Israël sur le Danube. Épisode 3

La Knesset adopte à l’unanimité la Déclaration d’indépendance et de souveraineté de la République d’Israël-Juden Volk Republik.

 

Vienne, 1946.

 

Où l’on découvre comment le Maréchal Tito ne voit pas d’un bon œil la création de l’État d’Israël sur le Danube

 

Rejoints par les réfugiés de toute l’Europe, les pionniers ont déblayé les ruines en un temps record et construit des logements. Les kibboutzim ont pris possession des terres et, dès 1946, la nouvelle Autriche engrange des récoltes exceptionnelles. L’objectif fixé par le Conseil provisoire est d’atteindre rapidement l’autosuffisance alimentaire de l’État juif. Il devrait l’être rapidement, voire dépassé, car l’Europe — soumise à des restrictions alimentaires consécutives à la guerre — constitue un vaste marché potentiel à l’exportation. Les seules limites de l’expansion agraire tiennent aux exigences des partis religieux, auxquels les dirigeants de l’État ont dû faire quelques concessions. L’élevage porcin n’est pas formellement interdit, mais ne peut bénéficier ni de subventions publiques, ni d’investissements du Fonds social juif unifié chargé de soutenir la valorisation des terres. L’élevage des volailles, ovins et bovins est soumis au contrôle du rabbinat et l’abattage doit obéir aux règles de la cashrout. Même les plus anticléricaux des sionistes ont fini par accepter ce compromis qui a permis, en quelques mois, de faire de Vienne une capitale mondiale de la gastronomie juive. Restaurants, traiteurs, boulangers et pâtissiers affichent toute la gamme des spécialités traditionnelles : schnitzel de veau ou de volaille, saucisses et foies gras d’oie, pickelfleisch et pastrami, gâteaux au fromage et strudel aux pommes, sans oublier les bagels et les halot du shabbat. Cette cuisine se marie naturellement aux spécialités culinaires autrichiennes, qu’il s’agisse du bouillon avec kreplach cher à l’empereur François-Joseph ou du goulash hongrois.

Au pied des remparts de Vienne, le bras mort du Danube est devenu le plus grand bassin de pisciculture d’eau douce et produit une quantité impressionnante de carpes qui n’attendent plus que leur farce.

Au printemps 1948, toutes les familles juives peuvent dignement célébrer Pessah avec des matzot fabriquées sur place, tout comme l’est la semoule d’azyme des kneidler servis dans le bouillon des poules élevées dans les kibboutzim. En dépit des restrictions de viande, l’agneau pascal est sur toutes les tables accompagné de bulbes récoltés en Basse-Autriche.

Sur le plan politique, le mouvement pour l’État juif a permis de réunir les anciens partis sionistes socialistes, le Poalé Zion, le Mapam, ainsi que les mouvements de jeunesse Dror, Ikhoud Habonim et Hashomer, et les autres formations de la gauche juive, dont le Bund. Le vieux parti ouvrier juif, hostile avant-guerre au principe du retour à Sion, considère que c’est précisément son projet de nation juive qui triomphe à Vienne. Le Bund négocie donc son entrée au Conseil provisoire de l’État juif. Il suit avec émotion la reconstruction de l’ancien Reichstag viennois où il comptait jadis des députés, lequel s’apprête à accueillir la Knesset. Présents dans l’ancienne Agence juive en Palestine, les communistes ont eux aussi reconstitué un parti à Vienne avec le renfort d’éléments locaux et de rescapés des camps. Les religieux orthodoxes, dont les sionistes espéraient se débarrasser à l’occasion du transfert, ont finalement décidé d’accompagner le peuple juif sur le Danube afin de veiller au respect de la Torah. Depuis New York, le Rabbi de Loubavitch a lui-même rappelé que le hassidisme est né dans l’empire austro-hongrois, et plus précisément en Galicie, patrie du Baal Chem Tov et de tant de sages, de talmudistes et de cabalistes. La Judengasse viennoise connaît une véritable résurrection puisqu’on y croise, comme autrefois, les redingotes noires, les caftans et les shtreimel en fourrure des Hassidim.

Un mouvement religieux du retour se constitue et l’on voit fleurir à Vienne autant d’écoles talmudiques qu’il y avait de rabbis vénérés dans l’ancien empire des Habsbourg. À chacun sa yeshiva ! On voit arriver des disciples de toutes obédiences, lesquels ne jurent que par leur rabbin, originaires de Tarnow, Lemberg, Brody, Kalushim, Butchach, Stanislawow et autres bourgs, voire patelins, de Galicie, Hongrie, Bohême, Bucovine et Bosnie-Herzégovine. On accepte même un rabbi Nachman prétendant descendre de celui de Breslau, ville qui appartenait à la Prusse et non à l’Autriche, tout comme l’on affecte des locaux à l’étude de l’enseignement du Gaon de la très lointaine Vilna qui n’a jamais fait partie de l’empire.

A la fin de 1947, l’Agence juive estime le nombre de Juifs vivant dans le Judenstaat à trois millions.

Les troupes soviétiques se sont retirées, comme convenu, à mesure des transferts de population. Ne reste plus, au début de mai 1948, qu’une poignée de régiments stationnés dans la périphérie de Vienne. Le maréchal Koniev assure leur commandement et a suspendu le retrait le 25 février afin d’être en mesure d’apporter si nécessaire « une aide fraternelle » aux communistes qui viennent de s’emparer du pouvoir à Prague. L’Armée rouge reprend cependant son mouvement d’évacuation à partir du 9 mai 1948, une fois proclamée la République socialiste de Tchécoslovaquie par le président Gottwald à l’issue d’un coup de force magistralement orchestré selon un mécanisme déjà bien huilé dans d’autres pays. Pour rassurer le voisin communiste, Golda Meïr a rencontré à Bratislava Vlado Clementis, le ministre des Affaires étrangères de la Tchécoslovaquie. Ben Gourion, pour sa part, n’a pas manqué d’adresser un message de félicitation aux nouveaux dirigeants tchécoslovaques, Klement Gottwald et Rudolf Slanski. Il a chargé Max Brod, directeur du Habimah-Burgtheater, d’une mission de coopération culturelle entre Vienne et Prague. Les deux pays signent un accord sur la sauvegarde des trésors d’art juif pillés par les nazis et rassemblés à Prague par le Gauleiter Reinhard Heydrich, numéro 2 de la SS.

Staline n’en a pas moins ordonné à Koniev de contrôler les points de passages terrestres ainsi que la navigation sur le Danube.

Les dirigeants du Judenstaat ont dû accepter en outre que les frontières de leur État ne soient pas exactement celles de la première République d’Autriche à la veille de l’Anschluss. Les Soviétiques les ont rectifiés de facto, au Nord et à l’Est, au prétexte d’assurer la sécurité de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie. Vienne, capitale de l’État juif, se trouve ainsi à une dizaine de kilomètres à peine de la zone de sécurité contrôlée par l’Armée rouge. Au sud, le Maréchal Tito a annexé unilatéralement une partie de la Carinthie, dont la ville de Klagenfurt. En réponse, les États-Unis, estimant que les Alpes constituent le rempart de l’Europe occidentale, ont échangé la reconnaissance du nouvel État juif contre son renoncement au Tyrol. Les populations germaniques déplacées de Vienne, Linz et Graz et ayant trouvé asile dans des camps de réfugiés au Tyrol se trouvent ainsi sous le contrôle de l’armée américaine.

Une négociation officieuse aboutit à la reconnaissance par les Alliés des zones de sécurité établies par l’URSS autour du nouvel État et permet de terminer l’évacuation à la date prévue par les accords. Il a fallu toute l’habileté (à défaut de charme) de Golda Meïr et l’extrême fermeté des Alliés pour convaincre Molotov alias « Monsieur Niet ». Mais il faut dire que l’Armée rouge ne compte plus les défections d’officiers et de soldats qui font valoir leurs origines juives, réelles ou non, pour demeurer à Vienne et ne pas regagner le paradis des travailleurs.

Stratégiquement, l’Armée soviétique peut se contenter de tenir la capitale du Judenstaat à portée de canon et de contrôler la navigation sur le Danube. La principale concession de Golda à Molotov fait cependant grincer des dents au sein du Conseil provisoire du nouvel État. En effet, pour faire face à Tito qui a rompu avec Staline en mars 1948, Moscou exige l’extension de la zone de sécurité jusqu’à la frontière de la Carinthie yougoslave. Et il a ordonné au maréchal Koniev d’occuper la petite bande de terre séparant les armées soviétique et yougoslave qui se font déjà face sur d’autres frontières. L’État juif n’en est plus à deux kilomètres près ! Les rapports du Judenstaat et de la Yougoslavie pâtissent sérieusement de l’accord Molotov-Golda Meïr.

Pourtant, l’Armée rouge finit par partir et l’État juif devient pleinement souverain en l’absence de toute force étrangère dans sa capitale.

Une cérémonie est donc organisée le 9 mai 1948 au Spanien Schule, l’ancien manège de cavalerie de l’impératrice Elisabeth, où le maréchal Koniev remet solennellement les clefs des dernières casernes à la Haganah en présence de David Ben Gourion, chef du Conseil provisoire du Judenstaat. À cette occasion, le vieux leader travailliste remercie chaleureusement l’Armée rouge pour son rôle décisif dans la victoire sur le nazisme.

De l’autre côté du Ring, le vieux Reichstag autrichien a été relevé de ses ruines pour accueillir le Parlement du nouvel État. La polémique sur l’appellation de cette Assemblée a quelque peu retardé les décisions. Fallait-il adopter le mot hébreu Knesset comme le proposaient les anciens du Yishouv de Palestine ou s’en tenir à l’allemand par respect pour Théodore Herzl ? Et pourquoi pas le yiddish, comme le suggèrent le Bund et les représentants de la masse de réfugiés venus de toute l’Europe pour construire le Judenstaat, l’État juif du Danube ? L’Assemblée vote finalement à la majorité en faveur du bilinguisme et l’État juif reconnaît deux langues officielles : l’hébreu et l’allemand. Par conséquent, son Parlement se nomme à la fois Knesset et Judenvolkstag. L’État lui-même prend deux appellations : Juden Volk Republik et Israël.

Ces premiers votes font apparaître de profondes divisions entre les hébraïstes et les partisans du yiddish. Les partis sionistes, pour imposer l’hébreu, se sont alliés avec les Yekkes, à savoir les Juifs allemands et autrichiens : en échange du maintien de la langue historique des lieux, les intéressés acceptent de voter contre l’adoption de ce qu’ils considèrent comme un jargon réservé aux Ostjuden. Et d’ailleurs, comment refuser l’adoption de l’allemand, langue de Freud, d’Einstein, de Joseph Roth, de Kafka et, surtout, de Theodor Herzl ? L’allemand facilitera en outre le rayonnement des universités du nouvel État !

Dans ce combat perdu d’avance en faveur du yiddish, le Bund aura trouvé pour seuls alliés, ses adversaires de toujours, les Hassidim hostiles à l’usage séculier de la langue de la Torah et partisans du yiddish dans la vie quotidienne.

En dépit de ces divisions, la Knesset— Judenvolkstag adopte à l’unanimité la Déclaration d’indépendance et de souveraineté de la République d’Israël-Juden Volk Republik.

*

L’évacuation des populations autrichiennes s’achève dans l’est et le centre de l’Autriche, régions contrôlées par l’Armée rouge. Selon une méthode éprouvée, les officiers soviétiques commencent, dans chaque ville, par autoriser leurs hommes à se venger des exactions nazies. Après quelques heures de pillages et de viols, les officiers ramènent l’ordre, puis procèdent à l’arrestation des notables compromis avec le régime nazi et les fusillent sur la place principale. Quelques explosions et, si nécessaire, quelques démolitions de maisons au canon de char suffisent généralement à provoquer l’exode de la population. Les gens décampent sans demander leur reste et, pour plus de sûreté, un régiment du NKVD, dirigé par un certain colonel Brejnev, les serre de près. Ces évacuations forcées se terminent fin 1947, tandis que les survivants des camps et des ghettos s’installent dans les décombres des villes où les organisations humanitaires juives sont vite débordées.

La situation est fort différente dans l’ouest du pays occupé par les troupes américaines, françaises et britanniques. Les Alliés qui voient affluer la masse de fugitifs venus de la zone soviétique les orientent vers la Bavière sans pour autant les empêcher de se diriger vers le Tyrol qui n’a pas été évacué. Le commandement américain de la ville d’Innsbruck coopère avec la Croix-Rouge pour établir des camps accueillant les Autrichiens dans des conditions décentes. La presse sioniste ne manque pas de protester, en montrant, photos et témoignages à l’appui, que les survivants des camps n’ont pas droit aux mêmes égards que leurs bourreaux. Les grands journaux de Vienne, le Haaretz en hébreu, le Judenwelt en allemand et la Volkstime en yiddish n’ont pas de mots assez durs pour souligner que la Croix-Rouge, si généreuse avec les réfugiés autrichiens, n’a pas levé le petit doigt pour les Juifs et a relayé la sinistre mascarade nazie du camp de Theresienstadt [Terezin en tchèque].

Au sud, l’absence de troupes alliées a permis à Tito de se poser en protecteur de la Carinthie, dont une partie de la population est slovène. Belgrade propose une autonomie culturelle des populations germanophones, avec un statut comparable à celui des Magyars de la Voïvodine, au sein de la République yougoslave de Serbie.

En novembre 1947, alors que les Nations Unies ont adopté une résolution sur la création d’un État juif et que s’achève le transfert depuis la Palestine, officiellement baptisé « opération Exodus », des commandos infiltrés en zone juive perpètrent plusieurs attentats. L’explosion d’une bombe dans la gare centrale de Vienne est saluée par des hourras à Innsbruck et à Klagenfurt. Le Conseil provisoire se doit d’autant plus de réagir qu’il faut d’urgence clarifier la situation de Salzbourg, dont l’État juif entend faire une ville phare aux yeux des musiciens et des universitaires du monde entier. En 1945, Salzbourg s’est rendue au 15e corps américain pour éviter d’être prise par l’armée soviétique. L’accord de transfert des populations n’en demeure pas moins théoriquement valide, même si les Américains ne montrent guère d’empressement à le mettre en œuvre. La résolution de l’ONU de novembre 1947 prend acte du processus de constitution d’un État juif sur le territoire de l’ancienne Autriche, mais sans préciser le tracé de ses frontières occidentales. Le Conseil provisoire de l’État juif décide alors d’imposer par la force sa propre délimitation.

L’opération Exodus achevée, l’exécutif juif dispose d’une petite force militaire composée d’unités de la Haganah venues de Palestine et renforcées à Vienne par d’anciens combattants des maquis juifs d’Europe centrale. Cette petite armée dispose de quelques blindés abandonnés par les Allemands et rafistolés dans une usine de Vienne. Elle a également récupéré un stock d’armes légères de fabrication tchèque opportunément livré par Moscou. Il semble en fait que, dès cette époque, Staline se soit méfié de Tito qu’il qualifie de vipère lubrique et qu’il accuse de déviationnisme. Aux yeux du Kremlin, en effet, le projet de fédération balkanique de l’intéressé cache un projet impérialiste. À la fois slovène et croate de naissance, soldat de l’Empire en 1914, Josip Broz-Tito s’est discrètement émancipé de la tutelle du Komintern après avoir assisté à Moscou aux purges de 1938. Les services soviétiques s’inquiètent de ses contacts directs avec les autres chefs communistes de la région, redoutant la naissance d’un second centre communiste qui scellerait la fin de l’hégémonie du PC soviétique sur les partis frères. D’autant que Staline demeure persuadé que le véritable projet de Tito est de s’emparer de Vienne, puis de fédérer les communistes tchécoslovaques, hongrois et roumains sous la tutelle des Yougoslaves, ce qui ferait de lui le successeur des Habsbourg.

Pour contrecarrer un tel projet, Staline n’hésite pas à armer les Juifs. Les services soviétiques fabriquent les preuves d’une conversation secrète de Tito avec le Bulgare Georges Dimitrov et les font parvenir aux autorités juives de Vienne. Ce document a beau être un faux aussi grossier que « Les Protocoles des Sages de Sion », les dirigeants sionistes n’y voient que du feu. Golda Meïr, qui a fait la tournée des capitales de la région pour préparer la reconnaissance de l’État juif, n’a pas été reçue à Belgrade et elle a perçu, un peu partout, des réticences chez les chefs communistes. Ben Gourion réunit un conseil de défense qui décide illico d’administrer une leçon à Tito par le biais d’une intervention rapide.

Haïm Bar Lev — avec le toupet tranquille propre aux officiers de Tsahal — marche sur la frontière avec une dizaine de blindés, quelques pièces d’artillerie et deux brigades d’infanterie. Il contourne les forces soviétiques massées aux frontières et entre en Carinthie. Après avoir déployé ses maigres troupes sur les collines, il dépasse Klagenfurt pour s’approcher de la frontière slovène. Surpris, les partisans yougoslaves se replient derrière la frontière officielle, laissant à Bar Lev le contrôle de la route et de la voie ferrée qui relient Klagenfurt à la Slovénie yougoslave.

En même temps, la Haganah lance l’opération Zauberflöte [la Flûte enchantée], dont le commandement est confié à Moshé Dayan. Un commando du Palmach composé d’une poignée d’hommes menés par le capitaine Itzhak Rabin pénètre nuitamment dans la ville pour s’emparer du central téléphonique et du poste de police. Les quelques policiers municipaux de service se laissent désarmer sans opposer la moindre résistance.

Dayan a réquisitionné un maximum de véhicules et, au lever du jour, a forcé sans mal les portes de Salzbourg, s’emparant de la forteresse et du château d’autant plus facilement que ces places n’étaient pas gardées. Les Américains ont établi leur camp à l’extérieur de la ville et la date de l’opération a été délibérément fixée au dernier jeudi de novembre. Les GI fêtent Thanksgiving et, quelque peu éméchés, prennent les coups de feu tirés à l’intérieur de la ville par les commandos juifs pour des pétards. Il leur faudra attendre d’émerger de leur coma éthylique pour apercevoir le lendemain matin le drapeau blanc-bleu flotter sur la forteresse. Dayan installe son QG dans la maison natale de Mozart et envoie un message amical au commandant américain. Sans perdre plus de temps, il convoque ses officiers et déplie un grand plan de la ville afin d’organiser l’expulsion des Autrichiens et Allemands encore sur place, en violation des accords interalliés. Des tirs d’armes automatiques perturbent la réunion. L’explication ne se fait pas attendre : un message expédié par Rabin depuis le central téléphonique informe Dayan de la présence de l’Irgoun qui procède à des exécutions sommaires de « nazis ». Aucun des deux officiers n’a été mis au courant de cette initiative. Il s’avère que les membres de l’Irgoun, lesquels ont quitté la Palestine, ont été informés de l’opération Zauberflötte. Pis encore : un officier de renseignement qui accompagne Dayan l’informe d’un accord confidentiel passé par Ben Gourion avec Menahem Begin. Les disciples de Zeev Jabotinsky ont été autorisés à reconstituer un groupe armé et secrètement associés à l’opération menée par Dayan et Rabin à l’insu de ces derniers. Rabin, furieux, menace de démissionner et appelle Ben Gourion en personne.

— Allons, Itzhak, répond le chef historique, laisse-les faire le sale boulot !

L’Irgoun a baptisé son intervention « Pas de clémence pour Titus ». Des hommes armés pénètrent dans les maisons des Autrichiens et font sortir des familles entières. Pour mieux terroriser la population, on exécute sans plus de formalité une vingtaine d’hommes, en âge d’avoir servi dans la Wehrmacht, que l’Irgoun affirme avoir identifiés comme des Waffen SS. Certains portent bien des tatouages pouvant attester de cette qualité, mais il n’y aura ni enquête ni autopsie et les corps sont immédiatement enterrés à la pelleteuse. Les autres hommes craignant de connaître le même sort s’enfuient en courant par la route sans se retourner, si bien qu’il faut moins de deux heures pour vider la ville.

Ben Gourion ne s’y est pas trompé, l’action expéditive de l’Irgoun a accéléré l’évacuation de la population autochtone de Salzbourg. Les forces « régulières » du Conseil provisoire juif peuvent désormais sécuriser la ville sans se salir les mains.

À Vienne, Moshé Sharett négocie avec les représentants des forces alliées. Salzbourg fera partie de l’État juif qui acceptera en revanche de concéder le Tyrol. Rebaptisée « Kyriat Amadeus », la ville offre des conditions de travail exceptionnelles à tout ce que l’exil juif compte non seulement de musiciens, mais aussi d’artistes de toutes disciplines. Kyriat Amadeus va devenir la cité de l’harmonie, le lieu d’initiation à toutes les formes d’élévation de l’âme dont Mozart avait rêvé.

Côté Carinthie, une commission des Nations Unies est chargée d’établir une ligne de cessez-le-feu.

Vienne, désormais capitale de l’État juif, retrouvera-t-elle son faste d’autant ? Pourquoi George Marshall fait-il l’objet d’un tel courroux dans l’État juif ? Comment le deuxième classe Evgueni Abramowitch Lewine est-il brusquement sorti de l’anonymat ?

Vous le saurez en lisant le quatrième épisode de notre feuilleton !

Guy Konopnicki

Guy Konopnicki est journaliste et écrivain. Parmi ses nombreux livres, il est notamment l’auteur, avec Brice Couturier, de ‘Réflexions sur la question goy’ (Éd. Lieu Commun, 1988) et de ‘La faute des Juifs – Réponse à ceux qui nous écrivent tant’ (Balland, 2002).

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