes, le grand écrivain américain Jonathan Safran Foer a livré un discours puissant sur la mémoire, la responsabilité et l’indifférence contemporaine. Dans une filiation revendiquée avec la pensée de Levi, il y évoque Gaza, appelle à rester moralement éveillés face aux souffrances du monde, à faire du trouble non pas une faiblesse mais une force éthique – et à ne pas se transformer en ombre…

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.