Dans un court texte de juin 1974, Pierre Goldman décrit la nature de sa relation à Israël — attachement fondamental, mais dénué d’illusion. Tiré de sa correspondance avec Wladimir Rabinovitch (Rabi), ces quelques lignes inédites sont rendues publiques pour la première fois grâce à son fils, Manuel Goldman.
Je suis de plus en plus obsédé par la question juive (c’est à dire nous). Je pensais, ce soir, que cet exil total dont je ressens de plus en plus la déchirure est simplement irrémédiable, la marque de notre présence. Et Israël n’est pas extérieur à la diaspora. Israël est un endroit de la diaspora, de l’exil. Exil sans terre promise. Je me demande si je n’aurais pas dû en 1966 aller en Israël et y vivre parmi des juifs, dans un pays juif. De toute façon, j’irai. Je crois aussi que vient un nouveau temps de l’antisémitisme. Je le ressens. Dans le fond, la justification d’Israël est la plus simple : dans toute société (réelle et non idéale) le choix pour les juifs : ou périr par reniement – assimilation, conversion (Espagne, Islam) – ou souffrir parce que l’intégration dans la différence est impossible. Au sein des gentils, les juifs sont condamnés à la souffrance et à l’isolement, à la vulnérabilité. Mais Israël est aussi un ghetto. Peut-être y aura-t-il d’autres malheurs… Il faut les vivre ou les mourir au sein du peuple juif. J’en suis convaincu.
Pierre Goldman, 11 juin 1974.