Yitzhak Rabin et la guerre à Gaza : Quelques réflexions

Trente après l’assassinat de Rabin, que reste-il du camp de la paix ? Ilan Greilsammer rappelle ici quels étaient les objectifs poursuivis par la politique de Rabin, et dresse le constat amer d’un devenir majoritaire du camp de la droite. L’incurie de ce dernier, révélée par le 7 octobre et la conduite de la guerre à Gaza, permettra-t-elle de rebattre les cartes ?

 

Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, Wikimédia Commons

 

Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin, Premier ministre de l’État d’Israël, était assassiné par un juif fanatique d’extrême droite, Yigal Amir. Trente ans plus tard, la guerre contre le Hamas à Gaza se termine et les otages ont été libérés. 

Les deux piliers de la politique de Rabin : reconnaissance et sécurité

Depuis sa création en 1948, Israël a eu constamment deux objectifs fondamentaux qui n’ont pas changé, et qui se trouvaient en permanence dans l’esprit et dans l’action de Yitzhak Rabin. Le premier, qu’Israël soit enfin accepté par son environnement, normaliser et établir des relations diplomatiques entières avec le maximum d’États, surtout arabes ou musulmans, qui au départ rejetaient Israël, et arriver à un mode de coexistence pacifique avec les Palestiniens. Le second, de garantir à tout prix la sécurité, face aux menaces de détruire l’État juif. N’oublions jamais à quel point la sécurité d’Israël était présente dans toutes les actions que Rabin a entreprises, comme militaire et comme homme politique.

Sur le premier objectif, celui de la reconnaissance et de la coexistence, on pouvait jusqu’au 7 octobre 2023 parler d’un certain succès depuis 1979, dans la mesure où un nombre croissant d’États et de peuples arabes ou musulmans ont reconnu Israël, bien entendu dans les frontières de 1949 et pas celles de 1967 et de l’occupation. En 1979, après la visite du Président Anouar Sadate en Israël, Begin a signé la paix avec l’Égypte, et elle est aujourd’hui poursuivie par le président Abdel Fatah al Sissi. Quatorze ans après ce premier pas, en 1993, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ont signé les accords d’Oslo dans lesquels l’OLP a pleinement reconnu l’État d’Israël, et en 1994 la paix a été signée par Rabin avec le roi Hussein de Jordanie, un homme de vision et de paix. Dans les deux cas, l’Égypte et la Jordanie, il s’agissait cependant d’une paix très fragile, une paix froide, sans autre contenu que diplomatique, tant que la question palestinienne ne serait pas résolue. On sait qu’après l’assassinat de Rabin il a fallu attendre 25 ans, puisque ce n’est qu’en 2020 que les accords d’Abraham ont été signés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et finalement le Maroc, d’où sont issus des centaines de milliers d’Israéliens. Avant les massacres du 7 octobre, le processus de normalisation avec l’Arabie saoudite en était à ses balbutiements, mais semblait très bien engagé par Mohammed ben Salman, avec l’aide précieuse du président Joe Biden. 

N’oublions jamais à quel point la sécurité d’Israël était présente dans toutes les actions que Rabin a entreprises, comme militaire et comme homme politique.

On parle, à l’heure où j’écris ces lignes, d’une certaine normalisation, au moins militaire, entre Israël et le nouveau pouvoir syrien. Quant au Liban, l’accord israélo-libanais sur la mer territoriale et le désarmement possible du Hezbollah par le gouvernement libanais créent, prudemment, une communauté d’intérêts ou même une petite détente avec Israël. Bien entendu, ce mouvement vers la reconnaissance d’Israël, qu’aurait intensément voulu Rabin, ne vient pas d’un sentiment pro- israélien, ou pro-sioniste. Cette normalisation se fonde sur des intérêts : la réussite économique, en finir avec la guerre, se prémunir contre l’Iran, se rapprocher des États-Unis pour garantir leur sécurité, l’intérêt très clair de ces pays pour la haute technologie militaire israélienne, le dôme de fer et les systèmes antimissiles, et même l’excellence de la recherche médicale et scientifique israélienne, etc… C’est en raison de ces intérêts très réels que l’on peut penser qu’après l’accord actuel et lorsque la guerre à Gaza se terminera tout à fait, cette vague de normalisation dont aurait rêvé Rabin se poursuivra sans aucun doute. 

Par contre, le deuxième objectif de Yitzhak Rabin, la sécurité d’Israël, malgré la puissance très réelle de Tsahal, à laquelle il a tant contribué, n’a jamais été vraiment garanti. Même si la dernière guerre générale entre Israël et les États arabes date de 1973, à la suite de quoi Rabin a obtenu son premier mandat de chef de gouvernement, et même s’il n’y a plus en fait aucune perspective future de guerre entre Israël et les États arabes, Israël est toujours menacé. D’abord par le terrorisme sur ses frontières, comme on l’a vu le 7 octobre, mais surtout Israël est menacé par l’Iran, son régime et ses satellites, un Iran qui jure tous les jours la destruction totale d’Israël et de tous ses habitants, un Iran dont les ambitions nucléaires subsistent, malgré l’attaque israélo-américaine.

Du camp de la paix à la domination de la droite israélienne

Trente ans après l’assassinat de Rabin, il faut rappeler, au milieu de l’actuel concert international si violemment anti-israélien, qu’Israël est heureusement un pays démocratique fondé sur des élections, avec un grand nombre de partis politiques qui agissent librement, et qui vont de l’extrême gauche antisioniste comme le parti arabe palestinien Bal’ad hostile à l’existence même d’Israël, jusqu’à l’extrême droite fasciste et raciste, comme le parti xénophobe d’Itamar Ben Gvir. Ces partis politiques concourent librement lors des élections à la Knesset, sous l’œil de la Cour Suprême d’Israël, cette Cour qui est vraiment le rempart de notre démocratie, pour tous les Israéliens, juifs et arabes. (Rappelons ici à quel point Yitzhak Rabin, contrairement à l’actuel gouvernement israélien, était légaliste et scrupuleusement respectueux des institutions démocratiques d’Israël, jusqu’à démissionner dans l’affaire du compte en dollars de son épouse.)  

Il y a toujours eu, avant même la création d’Israël, des juifs qui pensaient qu’une entente avec les Arabes de Palestine était non seulement possible, mais indispensable : c’est de là que vient le camp de la paix.

Or, c’est la position des partis à l’égard de la question palestinienne et des territoires occupés, et non l’économique ou le social, qui les départage très clairement entre la gauche, le centre et la droite. Tout d’abord, pour parler de la gauche sioniste, le camp de Rabin et de Peres, les chefs du parti travailliste, ce qu’on appelle chez nous le camp de la paix, il y a toujours eu, avant même la création d’Israël, des juifs qui pensaient qu’une entente avec les Arabes de Palestine était non seulement possible, mais indispensable. J’évoquerai le grand philosophe Martin Buber qui, dans les années 1930, avait fondé en Palestine mandataire l’Alliance de Paix, un mouvement favorable à un État binational israélo-palestinien, ou plus récemment de grands intellectuels, écrivains et artistes israéliens qui soutiennent aujourd’hui la solution des deux États pour les deux peuples. C’est cela notre camp, le camp de Rabin et de Peres, aujourd’hui rebaptisé parti démocrate (et comprenant Meretz et le parti travailliste), qui a toujours préconisé la négociation, et a manifesté contre l’usage incontrôlé de la force et contre l’extension des colonies illégales en Cisjordanie, qui a milité ici très tôt pour la fin immédiate de la guerre à Gaza et la libération de tous les otages. Au cours des dernières années, ce camp de la paix a été, il faut le dire très clairement, de plus en plus minoritaire en Israël et il s’est rétréci d’année en année. Par chance, il a été au pouvoir entre 1992 et 1995, jusqu’à l’assassinat de Yitzhak Rabin par un juif fanatique, et c’est durant cette période qu’ont pu être signés les accords d’Oslo qui ont insufflé l’espoir. C’est ce camp d’Israéliens, très choqués par les terribles images de la guerre à Gaza, que l’on peut voir aujourd’hui dans les rues d’Israël. 

Mais l’autre courant, représenté autrefois par Menahem Begin et aujourd’hui par Binyamin Netanyahou, c’est-à-dire la droite et l’extrême droite israéliennes, c’est le camp qui n’a jamais cru, même à l’origine du sionisme, dès la fin du 19e siècle, dans la possibilité d’une conciliation et d’une entente avec les Arabes et qui n’a su préconiser que l’usage de la force militaire, toujours la force, et encore la force. Rappelons quand même que Netanyahou, le représentant de cette droite belliqueuse, se trouvait sur le fameux balcon où ont été prononcées des paroles de haine à l’égard de Yitzhak Rabin, un Rabin représenté sous ce balcon en uniforme SS… Déjà, le « père spirituel » de ce courant, Wladimir Zeev Jabotinsky, parlait d’un « mur de fer » à ériger face à nos ennemis. Yitzhak Rabin avait très bien vu comment ce camp de la droite et de l’extrême droite se renforçait au sein du public israélien, et le fait est que ce camp de la droite est aujourd’hui sans doute majoritaire. 

On me demande souvent : pourquoi ? Comment le pays de Rabin, le pays des kibboutzim, des pionniers socialistes, des idéalistes universalistes, est-il tombé aux mains des ultranationalistes partisans et des religieux du grand Israël ? Pour qui vit en Israël, la réponse est évidente : par peur. Peur des terroristes, peur des attentats, peur d’un nouveau 7 octobre encore plus terrible, peur de l’Iran et de sa future bombe nucléaire, peur des proxys de l’Iran, peur du djihadisme, peur du Hezbollah, etc, etc,… Entre parenthèses, les images de la sauvagerie insoutenable des cérémonies macabres du Hamas lors de la remise des premiers otages n’ont certainement pas renforcé le camp de la paix. Nous avons même vu des intellectuels de gauche israéliens très connus se retirer du combat avec un sentiment de dégoût. Mais surtout, Yitzhak Rabin avait très bien vu l’émergence d’une extrême droite messianiste, ethnocentrique, mystique et annexionniste de plus en plus active et extrêmement dangereuse, soutenue entre autres par l’extrême droite et les évangélistes américains, pour qui seuls les actes de violence et la force militaire peuvent faire plier les Palestiniens. C’est cette mouvance qui a assassiné Rabin. À l’époque, ce camp était représenté politiquement par le Gouch Emounim, le Bloc de la Foi.

Comment le pays de Rabin, le pays des kibboutzim, des pionniers socialistes, des idéalistes universalistes, est-il tombé aux mains des ultranationalistes partisans et des religieux du grand Israël ? Pour qui vit en Israël, la réponse est évidente : par peur.

Autre parenthèse : au vu des élections en Europe et des manifestations racistes, islamophobes et anti-immigrants dans les pays européens, comme récemment en Angleterre, nous savons tous que cette montée des partis populistes, xénophobes et d’extrême droite n’est pas propre à Israël et a lieu un peu partout. D’ailleurs, exactement de la même façon, nous savons tous, et Rabin le savait très bien, que les Palestiniens sont clairement divisés entre des modérés pragmatiques qui seraient prêts à des compromis avec Israël à certaines conditions, et des fanatiques djihadistes criminels comme le Hamas, pour qui la violence, la brutalité, l’assassinat, et la lutte armée sont l’unique moyen d’arriver à leur seul but : la destruction des juifs et d’Israël.

La guerre de Gaza et le traumatisme du 7 octobre

J’en viens maintenant à la guerre d’Israël à Gaza.

Le 7 octobre 2023 a été largement oublié hors d’Israël. Je dirai même plus : le 7 octobre est complètement sorti de la mémoire européenne. Ce jour-là, environ 4 à 5000 terroristes du Hamas ont pénétré par surprise dans le territoire israélien en bordure de la bande de Gaza. Jusqu’à aujourd’hui, sur un plan purement militaire, personne en Israël n’a réussi à comprendre comment cela a pu arriver, et le gouvernement Netanyahou empêche toujours la création d’une Commission d’Enquête nationale. Ces hommes du Hamas sont entrés dans les localités juives, villages et kibboutz, et ont commis des crimes atroces, y compris dans la fête des jeunes de la Nova. Ils ont massacré plus de 1200 Israéliens, hommes, femmes, enfants et bébés, ils ont mutilé des corps, violé des jeunes filles et perpétré des crimes sexuels, tué des enfants et des bébés, torturé, tout détruit, et brûlé les habitants vivants dans leurs maisons. D’ailleurs, ce qu’il faut rappeler, c’est que parmi les victimes sauvagement assassinées ou enlevées, il y avait là les plus grands partisans de la paix dans les kibboutz frontaliers, des hommes et des femmes travaillant pour le compromis et la réconciliation, des gens qui militaient aux côtés des Palestiniens de Gaza et venaient régulièrement les chercher en voiture à la frontière pour les conduire dans les hôpitaux israéliens. Personne, chez nous, n’oublie non plus les vidéos des caméras de surveillance où on voit les villageois de Gaza de tous âges et de toutes conditions venir fouiller, dévaster et piller les décombres des maisons brûlées. Le Hamas a pris en otages à Gaza 250 personnes, dont la plus grande partie a été assassinée, et dont le reste, une vingtaine, vient d’être libéré après avoir pourri dans les souterrains du Hamas, enchainés et torturés. Je le dis très franchement, au cours des deux années passées, notre tout premier souci, notre première préoccupation, notre obsession pourrais-je même dire, toutes tendances d’Israéliens confondues, jusqu’à cet accord de Sharm el Cheikh, était la libération immédiate de tous les otages, en vie ou non.  

Le 7 octobre 2023 a été largement oublié hors d’Israël. Je dirai même plus : le 7 octobre est complètement sorti de la mémoire européenne.

On dira tout de suite oui, c’est abominable, le Hamas a massacré, violé et brûlé, mais les Israéliens ont tué dans la guerre qui a suivi des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza, sans doute plus de soixante ou soixante-dix mille, dont une grande majorité d’innocents, femmes et enfants. C’est tout à fait vrai, c’est horrible, mais je le dis comme sociologue de la société israélienne, le massacre du 7 octobre reste une donnée fondamentale, pour qui veut essayer de comprendre la psychologie collective des Israéliens. Il ne fait aucun doute qu’au niveau de la conscience collective des Israéliens, le 7 octobre a été ni plus ni moins qu’une prolongation de la Shoah et des crimes commis par les nazis. Bien sûr sans les camps d’extermination, les chambres à gaz ou les fours crématoires, mais en tout cas c’est le plus grand crime commis contre des juifs comme juifs depuis la création de l’État d’Israël, en fait depuis la Shoah et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quand on sait la place absolument centrale qu’occupe la Shoah dans la culture politique israélienne, on ne peut s’étonner de cette référence instinctive et incontournable, autant pour les enfants des écoles que pour les adultes ou les personnes âgées. Pour un Israélien, quand il y a assassinats, viols, mutilations, tortures, enlèvements, maisons incendiées, c’est du nazisme. C’est quelque chose qui occulte tout et crée malheureusement une anesthésie totale à la souffrance de l’autre. 

À la suite du 7 octobre, Israël a déclenché une offensive terrible à Gaza, tant aérienne que terrestre, une guerre totale avec des bombardements massifs, qui avait pour but de détruire les capacités gouvernementales et militaires du Hamas, une guerre meurtrière, qui a fait des dizaines de milliers de morts et des dizaines de milliers de blessés palestiniens à Gaza. Nous avons tous vu les images atroces de cette guerre qui a pratiquement détruit toutes les infrastructures de la bande de Gaza, causant de grandes souffrances et des déplacements massifs de population. Il s’agit d’une catastrophe humanitaire de grande ampleur que les Israéliens ne connaissent pas assez, car ils n’en voient presque pas les images sur leurs écrans, même si on a parfaitement le droit de discuter de la qualification de cette catastrophe absolue comme génocide. Le mot génocide renvoie mentalement à la Shoah, qui continue à peser lourdement sur les mémoires européennes. Beaucoup se sont dit : si les juifs, même eux, qui ont souffert d’un génocide, font eux-mêmes un génocide, alors nous, les Européens, ne sommes finalement pas si coupables de ce qui s’est passé à l’époque de nos parents et grands-parents. Or un génocide repose sur le désir conscient, sur la volonté consciente d’annihiler, d’anéantir, d’éradiquer tout un peuple, son identité, son histoire et sa culture, ce qui n’est évidemment pas le cas ici malgré les crimes de guerre et violations du droit international commis par Israël. Les critiques d’Israël, dans le but de susciter l’émotion de l’auditeur par l’évocation des grands crimes de l’histoire, se servent abondamment de mots suggestifs tels que génocide, colonialisme, apartheid, nettoyage ethnique, etc… mais, même pour un intellectuel de gauche israélien solidaire des Palestiniens, il s’agit d’une manipulation sémantique. L’Israélien moyen n’ayant pas un sens moral, ou des critères moraux différents des Européens ou des Américains, je pense surtout que les Israéliens associent ces destructions catastrophiques au fait que le Hamas s’est servi cruellement de la population civile de Gaza, de toute la population civile, hommes, femmes et enfants, comme d’un bouclier humain, que ce soit par force ou par consentement. Tsahal insiste sur le fait qu’il n’y a pas un bâtiment, pas un hôpital, pas une école, pas un bâtiment universitaire dans lesquels n’aient été découverts des dépôts d’armes, d’explosifs, de roquettes ou de missiles dirigés contre la population civile israélienne, ainsi que des entrées pour les centaines de kilomètres de souterrains uniquement destinés à préparer des attaques contre les civils israéliens, à les assassiner ou à enlever des otages. 

Pour un Israélien, quand il y a assassinats, viols, mutilations, tortures, enlèvements, maisons incendiées, c’est du nazisme. C’est quelque chose qui occulte tout et crée malheureusement une anesthésie totale à la souffrance de l’autre. 

Encore une fois, on ne peut être qu’horrifié par l’ampleur des morts et des blessés civils palestiniens et des destructions à Gaza. Cette guerre aurait dû prendre immédiatement fin, et l’armée israélienne doit, selon l’accord de Sharm el Sheikh, se retirer progressivement et complètement de Gaza, sauf un périmètre de sécurité indispensable, et Gaza doit être entièrement reconstruite le plus tôt possible. Tout homme honnête est cependant obligé de dire que ce sont les crimes inqualifiables du Hamas le 7 octobre qui ont déclenché cette guerre et ces souffrances inimaginables. Ces crimes du Hamas ne doivent pas être oubliés avec le temps, gommés, ignorés ou même niés comme c’est souvent le cas aujourd’hui même. 

Que reste-t-il du rêve de Rabin ?

Qu’aurait dit Yitzhak Rabin de la situation actuelle ? Difficile de faire de la politique fiction ! Rabin lui-même avait beaucoup évolué : de « faucon » (« briser les os des manifestants » lors de la 1re Intifada), il était devenu la « colombe » d’Oslo avec le temps. Il aurait probablement, je crois, été d’accord avec les positions du camp de la paix israélien, qui soutient la solution des deux États pour les deux peuples, avec un État palestinien totalement démilitarisé, et où le Hamas, le Djihad islamique où toute organisation djihadiste ne jouerait plus aucun rôle, un État de Palestine qui serait en fait le fruit d’une négociation entre un futur gouvernement israélien modéré et responsable et une Autorité palestinienne rénovée et non corrompue, probablement sous les auspices des États-Unis et des États arabes. Autre question sans réponse : qu’est-ce que Rabin proposerait aujourd’hui de faire avec les habitants juifs de Cisjordanie, qui, 57 ans après la guerre des Six Jours et l’occupation, sont aujourd’hui plus d’un demi-million, environ 600.000 ? Beaucoup, dans le monde, qui n’y connaissent rien, répondent avec assurance : on dira aux colons de rentrer à l’intérieur des frontières d’Israël, ils quitteront leurs habitations et tout s’arrangera. Cela pose un réel problème pratique, car je ne crois pas que l’armée israélienne, ou américaine, ou toute autre armée, soit capable matériellement de faire partir ces colons. Qu’est-ce que Rabin aurait dit de cette situation (n’oublions quand même pas que la colonisation de la Cisjordanie s’est poursuivie durant les deux périodes dans lesquelles Rabin était au pouvoir…) ?

Dans tout pays démocratique, la politique étrangère et militaire est définie et mise en pratique par le gouvernement. Israël a eu la chance, dans le passé, d’avoir des gouvernements et des chefs de gouvernement dont la politique étrangère a été dans le bon sens, dans le sens de la paix, comme cela a surtout été le cas avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres. Israël doit absolument, après la terrible tragédie de Gaza, en revenir à un gouvernement radicalement différent, emmené par des hommes de retenue, de modération et d’entente, décidés à conclure une paix définitive avec les modérés du peuple palestinien, dans la sécurité et le respect mutuel. Israël va vers de nouvelles élections en 2026, et on ne peut qu’espérer.


Ilan Greilsammer

Professeur émérite de science politique, Université Bar-Ilan, Israël. Ilan Greilsammer est notamment l’auteur de ‘La Nouvelle histoire d’Israël : essai sur une identité nationale’ (Gallimard)

Écrire à l’auteur

    Article associé

    Soutenez-nous !

    Le site fonctionne grâce à vos dons, vous pouvez nous aider
    Faire un don

    Avec le soutien de :

    Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

    La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.