Israël – l’avant et l’après

 

 

En cette période d’épreuve inédite, K. ne publiera pas de numéro cette semaine. Au vu des événements qui se déroulent en Israël et des sentiments qu’ils suscitent en nous, il ne nous parait pas possible de continuer comme à notre habitude. K., en général, s’interroge sur le destin des juifs d’Europe ; le problème du rapport de la diaspora à l’État d’Israël est naturellement l’un de ses thèmes aigus. En témoignent les récentes contributions publiées, notamment celles visant à déconstruire l’usage impropre de la notion d’« apartheid » dans la critique actuelle de la politique israélienne[1]. Or, il n’est pas insignifiant de relever son apparition dans le discours même du Hamas pour justifier son massacre de juifs.

Pour le moment c’est l’actualité qui nous requiert. L’attaque du Hamas contre Israël a bouleversé le monde juif, et l’on peut pressentir qu’elle le changera durablement. Quant à savoir de quelle manière, nul ne peut le dire à l’heure où c’est la sidération et la douleur qui dominent.

Une chose du moins paraît claire, non parce qu’elle serait une « révélation », mais simplement parce qu’elle exhibe ce qui n’aurait jamais dû en être une pour personne.

Que le Hamas ne soit pas un parti de gouvernement, ni même un mouvement politique, mais une organisation criminelle qui n’a d’autre but que de répandre la terreur et la mort, il fallait beaucoup de mauvaise foi, d’aveuglement et/ou de convictions antijuives pour ne pas le reconnaître. Puisque l’opinion internationale en est toujours bien pourvue, c’est pourtant l’image sous laquelle il tendait à se faire passer depuis son arrivée au pouvoir à Gaza en 2007: l’un des représentants héroïsés des combattants de la décolonisation dans leur version « dernier cri », combinant extrême dénuement, couteaux élimés et fusils d’assauts, le premier ingrédient suffisant à le ranger du côté du bien qui parfois s’égare, mais toujours bénéficie de la sanctification de l’opprimé. Pitoyable représentation des gauches en perdition que les faits actuels renvoient à l’ignominie qu’elle mérite. Tout ce qu’est le Hamas, c’est un groupe intégriste, fascisant et meurtrier, qui fait de crimes contre des populations civiles un point de fierté, et qui a eu les mains libres durant de longues heures dans le sud d’Israël – assez pour que, pris d’une passion exterminatrice, il massacre autant de juifs qu’il lui était possible de le faire.

Les antisionistes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, n’en sortiront pas découragés ou déniaisés, voilà à quoi on peut à coup sûr s’attendre. Dès les premières heures de l’attaque, on entendait déjà parler de cette fameuse « asymétrie » dont on se sert comme d’une évidence pour bien montrer qui est la vraie victime, si manifestement sanguinaire et enragée soit-elle. C’est qu’elle présente tous les traits du dominé qui devraient suffire à l’accréditer, sans avoir à regarder ce qu’elle veut vraiment, ni surtout ce qu’elle est capable de faire quand elle dispose de la force des armes. C’est bien de cette force dont elle a disposé, durant ces heures interminables de tuerie, visant civils, hommes, enfants, femmes, vieillards confondus. C’est bien de cette force dont elle dispose encore, à l’heure où nous écrivons. Si bien que le narratif inversé du courageux et frêle David se battant contre un Goliath juif, si bien vrillé dans les esprits soit-il, est fortement mis à mal par les images insoutenables qui se succèdent : celles de civils exécutés à bout portant dont les corps gisent dans les rues, celles de jeunes femmes ensanglantées trainées par les cheveux et exposées comme trophées à Gaza, et d’autres encore. Mais il en faudra plus pour faire céder l’antienne fétiche de l’extrême de la gauche : c’est ainsi que, empressé de « bien parler », le NPA s’est saisi de l’occasion pour exprimer son « soutien aux Palestinien.nes et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisi pour résister ». Et que des grandes chaînes de télévisions européennes ont en quelques heures changé de focale en parlant de la « guerre d’Israël contre Gaza .»

Est-ce déjà le sens que prendra la pente, dans les jours ou les semaines à venir ? C’est ce qui est à craindre en effet. On peut être sûr que plus la réponse d’Israël à l’attaque du Hamas se prolongera dans la durée, plus l’opinion mondiale oubliera les atrocités commises voire les excusera en invoquant l’image aberrante du combattant qui n’a pour arme que ses chaînes, voire celle du jeune David défiant le géant. Pauvre David. Il est probable que l’injure infligée au peuple juif en comparant ses assassins à son plus grand roi, de la lignée duquel est censé naître le messie, ne gênera personne. En attendant cette nouvelle blessure, nous, à la rédaction de K., comme l’ensemble du monde juif, comptons nos nuits blanches remplies d’angoisse pour les proches ou proches des proches habitant en Israël, de craintes pour les jeunes femmes et hommes devant aller à une nouvelle guerre et du sentiment d’attachement profond à cet État où nous ne vivons pas, mais auquel nous tenons par-dessus tout.


La rédaction

 

 

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