« Avec l’accord de notre grand camarade Staline, je suis venu vous proposer de donner l’Autriche aux Juifs pour y bâtir leur État. »
Où l’on voit comment sir Winston, sous l’effet conjugué du champagne caucasien et d’une fine Napoléon d’exception, se laisse séduire par un sinistre personnage…
Au soir du 10 février 1945, épuisé par la négociation, Winston Churchill s’est retiré dans les appartements mis à sa disposition au Palais Vorontsov, somptueux vestige de la splendeur des tsars. Bien que la Luftwaffe ne soit plus en mesure de s’aventurer jusqu’en Crimée, la sécurité de la conférence a imposé un black-out à Yalta et dans les environs. Jamais la mer Noire n’a si bien porté son nom. Mais Churchill n’est pas d’humeur à écarter le lourd rideau qui masque la fenêtre pour admirer le paysage, car il pense déjà à celui qui va s’abattre sur l’Europe si Roosevelt et lui cèdent aux exigences de Staline. Il regarde autour de lui et ne peut s’empêcher de louer l’extrême délicatesse du Père des Peuples qui a fait accrocher dans le salon des photos du mariage de la grande-duchesse Maria Alexandrovna avec Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, duc d’Édimbourg et fils de la reine Victoria. Suprême attention diplomatique, on a même déniché une photo prise dans les jardins de Windsor où l’on voit cette gente dame, issue de la lignée des Romanov, s’incliner devant sa belle-mère, reine d’Angleterre et impératrice des Indes. Le moins qu’on puisse dire est que la beauté n’était pas au rendez-vous et le Premier ministre, consterné devant tant de laideur, soupire en songeant à la splendeur passée de son pays. Il s’approche du téléphone, même s’il n’ignore pas que ses hôtes ont truffé l’endroit de micros et placé sa ligne sur écoute. En revanche, ils ont eu le bon goût de disposer une excellente fine Napoléon sur sa table. Il ne résiste pas à l’idée de réclamer Londres au standard afin de prendre des nouvelles du front. En attendant la communication, il se sert un verre de ce breuvage d’exception, volé en France par un officier allemand qui s’était promis de l’ouvrir pour célébrer la victoire du Reich, mais a eu la malchance d’être muté sur le front de l’Est où il a eu la mauvaise idée d’essayer de se soulager par moins vingt degrés à portée de vue d’une tireuse d’élite soviétique — apparemment peu émue par ses attributs — dans les faubourgs de Cracovie en janvier 1945. Le Premier ministre examine la bouteille. L’étiquette française porte la mention « Cuvée 1918, année de la victoire ». Dans un élan d’optimisme béat, le défunt Teuton a même cru bon d’ajouter une seconde mention : « Pour boire à la santé du Führer quand nous occuperons le Kremlin ». Hélas, le sort de la guerre en a décidé autrement et le maréchal Joukov a fini par mettre la main sur le précieux breuvage. Ce fils de moujik ne parlant pas la langue de Molière et ayant des goûts rustiques en matière de spiritueux a eu la bonne idée de faire don de la bouteille à Staline, lequel s’est empressé de la faire porter à Churchill.
Les nouvelles qui parviennent de Londres font apparemment le bonheur des agents soviétiques chargés de la table d’écoute qui, du coup, se dispensent de mettre de la friture sur la ligne. La RAF et l’US Air Force ont beau pilonner la Rhénanie, les Alliés ne peuvent espérer franchir le Rhin avant plusieurs semaines. Le groupe d’armées britanniques du général Montgomery devait passer à l’offensive le 8 février pour marcher sur Cologne, mais les Allemands ont fait sauter un barrage, provoquant une inondation qui interdit toute progression. Force est d’attendre la baisse du niveau des eaux, ce qui prendra au moins deux semaines. Pendant ce temps, l’Armée rouge avance sur deux fronts. La fine Napoléon offerte par Staline et les Havanes arrivés par bateau avec Franklin Delano Roosevelt sont d’un piètre réconfort. À peine le Vieux Lion a-t-il raccroché et s’est-il laissé tomber dans un fauteuil qu’on frappe à la porte. Un diplomate britannique demande l’autorisation d’introduire un haut dignitaire soviétique qui tient à s’entretenir immédiatement avec le Premier ministre de sa gracieuse majesté.
— Pourquoi diable vient-on m’importuner ? s’exclame Churchill. J’ai déjà dit à Molotov ce que je pense…
— Sir, il ne s’agit pas de Molotov, mais de l’homme le plus puissant du Kremlin après Staline… Rien moins que Lavrenti Beria !
— Pourquoi Staline m’envoie-t-il le chef de sa police politique ? Ce satrape ne s’imagine tout de même pas pouvoir m’appliquer ses méthodes !
— D’après ce que je crois savoir, Sir Winston, Beria n’en veut nullement à votre personne… Et si je puis me permettre, d’après les informations de nos services, ce n’est pas la brute que l’on imagine. Certes, ses hommes pratiquent la torture avec un art consommé, mais l’intéressé sait aussi se montrer aimable, voire câlin, avec les petites communistes méritantes du komsomol… Beria est certainement le plus fin des dirigeants gravitant autour de Staline.
— Vous parlez d’un exploit ! Molotov conduit sa diplomatie avec la finesse d’un ours, il ne connaît que les rapports de force. Mais ce n’est pas lui qui dessine les frontières de l’Europe, ni même leur « Vojd[1] ». C’est Joukov. La ligne de partage dépendra de l’avancée de ses troupes… Et pendant qu’il fonce à toute allure, Montgomery n’est pas foutu de franchir la ligne Siegfried ! Faites entrer ce Monsieur Beria dans le salon privé. Au point où nous en sommes !
Churchill boit et se ressert avant de gagner le salon, le verre à la main et le cigare vissé à la bouche. Beria entre avec un air surprenamment bonhomme.
— Vous n’imaginez pas à quel point je suis honoré d’être reçu par le Premier ministre de sa gracieuse majesté le roi Georges VI.
— N’exagérons rien, réplique Churchill… Nous ne sommes pas à Downing Street, mais chez vous ! Je suppose que vous n’êtes pas venu ici pour le seul plaisir de narguer l’homme que vous tenez à votre merci, lui qui résistait à Hitler quand votre camarade Molotov se gobergeait avec Ribbentrop ! Quelle nouvelle couleuvre désirez-vous me faire avaler ?
— Je vous trouve bien méfiant, sir Winston… Pourtant ma démarche ne vise qu’à défendre les intérêts supérieurs de l’Empire britannique…
— Vous plaisantez ? Allons…
— Monsieur le Premier ministre, il y a une douzaine de jours, notre vaillante Armée rouge a découvert un lieu abominable : le camp d’Auschwitz, en Pologne, où les nazis pratiquaient l’extermination de masse des Juifs. Nous avons également découvert d’autres sites effroyables, en Ukraine et dans toutes les régions où Hitler croyait s’installer durablement… Des millions de Juifs ont été assassinés. Beaucoup de ceux qui sont encore entre leurs mains ne survivront pas.
— Je ne savais pas que vous vous intéressiez aux Juifs autre part que dans les caves de la Loubianka, Monsieur Beria… Je me suis même laissez dire que vous les traitez sans trop de ménagement !
— Des rescapés errent déjà par dizaines de milliers dans les territoires que nous contrôlons, il y en aura aussi quand vous entrerez en Allemagne…
— Oh ! Je sais qu’il nous faudra gérer un chaos épouvantable. On ne nourrira pas l’Europe affamée avec le chewing-gum et le chocolat des Américains.
— Je vous parle des réfugiés juifs, sir Winston… Vous savez vers quelle terre veulent se diriger ceux que nous avons libérés des camps. Dans quelques mois, toutes les embarcations possibles et imaginables seront chargées de ces Juifs qui mettront le cap sur la Palestine ! Comment pourrez-vous les repousser ? Vous êtes prisonnier de la promesse qui leur a été faite par un ministre britannique que vous avez bien connu !
— Vous parlez de Lord Balfour ? Croyez-vous vraiment que nous pouvons accueillir tous les Juifs survivants en Palestine ? Nous en avons déjà beaucoup trop ! Les Arabes se soulèveraient aussitôt…
— C’est bien ce que je pensais, dit sèchement Beria. Vous avez promis trop de choses à trop de monde et vous ne savez pas quoi faire de ces Juifs. Je vous comprends. Nous avons bien créé pour eux une République juive, mais apparemment ces ingrats préfèrent le Moyen-Orient à l’Extrême-Orient !
— Il me semble pourtant, objecte Churchill, que cet endroit, le Birobidjan, c’est cela, n’est guère accueillant.
— Oh ! Vous autres Britanniques avez colonisé des terres bien plus hostiles. Et puis la Palestine, avec ses déserts, ses marécages et sa mer Morte, ce n’est pas non plus le Jardin d’Eden si j’ose m’exprimer ainsi. Je pense qu’il faut ramener le sionisme sur sa terre d’origine…
— J’ai peur de ne pas vous suivre, Monsieur Beria. Vous voulez céder une partie de la Russie ou de la Pologne aux Juifs ? Il est vrai que la plupart des dirigeants sionistes de Palestine viennent de chez vous après avoir contracté une certaine allergie aux cosaques…
— Beaucoup de sionistes viennent de chez nous certes. Mais le sionisme en tant qu’idée vient de Vienne. C’est un journaliste autrichien, Theodor Herzl, qui l’a lancée. C’est pourquoi, avec l’accord de notre grand camarade Staline, je suis venu vous proposer de donner l’Autriche aux Juifs pour y bâtir leur État.
— Mais, s’offusque Churchill, que ferez-vous des Autrichiens ?
— Ça n’a guère d’importance, ricane Beria… Les populations allemandes ont la saine habitude de fuir dès que nous arrivons. Nous aurons bientôt vidé la Prusse, la Poméranie orientale, la Silésie. Je ne crois pas que les Tchèques supporteront longtemps les Allemands des Sudètes. Les nazis d’Autriche iront en Allemagne comme tous les autres… sur la parcelle de territoire que nous voudrons bien laisser à ces chiens d’Allemands. Hitler est autrichien, vous n’allez pas avoir pitié de ses semblables… Vous-même avez assez souffert pendant le Blitz !
— Je ne me vois pas expliquer à Weizmann et Ben Gourion que je les vire de Palestine pour les expédier sur le Danube !
— Voyons, sir Winston… Les Juifs ont toujours adoré Vienne au point de faire venir des architectes viennois à Tel-Aviv. Revenir sur les rives du Danube, ils en rêvent tous ! Il y a vingt ans, c’était encore l’eldorado des artistes, des musiciens, des écrivains, des savants, des intellectuels juifs. La véritable patrie du sionisme !
— Ce n’est pas faux, soupire le Premier ministre… L’empereur Franz Joseph a bien été le premier monarque européen à conférer un titre de baron à un juif, Salomon Mayer von Rothschild… Avez-vous informé Roosevelt de ce projet ?
— Je tenais à vous en donner la primeur… Et pour convaincre le Président des États-Unis, nous pensons qu’il faudrait d’abord approcher des Juifs influents chez lui. Nous pouvons faire circuler l’idée entre New York et Hollywood, ils ne tarderont pas à penser qu’elle vient d’eux… Et lorsque nous présenterons le projet, ils l’approuveront et le Président devra les suivre.
Churchill hésite. Il est bien obligé d’admettre que Staline nourrit sûrement le dessein de faire ainsi passer l’Autriche dans sa zone d’influence. Mais en contrepartie, le Royaume-Uni se verrait soulagé de cette promesse stupide de Balfour ! Churchill accepte le plan Beria et les deux hommes conviennent d’attendre pour en parler à Roosevelt.
Comme prévu, les services soviétiques se chargent de répandre l’idée au sein de l’immigration juive des États-Unis. Il ne faut pas attendre bien longtemps pour qu’un quotidien yiddish de Brooklyn revendique le retour des Juifs dans la patrie de Theodor Herzl. Quelques jours plus tard, un éminent psychanalyste, le docteur Wiener, au nom prédestiné, publie une étude fort érudite sur l’inconscient viennois dans la judéité. Il évoque, bien sûr, la figure austro-juive de Sigmund Freud et démontre en outre que la rue Berggasse où résidait le distingué neurologue correspond, étymologiquement parlant, à la nouvelle Sion. Et Wiener d’expliquer qu’il y a bien des monts, en Autriche, mais que Berggasse signifie avenue du mont. De là à déduire que ce lieu symbolise clairement le mont Sion invoqué dans les prières juives, il n’y a qu’un pas que cet obscur universitaire franchit d’autant plus allégrement que le NKVD n’ignore rien de ses petites « manies ».
Un rabbin orthodoxe de New York, rabbi Shmuel Hamellech, descendant d’une dynastie hassidique de Brody, en Galicie autrichienne, lance à son tour l’idée d’un retour aux sources. Citant l’exemple du prophète Jérémie qui, au sortir de l’exil de Babylone, appelait les Juifs à revenir non à Jérusalem, mais en Égypte sur les bords du Nil, le rav Shmuel s’engage à reconstruire une synagogue sur le Danube. Il est vrai que, une fois de plus, les espions soviétiques passés maîtres dans l’art du Kompromat ont fait des merveilles et filmé le saint homme en train d’ingurgiter un double cheeseburger en compagnie d’une effeuilleuse de Broadway fort peu vêtue.
L’idée s’empare aussi de Hollywood où elle est notamment portée par Ernst Lubitsch et Billy Wilder. Elle gagne les musiciens exilés, las de travailler pour l’orchestre de la RKO, quand ils ne vivotent pas de cachets minables dans les bouges de Chicago ou les hôtels de Miami. Les anciens Viennois vivant aux États-Unis ne tardent pas à former, autour de Franz Werfel et d’Alma Mahler, un cercle qui effectue des tournées de conférence dans les universités pour évoquer la grande époque de la pensée juive dans la Vienne impériale.
Le mouvement ayant pris son envol aux États-Unis, c’est au tour de l’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg de publier, dans les Izvestia, une série d’articles retraçant l’âge d’or de la pensée progressiste juive à Vienne au début du siècle. Sa conclusion est un vibrant appel aux soldats soviétiques que le maréchal Konev a conduit jusqu’au Danube : « Vaillants soldats de l’Armée soviétique, libérez Vienne des nazis, rendez la ville à ceux qui en firent la splendeur ».
*
Les Alliés, au lendemain de la capitulation du Troisième Reich, se trouvent confrontés à trois problèmes : le sort des milliers de réfugiés juifs errant à travers l’Europe en ruine, le statut de l’Autriche annexée par l’Allemagne en 38, et la présence de Juifs en Palestine sous mandat britannique. Dès le lendemain de la reddition de l’Allemagne nazie, le 10 mai, les généraux vainqueurs — Eisenhower, Montgomery et Joukov — élaborent un protocole annulant l’Anschluss et autorisant l’armée soviétique à procéder à l’expulsion des civils compromis avec le régime nazi, soit la quasi-totalité de la population. Une seconde disposition fait de l’ancienne Autriche une zone prioritaire d’accueil des victimes du nazisme, dont la gestion est confiée conjointement à l’Agence juive et au Joint Commitee sous le contrôle d’une commission interalliée.
Un chaos indescriptible règne bientôt sur les bords du Danube, ce qui permet à Staline de mettre la question des réfugiés à l’ordre du jour de la conférence interalliée qui s’ouvre à Postdam le 17 juillet 1945.
La défaite électorale de Churchill fragilise le plan secret conçu à Yalta avec Beria en vue d’orienter vers Vienne les réfugiés juifs qui pullulent en Europe, avant d’organiser le transfert du Yshouv. En raison de la rapidité de son éviction, le Vieux Lion n’a pas eu le temps d’informer son successeur, le travailliste Clement Atlee.
— Les électeurs britanniques sont pires que nous ! s’écrie Staline, au cours d’un conseil restreint avec Beria et Molotov. Ils éliminent un dirigeant en une seule journée, sans lui laisser le temps de régler les affaires en cours ni de confesser ses crimes par écrit !
L’idée d’installer les Juifs sur les bords du Danube est cependant officiellement formulée par Molotov, conformément aux accords secrets, lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères :
« Notre guide suprême, le maréchal Joseph Staline, me demande de transmettre aux Alliés une proposition. Il s’agit de faire droit aux revendications des Juifs en leur accordant une terre au centre de l’Europe. L’occasion est unique. La majorité du peuple autrichien s’est rendue coupable de complicité avec les criminels nazis. Hitler, comme vous savez, était lui-même autrichien, à l’instar d’un bon nombre d’assassins membres des Waffen SS. En approuvant massivement l’Anschluss en 1938, le peuple autrichien a cessé d’exister en tant que tel ; il a lui-même accepté la dissolution de son pays qui est devenu une simple province du Reich hitlérien. Dans ces conditions, sa présence sur la terre d’Autriche n’a plus aucune légitimité.
— Je ne comprends pas bien où vous voulez en venir, risque Georges Bidault, représentant du Gouvernement français. Vous voulez expulser des millions d’Autrichiens pour installer les Juifs à leur place ?
— Des Autrichiens, il n’y en a plus, martèle Molotov ! Je vous rappelle qu’ils ont décidé de devenir allemands par le plébiscite de 1938. Ils peuvent donc s’installer en Allemagne. Nous avons déjà commencé à chasser les Allemands résidant le long de la Baltique et dans l’ouest de la Pologne. Ce que nous avons réalisé en Prusse orientale et en Silésie est également en cours en Autriche. Ces chiens de nazis n’attendent même pas d’être expulsés, ils fuient devant nos troupes. Les rescapés juifs, quant à eux, affluent à Vienne. Il s’agit maintenant de régulariser la situation.
— Mais, objecte Ernest Bevin, nouveau chef du Foreign Office, il y a déjà un Foyer national juif en Palestine !
— Souhaitez-vous vraiment, Monsieur Bevin, que tous les réfugiés juifs d’Europe affluent en Palestine, demande Molotov ? En approuvant la création d’un État juif sur le Danube, vous annulez du même coup la Déclaration Balfour !
Bevin réserve diplomatiquement sa réponse, mais Molotov a d’ores et déjà gagné la partie. Tandis qu’il expose le plan d’installation des Juifs en Autriche, le Premier ministre britannique, Clement Atlee, reçoit une note du MI5 l’informant de l’accord passé entre Churchill et Beria à Yalta. Voyant là une occasion inespérée d’en finir avec l’imbroglio palestinien, il ne tarde pas à approuver le plan Molotov. De son côté, le Président des États-Unis, Harry Truman, redoute surtout de voir l’Autriche tomber — à l’instar de la Pologne et de la Hongrie — dans l’escarcelle de l’URSS. Il consulte les milieux juifs américains et commande d’urgence à ses services une étude sur l’état d’esprit des Juifs d’Europe. En dépit des mises en garde du puissant patron du FBI, Edgar Hoover (lequel a une fâcheuse tendance à voir un communiste derrière chaque Juif), le président Truman se range à l’avis des analystes américains pour lesquels un tel État n’acceptera jamais de s’inféoder aux Russes.
Truman s’adresse donc directement à Staline : « L’Autriche sera juive, mais indépendante. Les troupes soviétiques devront donc évacuer le territoire à mesure de l’installation des Juifs. » Staline rassure aussitôt le Président des États-Unis : « Nous avons suffisamment de Juifs chez nous pour ne pas en importer de nouveaux. Qu’ils se débrouillent entre eux ! Notre glorieuse Armée rouge, entrée victorieusement dans Vienne, s’acquitte actuellement de la dernière tâche lui revenant, à savoir le transfert des populations allemandes. L’affaire devrait être rondement menée, car nous avons acquis une grande expérience dans le domaine du tourisme de masse. Après quoi, nos hommes auront bien mérité de rentrer dans leurs foyers. ».
Après une laborieuse négociation sur la répartition des « rapatriés » Autrichiens entre les quatre zones d’occupation de l’Allemagne, un accord est donc conclu. L’Angleterre se charge d’acheminer les Juifs de Palestine vers l’Autriche, la France prend en charge les transports à travers l’Europe, l’URSS « évacue » les Autrichiens, les États-Unis mettent en place un fonds d’aide à la création de l’État juif du Danube.
Ne reste plus qu’à convaincre les dirigeants sionistes, ce qui s’annonce d’autant plus ardu que le temps est compté.
Vous le saurez en lisant le deuxième épisode de notre feuilleton !
Guy Konopnicki
Guy Konopnicki est journaliste et écrivain. Parmi ses nombreux livres, il est notamment l’auteur, avec Brice Couturier, de ‘Réflexions sur la question goy’ (Éd. Lieu Commun, 1988) et de ‘La faute des Juifs – Réponse à ceux qui nous écrivent tant’ (Balland, 2002).
Notes
1 | Littéralement « guide » en russe. Appellation donnée à Lénine puis à Staline considérés comme des guides du prolétariat. |