Les universités européennes et américaines, considérées jadis comme politiquement neutres, se sont progressivement impliquées dans des déclarations politiques en solidarité avec les victimes d’injustice. Pourtant, lors d’événements impliquant le conflit israélo-palestinien, ces mêmes universités, sans se concerter, tacitement et d’un même mouvement, ont généralement gardé le silence. Elles ont révélé ainsi leur réticence fondamentale à prendre position sur toute question liée aux juifs, d’autant plus lorsque c’est de leur meurtre en masse qu’il s’agit, en tant que juifs et dans le centre juif le plus important du monde qu’est Israël. Pourquoi ? Que signifie, en particulier, qu’un pan majoritaire des sciences sociales soit devenu incapable d’étudier la condition juive d’un point de vue objectif, que ce soit dans la diaspora ou en Israël, semblant placer irrépressiblement, sans se l’avouer, « les juifs » dans le camp des « dominants » ?
Le 24 février 2022 la Russie a envahi l’Ukraine. Dès le jour même, non seulement les monuments nationaux des différentes capitales européennes ont été éclairés en bleu-orange, mais presque toutes les universités occidentales, par la voix de leur compte twitter officiel, des statements publiés sur leurs sites d’accueil ou encore leur pages Facebook, se sont déclarées solidaires de l’Ukraine attaquée, condamnant fermement l’agression dont elle était la victime. Ce genre de déclaration politique aurait peut-être été inimaginable vingt ans auparavant, l’université se comprenant comme le lieu où certes des points de vue politiques s’affrontaient, mais qui, hormis quelques exceptions aux identités très marquées, ne prenait jamais parti en tant qu’institution. Que le résultat des combats politiques en son sein, le savoir que l’université produit et transmet, soit politiquement neutre, objectif, tel était le message qu’elle voulait faire entendre et auquel, à certains égards et sauf cas exceptionnel, elle croyait sincèrement.
Les luttes pour l’émancipation des dernières décennies ont changé la donne, parce qu’elles s’en sont prises précisément à la prétendue neutralité du savoir lui-même. A ce titre, il faut le souligner, la critique visait juste, surtout dans les sciences humaines et sociales : interroger les positions situées des « savants » auto-déclarés, positions sur lesquelles ils ne prenaient pas toujours un point de vue réflexif – ni dans la définition des objets de leurs recherches, ni dans leurs méthodes – était effectivement un pas décisif que l’on devait franchir pour atteindre un niveau plus élevé d’objectivité. Issus d’une certaine classe, d’un certain genre, d’une certaine culture qui se croyait universelle, les producteurs de savoir ont dû tenir compte du fait qu’ils appréhendaient la réalité sociale, sans même le vouloir, selon le point de vue de cette classe ou genre dominants, ou encore de la culture majoritaire à laquelle ils appartenaient.
Profondément affectée par cette obligation à un retour réflexif sur elle-même, l’université, depuis, se dit spontanément du côté de celles et ceux qui s’estiment à bon droit infériorisés ou rendus invisibles : le subalterne, l’opprimé, le sujet sans voix au chapitre, bref, les oubliés de l’histoire, et avant tout de l’histoire de ce savoir même qui avait forclos leurs perspectives singulières sur la réalité. Cette résolution, qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration officielle, est devenue simplement comme un principe implicite et un statu quo. Elle explique la facilité avec laquelle ces hautes institutions des sociétés modernes – dont la tâche fondamentale de production et de transmission de savoir demeure inaltérée – peuvent désormais se sentir fondées à prononcer, exceptionnellement et lorsque l’heure est grave, des déclarations politiques : condamner des actions étatiques, soutenir les victimes de violence policière ; autrement dit, se mêler, en parole du moins, de la politique intérieure et extérieure de la nation, voire de géopolitique, pour dire publiquement de quel côté d’un conflit elles se trouvent. Précisément en tant qu’elles sont des institutions démocratiques du savoir, attentives en tant que telles à toutes les victimes avérées d’injustice, d’oppression et de violence.
Vu cette situation générale de l’université européenne et américaine, on aurait pu légitimement s’attendre, que l’on soit juif ou non, à ce que ces institutions, à l’instar de leur comportement lors de l’attaque contre l’Ukraine publient des messages de solidarité pour les victimes des attaques du Hamas, au lendemain des 7 et 8 octobre 2023. Rien de tel n’a eu lieu. A l’exception de la conférence des présidents d’université allemande (HRK) et l’association des universités française « France université », qui ont publié sur leurs comptes twitter un message de soutien sans ambiguïté pour les victimes des tueries, et la société Max Planck qui a fait de même, aucune université européenne, aucun institut de recherche, aucune agence nationale de la recherche n’a publié quoi que ce soit à ce sujet. Plus encore : tous, comme d’un commun accord, n’ont tout simplement rien publié sur les réseaux sociaux entre le 7 octobre au matin et le 9 octobre au soir, et ont repris après cette pause non déclarée leur activité habituelle d’annonce de colloques, de prix reçus par leurs membres ou encore de publicité pour des événements mondiaux comme la « journée mondiale de la santé mentale ».
De quoi ce silence commun non concerté et de courte durée, suivi en douceur du business as usual, sont-ils donc le symptôme ? Si l’on regarde du côté des institutions qui ont tout de même réagi, à savoir les regroupements des présidents d’université en France et en Allemagne, on constate que le geste consistant à monter au plus haut niveau de la représentativité corporative a surtout permis de décharger chacun de la décision de se prononcer dans son institution même. Engagement et désengagement pouvaient opportunément se concilier. A la moindre question gênante – que pensez-vous de ce qui s’est produit, à la fonction que vous occupez ? – il suffisait de renvoyer au communiqué de l’étage supérieur, voire de le relayer sur les comptes officiels des universités – ce que du reste peu d’institutions allemandes, et aucune française, ont finalement choisi de faire. On avait à la fois la conscience tranquille et la paix dans la maison. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de paix, ou encore de la peur d’une guerre civile au sein des établissements. Disons les choses comme elles sont. Les présidents savent, ou plutôt croient savoir, que déclarer leur solidarité avec les victimes des attaques inhumaines dans le Sud d’Israël risque de produire des clivages politiques ingérables dans les lieux et sur les scènes placés sous leur responsabilité. On a là un savoir insu et jamais explicité, mais pas moins partagé : car il faut bien que toutes les équipes présidentielles d’Europe aient donné, en toute discrétion, ordre à leurs services de communication de faire silence pendant trois jours, puis celui de recommencer la communication comme si de rien n’était.
De l’intérieur comme de l’extérieur, on se demande ce qui est arrivé à l’université pour se trouver dans une telle situation, où il est impossible précisément à celles et ceux qui ne cessent d’élever la voix en faveur de toutes les victimes de ce monde, de parler en faveur de juifs et juives abattus de sang-froid, brûlés vifs, torturés, violées, et kidnappés en masse. De fait, personne ne s’étonne que ces institutions n’affichent pas un drapeau israélien en signe de solidarité. La politique de l’État israélien à l’égard des Palestiniens que l’on doit qualifier à tout le moins de fiasco total, au pire d’oppression délibérée, rend un tel geste de toute évidence très compliqué ; tout le monde le sait mais là aussi personne ne le dit. N’était-on pas pourtant en droit, au vu précisément des déclarations politiques récurrentes des universités ces dernières années, des messages de solidarité et de soutien avec la population israélienne massacrée ?
Que cela n’ait pas paru possible sans que le risque de mettre le feu au baril de poudre soit jugé trop grand, voilà qui atteste de plusieurs problèmes qui pèsent gravement sur nos institutions d’enseignement et de recherche dans le supérieur. Si la contradiction actuelle a un mérite, c’est bien de les faire ressortir. On tâchera ici de les sérier, à la fois pour mémoire et pour qu’on en sorte enfin.
Tout d’abord, il s’avère que l’université démocratique et réflexive sur les savoirs qu’elle produit ne sait décidément prendre de positions politiques affichées que lorsque la victime en faveur de laquelle elle parle est l’objet d’une atteinte causée par un acteur généralement considéré comme détenteur d’un pouvoir et d’une position à l’aide desquels il exerce une domination : l’État, autoritaire ou non, les individus de genre masculin, la police. Il arrive que le capitalisme – ou le néolibéralisme – pris comme agent abstrait, puisse émarger à la liste, lors des pics des crises socio-économiques qui émaillent en effet la conjoncture récente. Qu’elle soit par contre dans l’incapacité de se dire solidaire de juifs assassinés, le fait n’en est pas moins frappant. On est alors enclin à conclure qu’elle présuppose, sans que ses représentants puissent le dire, que pour l’opinion hégémonique dans les établissements qu’il leur faut administrer, les juifs sont à une mauvaise place : celle d’un groupe identifié comme dominateur. Bref, pour se taire si massivement, il faut que l’on se pense, tacitement toujours, plus ou moins infesté par une pensée antisémite millénaire. Il se peut qu’individuellement on le déplore, la conviction demeure. Or est-ce là un diagnostic juste ? Personne ne peut le dire, puisque, précisément, on prend bien soin d’éviter toute prise de position susceptible de déclencher des réactions à travers lesquelles la question pourrait être tranchée. Le fait que les présidents d’université se taisent, ou aménagent soigneusement un temps de silence qui ressemble à une tétanie, trahit le fait qu’ils ont bel et bien ce soupçon. Qu’ils soient incapables de clairement le formuler, qu’ils le tiennent bien enfoui dans leur for intérieur, ou au mieux dans les bureaux calfeutrés de leur directoire, voilà qui constitue assurément un échec monumental de l’université démocratique.
En découle un second problème. Si perce la crainte qu’un grand nombre de chercheurs et étudiants en sciences sociales puissent être au fond convaincus que tout juif appartient au pôle social et politique des dominants, c’est qu’une certaine évolution propre aux sciences sociales l’a permis : celle-là même qui a fait de la domination le fait majeur à détecter, dont il faut bien que les agents putatifs soient identifiés. Ces trente dernières années, c’est ce qui s’est produit dans une portion considérable, et au bout du compte majoritaire, de ces formes de savoir : on en est effectivement arrivé à une conception de la politique où cette dernière s’est de plus en plus réduit à l’actualisation de purs rapports de force. Dans la version la plus simpliste, mais pour cela même la plus prégnante et la plus couramment diffusée de cette tendance, la politique n’est plus du tout conçue comme une lutte entre idéaux ou idéologies qui essaient d’imposer leur point de vue sur la société globale selon certains critères de justice, mais comme une simple lutte entre faibles (minoritaires) et forts (majoritaires). Aussi en arrive-t-on au point où les projets pour la société globale des « faibles » n’ont plus à être questionnés du tout ; toute l’attention des défenseurs de l’émancipation étant concentrée sur la compensation, et, espère-t-on, l’annulation de la position de faiblesse qu’ils occupent.
Le raisonnement implicite, si réducteur soit-il, mérite l’attention : officiellement, on estime qu’une fois les forces égalisées, la lutte devrait faire place à la coexistence paisible. Bref, on vise une mise à niveau, laissant de côté le problème de savoir en quoi consistent réellement les entités qu’on dépose sur la balance, et dont on mesure le poids en termes quantitatifs de concentration de force. Il y a là, en vérité, une bonne dose de mauvaise foi. Car personne n’est assez naïf pour penser que les acteurs minoritaires dont on endosse la cause voient leur identité de groupe se résorber dans le fait qu’ils composent un groupe politiquement dominé, de telle sorte que, si l’on parvenait à les rendre « égaux » aux dominants, ils s’en trouveraient satisfaits et vaqueraient tranquillement à leurs affaires. Les groupes, minoritaires ou majoritaires, sont porteurs d’idéaux ; la politique véritable est celle qui envisage l’articulation de ces idéaux, où chaque groupe se représente lui-même – y compris de manière oppositionnelle – en même temps qu’il se représente la société globale à laquelle il appartient. Le langage prétendument réaliste de la domination et des rapports de force manque ce point tout à fait objectif, et se trompe pour cela aussi bien sur les possibilités d’intégration qui se dessinent en politique, que sur la vraie nature des conflits qui se déroulent et dont toute politique a en effet à traiter.
Dans cette vision, il va de soi que l’État d’Israël est situé du côté des « forts ». Aller un peu plus loin que cette évidence paraît simplement hors de propos. Il l’est parce que c’est un État, et il l’est de surcroît parce que cet État est doté d’une armée puissante. Ne pouvant pas être solidaire avec lui, il semble qu’on ne puisse pas l’être non plus avec ses citoyens sans craindre de se retrouver embarqué du mauvais côté de l’histoire – y compris lorsque ces mêmes citoyens se trouvent désarmés face à des tueurs quant à eux parfaitement équipés, en l’occurrence par d’autres États, dont la puissance militaire n’est pas en doute, et a malheureusement déjà fait ses preuves, souvent contre sa propre population…
Pris sous cet angle, le silence des universités témoigne de ce qu’une conception particulièrement pauvre de ce en quoi consiste une politique légitime, orientée vers l’accroissement de la justice à travers l’articulation des idéaux qui s’affrontent socialement et politiquement, et pas simplement par la mise à niveau des forces en présence, a tellement infusé dans les esprits qu’on ne sait plus comment s’en extraire. C’est ce qui fait en l’occurrence que l’incapacité, chez nombre d’universitaires comme dans l’opinion demi-savante, d’aborder les événements qui viennent de se produire pour ce qu’ils rendent absolument manifeste : la lutte politique, non pas entre un « fort » et un « faible », mais entre deux projets de société dont l’un interdit la froide exécution à bout portant de civils, le viol et la mutilation de l’adversaire, tandis que l’autre le préconise et l’encourage. Ne reste plus alors que le silence. Quant à le justifier par la plate considération que l’on trouve moralement condamnable que des deux côtés du conflit, l’autre n’est appréhendé que sous le visage de l’ennemi ou de l’adversaire, voilà qui signale simplement qu’on a renoncé à penser la politique et les processus réels de politisation qui se déroulent en toute société, y compris dans celles, comme les sociétés israélienne et palestiniennes, déchirées par des conflits nationaux où se rejoue la confrontation et la reformulation de différents idéaux de justice.
Enfin, un dernier problème est apparu lui aussi en pleine lumière. Ce qui s’exprime dans le silence des universités, c’est le rapport contraint, empêché, entravé, qu’entretient la recherche européenne en sciences sociales avec la réalité du fait juif, c’est-à-dire avec l’expérience sociale et historique spécifique que traverse ce groupe. Ce qui règne, disons-le, c’est le désintérêt le plus complet pour ce que peut représenter et exprimer son point de vue. Tandis que les programmes de recherche et d’enseignement se sont fait fort dans les dernières décennies d’intégrer toujours plus le point de vue des femmes, des populations postcoloniales et des minorités de genre, et que l’incitation, par des outils financiers notamment, est particulièrement forte dans chacun de ces domaines, le cas des juifs n’est pas de ceux dont on entend se préoccuper et que l’on estime nécessaires d’étudier et de documenter – en un mot s’efforcer de comprendre, en vue précisément de faire avancer ce qui est censé être l’émancipation collective par la production de savoir.
Personne pourtant ne contestera que les juifs sont objectivement une minorité consistante. Mais sont-ils pour autant, dans l’opinion commune, du côté des « minoritaires » ? Voilà la question que l’on ferait bien de se poser. Si on les avait intégrés parmi les différentes perspectives minoritaires à prendre en compte afin de parvenir à la conception la plus complète et la plus juste possible de la réalité, on se serait aperçu de plusieurs choses. D’abord, que l’appartenance des juifs au camp des « forts » dominant des « faibles » ne trouve chez eux aucune résonnance, et que la fierté qu’ils trouvent à s’être reconstruits est toute entière indexée à leur capacité à persister ; ensuite, que s’ils regardent constamment vers Israël, c’est parce qu’ils se savent vulnérables et potentiellement atteints, agressés voire tués en diaspora ; que leur intérêt constant pour le destin d’Israël est aussi informé par le savoir que ce petit Etat perché entre des régimes autoritaires hostiles est tout sauf en sécurité, et qu’il représente pourtant ce qui existe de mieux en termes d’abri au cas où, malgré leur statut de citoyens dans des États-nations occidentaux, l’épreuve de la persécution les emporte à nouveau.
Poursuivons l’hypothèse de science-fiction. Si la recherche en science sociale avait fait l’effort d’intégrer leur point de vue, cela aurait également permis de percevoir que lorsque les juifs parlent aujourd’hui de pogrom, de Shoah, ou encore de génocide pour dire ce qui vient de leur arriver, ce n’est pas pour « mobiliser » l’opinion internationale en leur faveur en usant de catégories du droit international qui obligent qui que ce soit à condamner ce qu’ils viennent de subir, mais parce que ces mots qu’ils emploient sont puisés dans leur propre expérience historique et familiale. Ils témoignent ainsi du fait que les événements qui ont eu lieu s’inscrivent sans solution de continuité dans la trame même de cette expérience. Aujourd’hui, on ne dénie plus à aucune victime le droit de nommer son expérience avec les mots qui semblent lui correspondre au plus près, comme le mode expressif qu’elle a elle-même produit. Des juifs, par contre, on exige maintenant autre chose, qui est pratiquement le contraire : des photos des leurs enfants mutilés pour que l’on puisse juger si leur point de vue est juste « en toute impartialité » – au nom, là encore, de l’objectivité auquel le savoir doit se conformer.
Une des plus grandes défaillances des sciences sociales est certainement de ne pas avoir su intégrer l’expérience juive et le point de vue qu’elle commande dans la variation des points de vue politiquement minoritaires, ouverture qui a pourtant permis à ces sciences de devenir à la fois plus réflexives et plus incisives dans leur mode de connaissance. Que des juifs puissent être tués parce que juifs, que leur point de vue, saturé d’une expérience historique millénaire qui de tout évidence ne tarit pas, puisse importer réellement dans la formation et la vie propres des sociétés contemporaines, rien de tel n’est à l’agenda des recherches actuelles en sciences sociales. Plus encore : lorsque les juifs protestent parce qu’une position auto-qualifiée de subalterne se révèle clairement antisémite, on les accuse de jouer la concurrence des mémoires ou de placer la leur au-dessus de celles des autres. En somme, on les soupçonne de ne vouloir laisser de place pour aucun autre point de vue que le leur. En vérité, le problème est inverse : c’est plutôt que le leur n’intéresse plus personne. Et ceci alors même que dans la refonte des sociétés modernes dans l’Europe post-45, c’était précisément leur expérience propre, dans la tragédie qu’elle avait représentée, qui s’était révélée éminemment formatrice pour tous : « Comment avons-nous pu faire cela ? Qu’est-ce qui ne va pas dans notre conception de l’émancipation collective pour avoir fait ça ? Comment produire une société démocratique et égalitaire sans arriver à ça » ?, telles étaient les questions qui dominaient alors les esprits, et imprégnaient en profondeur les sciences sociales et historiques. Celles-ci, dans leur tâche de connaissance visant à éclairer le jugement public, étaient indéniablement inspirées par l’effort – réussi ou non, mais du moins amorcé – pour intégrer le point de vue juif, et à certains égards à en faire le pivot de leur reconstruction intellectuelle, politique et morale. Bref, c’était là des questions brûlantes pour l’auto-compréhension de nos sociétés au moment de la reconstruction de l’Europe. Les universités avaient alors répondu présent pour accomplir ce geste. Aujourd’hui il semble qu’elles ne sont même plus en état d’essayer de comprendre pourquoi elles préfèrent se taire quand « cela » – qu’elles sont bien alors en peine de nommer – arrive de nouveau.