Quand l’horizon politique semble obstrué par un présent sans issue, le pas de côté de l’utopie ouvre de nouveaux possibles sur lesquels prendre appui. Cette semaine, K. tenait à donner de l’écho au projet « A Land for All – Two States, One Homeland ». Après avoir rencontré l’année dernière en Israël deux de ses piliers, la Palestinienne israélienne Rula Hardal et l’Israélien juif Meron Rappaport, nous publions un entretien où ce dernier présente à Elie Petit les contours et les enjeux du projet, accompagné d’un texte d’introduction écrit par Julia christ, Bruno Karsenti et Danny Trom. Alors que l’affrontement morbide entre l’antisionisme et l’extrême droite juive enferme dans des fantasmes d’annihilations mutuelles, il nous semble vital de donner à entendre toute perspective qui permet de penser l’articulation des revendications légitimes à partir de leur distinction. Evidemment, pour utopique que semble dans la situation actuelle l’idée d’une confédération de deux États-nations souverains, cette perspective ne se formule pas moins à partir d’une saisie réaliste du conflit et de ses enjeux de reconnaissance mutuelle. Reconnaissance, d’abord, d’un attachement légitime à une même terre. Reconnaissance, ensuite, de ce que le conflit implique de traumatismes et de traumatisés chez les deux parties en présence, qui suppose que chacune admette de les reconnaître sans quoi, entrer dans un processus de résolution politique véritable est impossible. L’intuition éminemment pragmatique qui oriente cette utopie est en somme la suivante : c’est dans le conflit entre deux revendications nationales légitimes que germe la perspective d’une intégration au sein d’un espace politique partagé. Maintenir son tranchant critique, alors, exigera de lutter contre les inévitables tentatives de faire oublier ce que cette utopie suppose de reconnaissance mutuelle.
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Alors que la situation à Gaza s'aggrave et que le débat politique israélien se radicalise toujours plus, tout projet de solution au conflit israélo-palestinien semble décalé. Pourtant, nombreux sont ceux qui préparent l'avenir. Un projet politique, A Land for All – Two States, One Homeland mérite une attention particulière. Il propose deux États souverains liés par une confédération, reconnaissant chacun les légitimités nationales de l’autre, et organisant la coexistence sur toute la terre disputée. Dans un contexte marqué par l’impasse militaire, la fatigue démocratique et la montée des lectures antisionistes en Europe, y compris de ce projet, que penser d'une telle construction utopique ?
Journaliste israélien, ancien reporter pour Yediot Aharonot et Haaretz, Meron Rapoport a cofondé avec le Palestinien Awni Al-Mashni l’initiative A Land for All [une terre pour tous], qui propose une solution inédite au conflit israélo-palestinien : deux États pleinement souverains, mais liés par une confédération, Jérusalem pour capitale partagée, une frontière ouverte, et un droit au retour négocié des deux parts. Dans cet entretien, Rapoport revient sur son parcours personnel, sur sa rupture avec le paradigme de la séparation, et sur la nécessité de penser, à rebours des logiques d’exclusion, un avenir fondé sur le partage, la réciprocité et la démocratie.
Milena Jesenská fut bien plus que la simple héroïne de la correspondance passionnée qu’elle eût avec Kafka : journaliste brillante, femme libre et engagée – devenue ‘Juste parmi les nations’ en 1994. Par son intelligence et sa force de caractère, elle captivait Kafka, à qui elle inspira certaines de ses plus belles lettres. Comme elle captiva Margarete Buber-Neumann, avec qui elle fut déportée à Ravensbrück et qui lui consacra un splendide livre-portrait. Christine Lecerf, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la mort de Milena, témoignait de son admiration pour la femme que Kafka disait vouloir « [emporter] dans ses bras hors du monde ».
Lors de la remise du Prix Primo Levi 2025 à Gênes, le grand écrivain américain Jonathan Safran Foer a livré un discours puissant sur la mémoire, la responsabilité et l’indifférence contemporaine. Dans une filiation revendiquée avec la pensée de Levi, il y évoque Gaza, appelle à rester moralement éveillés face aux souffrances du monde, à faire du trouble non pas une faiblesse mais une force éthique – et à ne pas se transformer en ombre…
Alors que la Suède célèbre 250 ans de vie juive, les réactions au massacre du 7 octobre, la guerre à Gaza et le ton des discours dans le débat public sont autant de raisons de s’inquiéter de l’antisémitisme prévalant dans le pays. Mais quelle est l’ampleur réelle de ce fléau, quel est son impact sur la communauté juive de Suède et comment les autorités y font-elles face ? En replaçant ces questions dans un contexte historique plus large, l’enquête de David Stavrou, que nous publions dans le cadre de notre partenariat avec la DILCRAH, tente de répondre à ces questions.
Le 18 avril dernier paraissait aux Éditions Ithaque la traduction du fascinant Freud une biographie intellectuelle de Joel Whitebook, qui se propose de rendre compte de la trajectoire du fondateur de la psychanalyse en nouant ses drames subjectifs aux coordonnées socio-culturelles où ils prennent place. Après en avoir il y a trois ans publié un extrait concernant la dualité du rapport à la mère chez Freud, K. a sélectionné à l’occasion de cette sortie française un passage qui aborde un thème majeur du livre : le lien intrinsèque entre psychanalyse et judaïsme, revendiqué à partir de la tradition iconoclaste du mosaïsme par ce « Juif impie ».
Dans « Des sadiques au cœur pur. Sur l’antisionisme contemporain », (Éditions Hermann, 2025), le philosophe Gérard Bensussan analyse les mutations idéologiques de l’antisionisme actuel. Dans cet extrait que l’auteur et l’éditeur nous ont autorisés à publier, se déploie, à l’ombre du 7 octobre, une réflexion qui interroge la souffrance palestinienne, entre responsabilité éthique et lucidité politique.
Comment un classique de la pensée juive écrit en arabe au XIIe siècle, qui revendique la supériorité absolue des Juifs et de l’hébreu, s’est-il retrouvé cité à la fois par l’extrême droite israélienne et par les franges les plus radicales de l’antisionisme ? Pour dissiper ce mystère, et les mauvaises lectures suscitées par ce texte, David Lemler s’est plongé dans le Kuzari de Yehuda Halevi. De son interprétation se dégage une utopie inattendue, celle de l’État juif des Khazars, dont la fonction critique pourrait aider à se dégager des apories contemporaines.
Trois éclats biographiques d’une filiation juive post-Crémieux, translatée entre l’Algérie et la France, voilà ce que nous offre ici le philosophe François-David Sebbah. Il y est lui-même situé en bout de récit, sous le visage de l’enfant. C’est à redevenir enfant en effet qu’il s’est exercé dans le livre, intitulé « Ses vies d’Afrique », dont ces quelques pages sont extraites et qui paraîtra à l’automne prochain aux Éditions Manucius. Il l’a fait pour mieux comprendre et pour mieux donner à voir ce qui, en lui, s’est secrètement conservé et déplacé de cette mémoire séfarade éminemment française. On verra qu’il y est lui-même suspendu à la manière d’un paragraphe rattaché à un plus long texte, impossible à unifier cependant, et voué pour cette raison à se présenter sous la forme d’éclats.
Ce 1er mai, les cris de « sales sionistes génocidaires » et la violence d’une extrême gauche enragée ont non seulement ciblé Jérôme Guedj, qui commence à avoir l’habitude, mais aussi, nouveauté, plusieurs élus présents sur le stand du Parti Socialiste. Clarification salutaire, analyse ici Bruno Karsenti : la logique de l’antisionisme contemporain ne se contente pas de mener à l’antisémitisme ; elle est irrésistiblement antisocialiste.
Le 8 mai, l’Europe célèbre sa refondation sur la défaite des nazis. Mais les Juifs peuvent-ils participer à ce moment de liesse qui soude la conscience européenne ? Stéphane Bou interroge ici, à travers le 8 mai 1945 vécu par le dramaturge Ionas Turkov, la disjonction des récits et des affects entre « le monde » et les juifs. Quelle place peut trouver l’histoire de la Shoah dans le grand récit triomphal de la victoire et de l’unité européenne ?
Deux témoignages, ceux des parents de Philip Schlesinger, se rejoignent à la frontière de l’intime et de l’histoire, dans une union déracinée où l’alliance semble surtout de circonstance. De la fuite hors de l’Autriche nazi aux difficultés de l’intégration à la société britannique, se dessine une identité prise entre le continent européen et cette île à l’appartenance incertaine.

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