Sur la longue route du château en Espagne

Plus de 500 ans après l’expulsion des Juifs d’Espagne, et à la surprise générale, le parlement espagnol a adopté en 2015 une loi visant à réparer cette « erreur historique » en permettant aux descendants d’expulsés d’adresser une demande de naturalisation. La réalisatrice Juliette Senik avait alors décidé de poser sa caméra dans le bureau du consulat d’Espagne à Paris et de suivre l’officier d’état-civil chargé d’accompagner les demandes de naturalisation. À travers ce prisme singulier, elle pose un regard original sur des familles séfarades troublées par cette opportunité inédite de retour. À l’image des espoirs déçus que son article raconte, le film documentaire espéré n’a pas vu le jour. Mais les séances enregistrées ont donné lieu à cet article et à un épisode de l’émission « Les pieds sur Terre », sur France Culture, disponible à l’écoute.

 

Alfonso Iglesias, chargé au consulat d’Espagne de Paris, de recevoir les postulants à la « Loi sur la délivrance de la nationalité aux séfarades d’origine espagnole »[1], 2014 © J. Senik

 

Le 7 février 2014, le gouvernement espagnol vote l’avant-projet d’une loi historique de réconciliation. Elle stipule que tout Juif pouvant prouver son ascendance séfarade, c’est-à-dire du royaume de Castille d’avant 1492, peut obtenir la naturalisation espagnole, et cela sans obligation de résidence. Cinq siècles après leur expulsion en 1492 par Isabelle la Catholique pendant l’Inquisition, les racines se réveillent soudain dans une communauté qui a gardé des liens avec ce pays d’où elle a été chassée après l’âge d’or d’ « Al Andaluz ».

Lorsque je lis l’entrefilet dans le journal, en février 2014, l’annonce de cette loi allume quelque chose en moi. Cette fois-ci, nous, les Juifs, aurions un endroit prestigieux où des non-juifs nous attendent, alors que nous n’avions rien demandé. Et nous pourrions nous payer le luxe de demander une nationalité sans même en avoir besoin, juste pour le plaisir. Avec des grands-parents juifs polonais, des parents nés en France, je n’ai aucune attache espagnole, mais j’ai le « type » méditerranéen. Et de fait, je sais qu’une de mes arrière-grands-mères se nommait « Manella ». J’aurais donc au moins une petite partie de mes origines qui est séfarade. Peut-être même que je pourrais obtenir le passeport s’il m’en prenait l’intention ! Mon fils Eliot, pris d’une soudaine fierté espagnole, devient sensible à cette loi. Il se met à apprendre l’espagnol tout seul…

Pour comprendre ce déclenchement intime, je décide d’aller voir ceux qui ont des liens plus tangibles que les miens avec l’Espagne, et de les filmer. J’y vois la chance de saisir une loi de renationalisation hors norme en action. Le film permettrait aussi de raconter l’errance concrète de familles juives à travers les siècles, et voir ce qu’elles sont devenues aujourd’hui. Un pan de l’histoire européenne et méditerranéenne se bouclerait sous nos yeux avec cette loi historique.

Fac-similé du « Décret de l’Alhambra »[2] © Wikipedia Commons

Avec mes productrices enthousiastes, Julie Guesnon et Justine Henochsberg, nous sommes accueillies au consulat d’Espagne où affluent des centaines de demandes, et nous obtenons l’autorisation d’y tourner. Situé 65 boulevard Malesherbes, le consulat reçoit cinq appels par jour à ce sujet ; une cellule spéciale, unique au monde, y a été créée. Le lieu central de mon projet de film est trouvé, « l’arène » comme on le dit pour les séries télévisées. Le personnage pivot est l’officier d’État civil Alfonso Iglesias, un fonctionnaire espagnol d’à peine quarante ans qui a obtenu du Consul de s’occuper personnellement de ces demandes ; chrétien, grand connaisseur du judaïsme, la nouvelle loi est devenue sa mission. À côté de cet homme qui garde une part de mystère, les personnages secondaires, tous les prétendants au passeport espagnol, tournent comme des satellites autour de cette station de décollage vers leur rêve, le consulat d’Espagne à Paris. En intrigue secondaire, j’imagine les consultations secrètes d’Alfonso avec le Consul Francisco Javier Conde y Martínez de Irujo, élégant personnage qui reste en retrait dans son bureau cossu orné d’une imposante cheminée.

Je commence à assister aux entretiens d’Alfonso Iglesias avec les demandeurs du passeport, puis à en filmer quelques-uns. J’ai en tête le film documentaire Casting, montage des auditions d’Emmanuel Finkiel pour son film Voyage. Dans ces essais drôles et émouvants, on entend les vieux et les vieilles Ashkénazes qui racontent, avec leur accent yiddish, leurs traversées des épreuves de la guerre. Certains ont survécu aux « marches de la mort ». Ils ne rêvent que d’une chose : jouer la comédie, danser, en somme faire les marioles devant la caméra. Pourtant, les élus du casting de Finkiel ne devaient pas jouer dans une comédie musicale, mais voyager en car vers Auschwitz. Dans le film sorti en salle en 1999, on voit qu’ils s’y sont bien engueulés, source de comique involontaire propre aux Ashkénazes. Mais cette fois-ci, on n’irait pas à Auschwitz.

Le bureau des rêves

Le slogan de mon projet pourrait être celui d’un film comique : « Ils ont été chassés il y a cinq siècles d’Espagne parce qu’ils étaient juifs : aujourd’hui, pour y retourner, il va falloir qu’ils le prouvent ! ».

Je vois défiler dans le bureau des couples de sexagénaires, des célibataires de trente-cinq ans, des grands-pères avec leur fille de cinquante ans, des hommes et des femmes seuls. Des gens qui parlent l’espagnol, le judéo-espagnol, le ladino (langue de la liturgie), la haketia, l’arabe. Des jeunes de vingt ans font la démarche parce qu’on ne leur a rien raconté de l’Algérie, alors ils veulent creuser plus loin vers leurs origines. Certains descendent des Juifs italiens de Livourne, dont une femme très élégante habillée en Prada. Dans ces familles, dit-on, les femmes portaient parfois une clef, la clef de la maison de Cordoue, dans une petite poche en dentelle suspendue à leur ceinture.

Leur démarche n’a pas toujours de raison précise. Elle est spontanée. Tous ont une bonne situation. Mais soudain un pays leur ouvre les bras. Comme le dit un professeur de lettres originaire de Sidi Bel Abes, c’est un événement à la fois « fort et banal » : « on vous ouvre la porte, et l’on vous dit : venez, vous êtes les bienvenus. Alors on se dit c’est bien, je rentre à la maison. C’est chez moi, ici comme là-bas. » Je me rends compte que pour beaucoup de Juifs français, ce lien avec l’Espagne représente un réconfort, une échappatoire possible, des lettres de noblesse, enfin. Et puis, l’Espagne n’a-t-elle pas protégé les Juifs espagnols de la déportation dans les camps nazis ? Après un passé chaotique, c’est une manière de rentrer au château, dans ses quartiers, la tête haute. Une belle histoire que l’on a envie de se raconter, une réconciliation avec le passé.

Malgré leurs motivations différentes, tous évoquent le climat qui les a poussés à faire cette demande. Obtenir la reconnaissance d’un État autre qu’Israël précisément parce que l’on est juif, est un cadeau inattendu. Certains le revendiquent comme un acte politique. C’est une manière de retrouver une fierté pour soi, pour ses enfants. La question de l’appartenance à un pays est souvent soulevée par des pieds noirs qui ont gardé leur nationalité du temps des colonies : se sentent-ils plus français que tunisiens ? Et pourquoi pas davantage espagnols finalement ? Comment démêler tous les fils, entre le pays où l’on est né, celui où l’on a vécu, et celui d’où l’on se revendique aujourd’hui ?

« Loi de nationalité espagnole pour les séfarades. La reconquête d’un droit historique »
Alfonso

J’écoute, au café boulevard Malherbes, à côté du consulat en travaux, la voix douce de M. Iglesias, l’officier de l’État civil en charge des demandes. Son accent est espagnol, mais son français soutenu. « À vingt ans, pour devenir Jésuite, j’ai fait des études religieuses. Finalement, je ne suis pas rentré dans les ordres. J’ai quitté l’Espagne pour étudier la Bible trilingue à Louvain : hébreu, araméen, grec et latin. Je voulais parfaire ma culture religieuse. Les hasards de la vie m’ont fait atterrir à Paris. » Chez lui, dans son petit appartement du Marais parisien, il écrit en espagnol.  « Je suis de l’endroit où je peux réfléchir, disent les Jésuites. Je n’ai pas d’attente spéciale. Lorsque je suis à Paris, je ne fréquente pas d’Espagnols. Mais j’y ai trouvé une mission, par hasard ». Mon regard est attiré par sa bague en argent, sur laquelle est gravée une inscription en hébreu. Cette inscription, c’est « Adonaï e cha » (Dieu est unique).

À l’époque où je le rencontre, lorsqu’il ne travaille pas au consulat, il poursuit une thèse sur « les prières dans l’Empire hittite ». Alfonso Iglesias était jusque-là un simple employé de l’État civil, emploi qu’il exerçait à titre alimentaire parce que ses études ne le nourrissaient pas. Lorsque la loi a été soumise au vote par le gouvernement espagnol, il a immédiatement proposé au Consul de prendre en charge le dossier et de recevoir les postulants. Ses confrères n’ont jamais convoqué les demandeurs du passeport dans leur bureau, ils se contentaient de les renvoyer au téléphone en râlant. Ils regardent d’un drôle d’œil celui qu’ils appellent « le curé », exaspérés par les privilèges qu’on lui accorde pour une mission dont ils ne voient pas l’intérêt. Ils jalousent également sa relation avec le Consul Francisco Javier Conde y Martínez de Irujo, aujourd’hui ambassadeur de l’Espagne à Tokyo.

Dans le bureau d’Alfonso se joue un véritable théâtre dont il est le metteur en scène. Un peu psychanalyste, un peu prêtre, un peu oncle de la famille, il mène le jeu avec ceux qui défilent face à lui. Il passe de l’onctuosité à l’ironie, sait ramener le calme lorsque les pleurs surgissent à l’évocation d’un passé douloureux comme la déportation de tous les Juifs de Salonique. Non sans humour : ne pleurez pas, l’Espagne va panser vos plaies. Ne mourez pas tant que vous n’avez pas obtenu le passeport. Alfonso tutoie ses visiteurs, à l’espagnole, et donne un tour chaleureux, intime aux entretiens. Il a trouvé dans ces demandeurs les interlocuteurs idéaux. Ils ne revendiquent rien, sont prêts à faire toutes les démarches, même les plus absurdes. Derrière son sérieux, il pratique l’ironie. « Un certificat de judaïcité, ça coûte combien ? » Réponse d’Alfonso : 60 euros. Mais je connais un rabbin qui vous le fait gratuit ! ». Question d’Alfonso : « Vous êtes sûr que vous êtes bien juif séfarade ? C’est ça qui est important pour nous. – mais comment le prouver, c’était il y a cinq cents ans ! » « Alfonso, tu es juif ? – Non, mais personne n’est parfait ! ». Une dame à Alfonso : «Vous êtes le nouveau Moïse, vous allez nous conduire au-delà du désert ; je peux vous prendre par le bras ? – S’il n’y a rien de charnel, d’accord ! ».

À la recherche des preuves

Le premier rendez-vous ressemble à une étrange séance de psychanalyse. C’est le moment où l’on explique d’où l’on vient, qui l’on est, et pourquoi cette soudaine nécessité de demander la naturalisation espagnole. Pendant l’entretien, des collègues, en majorité des femmes, traversent le bureau où Alfonso reçoit ses étranges ouailles, vont vers la photocopieuse, et jettent des regards ennuyés sur les visiteurs. Les postulants ont commencé à rassembler les preuves qu’ils déballent: arbre généalogique, acte de mariage, certificat de judaïcité, acte de conversion retrouvé dans une église espagnole, cartes postales écrites en espagnol par les grands-parents, photographies, livrets de prières en ladino. On lui déroule les histoires, on lui chante des chansons en espagnol. Des hommes se mettent à pleurer en sortant le certificat de mariage de leurs parents, les femmes lui prennent la main, les parents et leurs enfants se chamaillent devant lui.

Il arrive qu’Alfonso descende à la cave du consulat où se trouvent les archives. Là, il extrait un dossier, une fiche, et retrouve les papiers d’un parent d’une personne présente dans son bureau. Par exemple, il a retrouvé un passeport espagnol datant de 1948, qui constitue la preuve du passage de son père en France, pour un fils âgé aujourd’hui, saisi d’émotion à la vue de la photo du père qu’il n’a pas connu : « je n’avais jamais vu mon père de profil ! ».

Alfonso Iglesias © J. Senik

Au fil des entretiens, je découvre la diversité des destins : un clandestin d’origine brésilienne qui vit depuis quarante ans à Paris où il enseigne la physique à l’université, une jeune femme mexicaine qui affirme sentir ses origines cachées courir « dans son sang », un Turc d’Istanbul qui doit y cacher sa religion, un père dont le fils rugbyman professionnel veut intégrer l’équipe espagnole, un sexagénaire d’origine tunisienne qui souhaite obtenir la nationalité espagnole en souvenir de sa première petite amie, une famille entière originaire de Salonique qui débat de recettes de cuisine, un trio sur plusieurs générations de femmes « de caractère » qui ont décidé d’adopter Alfonso…

Régulièrement, un rabbin tonitruant mesurant près de deux mètres, la cinquantaine énergique, débarque dans le bureau. Il ouvre devant Alfonso une valise pleine de photographies, d’arbres généalogiques, de vieux parchemins, d’objets de culte. Alfonso commente les objets un à un, comme s’il s’agissait d’un rituel tacite. Le rabbin possède dans sa maison de la banlieue parisienne une bibliothèque de six mille ouvrages sur l’histoire séfarade. Du Maroc au Portugal, il collecte tous les documents, les traces, les objets liés au monde juif séfarade. Il est comme on dit « antiquaire en judaïca ». Sa mère, encore vivante, parle le ladino et l’espagnol. Alfonso le recommande souvent aux personnes qui viennent le voir, pour qu’il les aide à retrouver des traces du passage de leur famille en Espagne. Alors que le consistoire les leur fait payer, il établit des certificats de judaïcité gratuitement !

Fort de son intimité avec cette culture, Alfonso ne se gêne pas pour taquiner un peu ses visiteurs, donnant toujours un tour humoristique aux entretiens. Car la plupart des aspirants au passeport ne sont pas ou plus pratiquants. Certains apprennent même de la bouche d’Alfonso le sens du mot de « ketubah », qui veut dire acte de mariage religieux, document prouvant l’origine juive d’une personne, avec son ascendance. Avec cette loi, Alfonso Iglesias semble avoir enfin rencontré son objet, ce qu’il cherchait sans le savoir. Sa grande érudition religieuse trouve une application pratique. Car il connaît l’histoire des séfarades, la provenance de leur nom, l’endroit où ils peuvent trouver des documents. Il est devenu, à l’échelle de la France, l’instrument de la réconciliation voulue par le gouvernement espagnol. Il va centraliser toutes les demandes émanant des quatre coins de la France, car les consulats d’Espagne à Marseille ou à Lyon, par exemple, n’ont pas d’employé équivalent. Une fois les dossiers constitués par les postulants, c’est lui qui fera des allers-retours au Ministère de la Justice à Madrid pour siéger à la commission composée de cinq membres, laquelle décidera qui obtiendra le passeport et qui n’est pas digne de le recevoir. Qui est bien juif séfarade, qui ne l’est pas. Alfonso, de simple employé de l’État civil, est en train d’endosser un rôle qui le dépasse avec cette mission somme toute politique.

2015

Le temps file… la production de notre film est toujours en suspens. En attendant, la loi a cheminé : le 6 juin 2014, le projet de loi définitif a été adopté en Conseil des ministres ; en septembre 2014, la loi a été adoptée devant le parlement. En janvier 2015 paraît enfin le décret d’application de la loi. Avec mes productrices, nous attendions le vote du décret comme un sésame. Mais notre projet de film ne trouve toujours pas de financement auprès des chaînes de télévision, faute de rentrer dans une case : histoire, portrait, société ? D’autre part, les financements juifs privés ne répondent pas favorablement à nos demandes. Seraient-ils réticents à aider un film qui plaiderait pour une « descente » en Espagne plutôt qu’une Alya en Israël, comme nous le pensons ? Nous avons en effet des échos de la position du Consistoire par notre rabbin complice, lequel affirme aider les postulants officieusement pour ne pas froisser sa hiérarchie. Enfin, la procédure s’est raidie, les postulants doivent maintenant aller en Espagne passer un test d’espagnol. Alfonso a perdu son optimisme des débuts. La politique…

Sonia Kronlund me propose d’en faire un documentaire radio pour « les Pieds sur terre ». Je veux laisser une trace de cette expérience, j’accepte avec joie. J’ai découvert en cours de route qu’un court métrage portant un titre similaire au mien, « Des châteaux en Espagne » avait été réalisé par Pauline Horovitz. On y suit le voyage de la réalisatrice avec son père, animé par le rêve d’aller toujours plus vers l’Ouest pour échapper à l’Histoire, dans une Espagne de carton-pâte, fantasmée.

2021

Il semblerait que la réconciliation avec l’Espagne soit une rêverie, un horizon qu’on n’atteint jamais. Je pourrais citer des données du gouvernement espagnol : sur plus de 130 000 demandes, ce dernier a étendu la citoyenneté à 34 000 personnes depuis l’avancement de la loi de 2015. Alors qu’un seul demandeur s’est vu refuser la citoyenneté avant cette année, 3 000 demandes ont été soudainement rejetées entre mai et juillet 2021, et 17 000 autres n’ont reçu aucune réponse. Or, en septembre 2021, la loi va cesser d’être effective et les processus juridiques pour l’obtention du passeport seront arrêtés.

De mon côté, à l’été 2021, j’effectue un sondage auprès des quelques personnes passées au consulat dont j’avais gardé les numéros. Le rabbin croisé dans le bureau d’Alfonso décroche son téléphone et me hurle gentiment que sur la vingtaine de demandes dont il s’est occupé, aucune n’a abouti. Pourquoi ? Il ne le sait pas exactement, évoque un frein soudain du gouvernement espagnol, le fait que « le Roi a préféré chasser les éléphants », le fait qu’on a demandé des certificats d’assiduité religieuse pour prouver leur judaïté à ceux qui n’avaient pas de ketubah, alors que « si je veux bouffer du porc le jour de Kippour, je n’ai de compte à rendre à personne ! ». Le docteur Alain Eskenazi, qui tient à ce que je le cite, n’a pas poursuivi ses démarches à cause de la date limite de la loi qui lui « pose un problème intellectuel ». Pourquoi le gouvernement espagnol ne donne-t-il que deux à trois ans pour revenir, après cinq siècles ? Un autre, non pratiquant, devait passer par deux ans de cours religieux, une autre était trop âgée et a été découragée par les papiers à fournir ; enfin, ultime paradoxe, ce juif pratiquant devait aller passer un test d’espagnol à l’institut Cervantès un samedi… Autour de moi, je ne connais personne qui ait eu la persévérance de faire aboutir ses démarches.

Il s’avère que ceux qui sont allés au bout de la demande le faisaient pour des raisons plus prosaïques que symboliques. Ce sont des Vénézuéliens, des Mexicains, des Colombiens, des Argentins, voire des Israéliens en quête de passeport européen. Cette loi a véritablement servi les personnes contraintes à l’exil, et qui préfèrent l’Europe, ce qui n’est pas rien. Mais on peut dire qu’elle a été vidée de son sens symbolique, vis-à-vis des Juifs européens. Finalement, qu’est-ce qu’une loi symbolique ? Symbolique prend ici un sens de diminutif, dévaluateur, qui me fait penser qu’on ne m’y reprendra plus à rêver des châteaux en Espagne.


Juliette Senik

En coopération avec la Fondation Heinrich Böll

Notes

1 « Ley de concesión de nacionalidad a sefardíes originarios de España »
2 Édit d’expulsion des Juifs, signé le 31 mars 1492 par Isabelle 1re de Castille et Ferdinand II d’Aragon

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