Galicie – Israël : d’un bout du monde à l’autre. À propos d’Omer Bartov.

Dans Contes des frontières : faire et défaire le passé en Ukraine (Plein jour, 2024)[1], le dernier livre d’Omer Bartov, il est question d’un « bout du monde » presque oublié – celui d’une Galicie où cohabitaient Juifs, Polonais et Ukrainiens – dont l’historien cherche à narrer la mémoire à partir de ses contes et légendes. Boris Czerny en fait un compte rendu critique, notant qu’à la nostalgie pour ce pays édénique perdu répond, dans le récit intime qu’en fait Bartov aujourd’hui, une défiance pour la manière dont les Juifs ont investi un autre « bout du monde », qui les aurait transformés en « brutes épaisses ».

 

Inauguration d’un monument dédié aux Juifs assassinés à Buczacz, juillet 1944, Yad Vashem.

Dans la préface de son dernier ouvrage traduit en français, Omer Bartov[2] explicite la logique qui l’a conduit à rédiger un livre sur la Galicie en tant que modèle des espaces de co-existence multiethniques détruits pendant la Seconde Guerre mondiale, en adoptant une écriture intime de l’histoire, une histoire avec un « h » minuscule à la « première personne » (p. 10), celle des hommes et des femmes qui habitaient Buczacz, la ville natale de sa mère, émigrée avec une partie de sa famille en Palestine en 1935. Après avoir publié une étude, au titre évocateur d’Effacé (Erased),<footnote>Erased : Vanishing traces of Jewish Galicia in Present-day Ukraine, Princeton, Oxford-Princeton University Press, 2007</footnote> sur l’état de ruine laissé en Galicie par les Allemands et les Soviétiques ainsi que sur la politique mémorielle menée en Ukraine, il avait entrepris dans Anatomie d’un génocide d’analyser comment, à Buczacz, la population juive avait été massacrée avec la complicité ou sous le regard indifférent des membres des deux autres groupes ethniques et religieux, Polonais et Ukrainiens, avec lesquels les Juifs partageaient la vie quotidienne depuis près de quatre siècles. À cette époque, tout en travaillant déjà à la composition de Voices, War and Genocide[3], reproduisant les témoignages d’un directeur d’école polonais durant la Première Guerre mondiale, d’un instituteur ukrainien à l’époque des occupations allemande et soviétique et d’un Juif rescapé de la Shoah, Omer Bartov avait senti en lui une fascination pour les nombreux contes et légendes rapportés par les différentes communautés religieuses et ethniques de Buczacz sur leur passé, celui de leur ville, et c’est ainsi qu’il avait conçu Contes des frontières.

Ce bout du monde n’existe plus, il a disparu, il n’est plus qu’un « fragment de mémoire », une odeur et un goût, celui du bouillon de poule préparée par sa mère.

Tout au long des trois premiers chapitres intitulés « D’où venons-nous ? (Par le feu et par le fer) », « Que sommes-nous devenus ? (Foi et raison) » et « Vers quel monde sommes-nous partis ? (Rencontre avec la modernité), » Bartov organise son « récit » (le terme est plusieurs fois employé) dans l’histoire longue des populations ruthènes, polonaises et juives qui cohabitèrent à Buczacz, en convoquant l’héritage livresque et oral, ces contes et légendes qui ont tout à la fois été façonnés par cette région des confins et, à leur tour, ont construit la mémoire de ces lieux perdus, de ce bout du monde, « ek Velt » en yiddish (pp. 368, 414), considéré par les Polonais et les Ukrainiens comme le berceau de leur identité nationale et par les Juifs, selon les époques, comme un espace paradisiaque évoquant la Terre de Sion, (p. 43) ou, au contraire, une « Demi -Asie » à la frontière de la civilisation occidentale et de l’Orient primitif, expression utilisée par Hanna Arendt pour qualifier l’origine du public présent au procès Eichmann. Ce bout du monde n’existe plus, il a disparu, il n’est plus qu’un « fragment de mémoire » (p.414), une odeur et un goût, celui du bouillon de poule préparée par sa mère (p. 320).

Dès le début du livre, Omer Bartov revendique son parti pris de tourner le dos à des sources documentées afin de ne pas être débordé par des données démographiques et ethnographiques ne permettant pas, selon lui, d’aller vers la perception intime des lieux (p. 56). Il revendique par ailleurs la centralité de sa propre mémoire et, en particulier, de sa mémoire livresque en convoquant des textes, des auteurs et des personnalités qui selon lui incarnent le mieux l’histoire des confins de la Galicie ukrainienne. Ainsi, l’évolution des rapports entre les trois principales communautés, l’émergence d’un nationalisme de plus en plus virulent à partir du Printemps des peuples de 1848 et l’entrée dans la modernité sont illustrées par des citations d’auteurs ukrainiens, Gogol, Panteleïmon Kulish (écrit Koulich dans le livre) (p. 89), des extraits d’œuvres du poète fondateur de la littérature ukrainienne moderne, Taras Chevtchenko, ou encore d’Ivan Franko. Le texte est également agrémenté de témoignages de voyageurs polonais ou allemands comme ceux de Maciej Bogusz Stęczyński (p. 295) et Ulrich von Werdum (p.86). Karl Emile Franzos, le père de la psychanalyse Sigmund Freud (p. 243-245) ainsi que l’auteur des chroniques du ghetto de Varsovie, Emanuel Ringelblum et Shmuel Yosef Agnon (la liste n’est pas exhaustive), sont convoqués pour représenter la vie culturelle et intellectuelle juive.

L’association de ces personnalités dans une même étude pose une question de méthode. En effet Omer Bartov ne précise pas selon quels critères il a constitué son corpus. Il n’opère pas de distinction entre des textes de fiction, des contes, des œuvres poétiques ou en prose et des textes de nature scientifique comme des extraits de journaux d’ethnologues. Le procédé en soi n’est pas condamnable, mais il aurait été néanmoins nécessaire de l’expliciter et de le justifier. De plus, cet agrégat de noms interroge sur les limites spatiales et donc politiques d’un livre qui pose dans son intitulé la problématique des frontières. Si l’étude est circonscrite à la Galicie comme le titre de l’ouvrage en anglais le spécifie, la présence de Gogol, originaire de Poltava, celle de Kulish, né à Voronij non loin de Soumy, dans le nord-ouest de l’Ukraine, ne sont pas justifiées, pas plus par ailleurs que celle de Freud qui vit le jour à Freiberg. Si, par contre, il est question de « faire et défaire le passé en Ukraine », dans toute l’Ukraine, comme le suggère le titre en français, on est en droit de s’interroger sur les auteurs non cités, les villes oubliées, Odessa et Kiev, pour ne citer que ces deux-là.

Hassid en-train de-danser, esquisse de Marcin Gottlieb (1867-1936), peintre originaire de Galicie.

Omer Bartov est bien plus convaincant lorsqu’il aborde les croyances et légendes juives. La Galicie fut un des principaux foyers de l’hassidisme qui s’est formé au XVIIe en conséquence des massacres perpétrés par Bogdan Khmelnitsky, de l’éparpillement des communautés juives et de leur isolement des grands centres d’études comme Wilno (Vilna, Vilnius) situés dans le nord. La foi, les superstitions, ainsi que les légendes étaient ce lien immatériel qui unissaient les Juifs et faisaient d’eux une nation particulière, opposant sa spiritualité à la force et la puissance des armes dont usaient les peuples avec lesquels ils cohabitaient, Ruthènes et Polonais, jusqu’au jour où, à partir du Printemps des peuples et de la naissance des nations, « chacun se mit à percevoir les autres d’un mauvais œil, non seulement à travers ses distinctions religieuses et aussi en se demandant si l’histoire de ces voisins leur donnait le droit de continuer à vivre où ils étaient » (p. 207).

Avant cette date, durant deux siècles séparant les massacres du XVIIe et la révolution du Printemps des peuples en 1848 et même au-delà, jusqu’à la Première Guerre mondiale, ces trois communautés ont connu un âge d’or dont témoignent les phénomènes d’osmose culturelle et d’échanges en particulier dans le domaine de la culture populaire. Les cas de syncrétisme religieux et culturel sont les plus pertinents en raison même de leur importance dans la structuration de cette nostalgie pour ce pays « édénique » que ressentent ceux qui, comme Bartov, n’ont pour viatique mémoriel que des photos, des bribes de souvenirs. Ainsi, comme il le rappelle, Agnon attribue dans un de ses récits des origines juives au sculpteur Théodore qui confectionna les statues ornant l’hôtel de ville de Buczacz érigé en 1751 (p. 127-129).

Le passage est d’une grande beauté. Enlevé par des « hommes en noir » quand il était petit, un enfant juif est emmené chez un maître artisan qui lui donne le prénom de Théodore et lui apprend le métier de sculpteur. Théodore devient célèbre et la très grande maitrise de son art incite le magistrat de la ville, Mikołaj, à faire appel à lui pour construire l’hôtel de ville :

« Et Théodore le construisit, ornant l’édifice de mascarons inspirés des visages, masculins et féminins, aperçus dans la ville et dans ses rêves. Depuis qu’il avait vu la synagogue la veille de Kippour, ces visages ne le quittaient plus, qu’il les ait rêvés ou réellement croisés dans la rue des Juifs à Buczacz. Et Théodore façonna de ses mains ce que ses yeux et son cœur avaient regardé[4]».

Peu importe que le sculpteur ait été un crypto-Juif ou non, la légende prévaut sur la réalité historique et illustre comment les Juifs intégraient des objets étrangers à leur quotidien afin de s’intégrer dans le paysage tout en conservant leur identité.

La foi, les superstitions, ainsi que les légendes étaient ce lien immatériel qui unissaient les Juifs et faisaient d’eux une nation particulière, opposant sa spiritualité à la force et la puissance des armes dont usaient les peuples avec lesquels ils cohabitaient.

Les multiples évocations se rapportant à l’œuvre d’Agnon, qui s’arrêta à Londres chez les parents d’Omer Bartov après avoir reçu son prix Nobel de littérature en 1966, structurent le texte et constituent ce fil rouge unissant les différentes parties d’un ouvrage s’organisant selon un système orthonormé dont les deux vecteurs, celui de l’espace et du temps, sont respectivement Buczacz et Agnon. L’adoption d’une telle géométrie permet à Bartov d’opérer des rapprochements dans le temps et dans l’espace et, finalement, d’intégrer l’histoire ou les histoires sur Buczacz ainsi que le paysage de la ville elle-même dans les limites de sa propre spatialité et de sa biographie. Au début de son étude, il explique, par exemple, comment le livre Yeven Mezulah (Le Fond de l’abîme) de Natan Hanover sur les pogroms perpétrés par les cosaques de Bogdan Khmelnitsky en Galicie, fut l’objet d’une nouvelle édition en 1920 en Palestine à l’initiative du poète Hayim Bialik, qui décéda en 1934. Le grand-père paternel de Bartov assista à son enterrement et manqua en cette occasion une journée de travail (p. 58). Ce souvenir familial est suivi par le rappel d’un autre, plus personnel. Bartov se remémore comment pour ceux de sa génération, nés en Israël immédiatement après la Shoah, le poème de Bialik, La Ville du massacre, écrit après le pogrom de Kichinev en 1903, avec ses descriptions insoutenables de crânes défoncés et de viols perpétrés au vu et au su d’hommes juifs passifs, trop terrifiés pour intervenir et défendre leurs mères et leurs sœurs, fut détourné par la propagande sioniste dans le but de « justifier la violence à des fins de préservation, comme individu ou comme nation, au nom tant du droit à exister que de l’orgueil national » (p. 63).

Il me semble nécessaire de citer des extraits de ce poème. Le texte est resté d’une tragique actualité. En le lisant, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit les massacres perpétrés par le Hamas le sept octobre 2023 [La Ville du massacre a été republié en intégralité par K. en octobre 2023]. Omer Bartov a écrit son livre bien avant ces « événements » et il ne pouvait par conséquent pas imaginer la correspondance entre la description du pogrom de Kichinev et les scènes de violence filmées par les terroristes palestiniens :

« Viens dans la ville du massacre, il te faut voir

Avec tes yeux, éprouver de tes propres mains

Sur les grillages, les piquets, les portes et les murs,

Sur le pavé des rues, sur la pierre et le bois,

L’empreinte brune et desséchée du sang, de la cervelle,

Empreinte de tes frères, de leurs têtes, de leurs gorges (…).

Témoin vivant de ce grenier,

Alors laisse-le te conter toutes les histoires, (il s’agit d’un insecte qui a assisté au massacre)

Celle du ventre ouvert que l’on bourra de plumes

Des narines percées de clous et des crânes sous le marteau, (…)

D’un enfant endormi au côté de sa mère

La bouche ouverte sur un sein sectionné (…)

Et plus loin, la peinture des hommes juifs passifs, impuissants à réagir :

Et de leur trou, ils regardèrent palpiter,

S’étrangler dans leur sang, dans leur nausée,

Les saintes, les angéliques, les pieuses chaires

Sous l’étreinte des mains profanes et du fer,

Ils virent cela, couchés sous terre, et ils se turent. »

Commentant ce passage, Omer Bartov souligne que ce même sentiment de colère et de désolation traverse l’introduction rédigée par le poète, éditeur et traducteur Yaakov Fichman, de l’édition parue en 1944-1945 du Yeven Metsulah. Établissant un parallèle entre les violences de Khmelnitsky, le pogrom de Kichinev et la Shoah, Fishman instrumentalisait à des fins sionistes, d’après Bartov, le contenu du Yven Metsulah, pour stigmatiser, injustement, la passivité des masses juives, et affirmer « plus jamais ça », plus jamais de massacre sans combattre : 

« Ils (les hommes juifs), écrit Fishman, n’ont pas bougé ; ils attendent toujours que certains se lèvent et les sauvent, et ils n’ont pas compris que l’avenir d’Israël, leurs vies, et plus encore que leurs vies, dépendent de notre volonté à faire don de notre corps et de notre âme. » (p.69)

Le but est désormais de montrer qu’en traversant la Méditerranée, les Juifs n’ont pas simplement opéré une translation dans l’espace, ils sont devenus l’exacte incarnation opposée de leurs ancêtres qui composaient une nation spirituelle.

Ce qui n’est qu’une petite musique, Israël, devient un des principaux leitmotivs de la quatrième partie dans laquelle Omer Bartov retranscrit le témoignage de sa mère sur son passé à Buczacz et son installation en Palestine en 1935, avant donc la déclaration de l’indépendance de l’État d’Israël en 1948. Dans cet autre « Ek velt » (p. 413), les polarités sont inversées, ce que Bartov illustre par une référence à la nouvelle de Kafka « Les Chacals et les Arabes » publiée en 1920. Pour rappel, dans cette nouvelle – dont Kafka ne voulait pas faire une parabole, ce que rappelle par ailleurs Bartov (p. 354) –, des hommes venus du Nord se reposent dans une oasis quand un vieux chacal s’approche de l’un d’entre eux, le narrateur. Le vieux chacal semble reconnaître le messie dans l’homme du Nord (« Nous t’attendons depuis un temps infini. »). Il nourrit un profond mépris pour les Arabes (« on ne peut faire jaillir la moindre étincelle d’intelligence (d’eux). Ils tuent des animaux pour les manger, et la charogne, ils la dédaignent ») et demande au narrateur qu’il l’aide à libérer le désert de la présence des Arabes (« Il faut que les Arabes nous accordent la paix ; un air respirable ; un horizon purifié, sans aucun d’eux à portée de vue ; sans le moindre gémissement de mouton égorgé par un Arabe »).

Tout en rappelant le point de vue de Kafka qui considérait que cette nouvelle devait être considérée pour ce qu’elle était, que les chacals étaient vraiment des chacals, et que l’ensemble n’était pas une parabole, Omer Bartov reprend amplement les termes d’une interprétation récente de Dimitry Shumsky, affirmant que les chacals symbolisent « tout autant le malaise des Juifs dans le contexte multiethnique de l’Europe orientale (…) que le défi auquel furent confrontés les colons sionistes. (…) Les Arabes palestiniens constituent ce peuple qui a vu son pays être colonisé par des Juifs venus d’Europe comme ma mère et sa famille »[5]

Des familles de migrants arrivant d’Europe en Israël en 1948.

 Le projet d’écriture de Contes des frontières. Faire et défaire le passé prend ici une nouvelle orientation. Le but est désormais de montrer qu’en traversant la Méditerranée, les Juifs n’ont pas simplement opéré une translation dans l’espace, ils sont devenus l’exacte incarnation opposée de leurs ancêtres qui composaient une nation spirituelle. Selon Bartov, les prolégomènes de cette mutation se trouvaient dans l’idéologie sioniste, mais elle se réalisa pleinement au moment de la guerre des Six Jours. Une année auparavant, persécuté par des enfants dans le métro de Londres, il avait été défendu par des amis de son école juive, qui avaient, les mots sont importants, effectué « un raid punitif » contre ses persécuteurs. Cependant, le jeune Bartov et ses camarades avaient été morigénés par le directeur de leur établissement scolaire qui avait jugé que leur action avait été trop agressive. L’historien établit un lien entre la violence de ses camarades de classe et celle déployée par Israël dans le conflit qui l’opposa à l’Égypte, la Jordanie et la Syrie : « Peu de temps après, la guerre des Six Jours transforma Israël en un pays prêt à riposter de manière aussi disproportionnée qu’il l’entendait. Il ne s’est jamais remis de cette victoire et de l’occupation qui en a découlé, acquérant au fil du temps les traits d’une brute qui sait que rien ne lui arrivera. (…) Cela avait été une leçon utile pour moi sur ce qu’est l’antisémitisme et sur la façon d’y répondre. Cela m’été également appris quelque chose sur les relations entre le contexte et les événements, le lieu et les préjugés ».

Ces propos sur le contexte sont ambigus et j’aurais aimé qu’Omer Bartov les éclaircisse afin de dissiper tout éventuel malentendu. Faut-il comprendre que le contexte guide le jugement et l’appréciation que nous pouvons avoir des faits, et plus spécifiquement des événements violents, et que, somme toute, ce qui apparait comme un acte antisémite violent n’est pas forcément à considérer comme tel, toujours selon le cadre et la situation ?

La formulation de cette considération est floue, elle manque de netteté. Cette remarque peut être étendue à l’ensemble du livre, à sa structure : s’agit-il d’un livre d’histoire, d’une étude littéraire, d’une analyse sur l’importance des contes dans les échanges interculturels et la formation des identités nationales, un essai sur le monde disparu de Buczacz ou sur la mutation du peuple d’Israël en « brutes épaisses et arrogantes » ? Il est à craindre que l’imprécision nuise à une juste compréhension du livre Faire et défaire le passé.

Omer Bartov peut très bien considérer que Gogol est un écrivain ukrainien sans même se demander si l’emploi du russe par ce dernier n’implique pas au moins certaines précisions. Il peut aussi faire l’impasse sur la mention des grandes campagnes de collectes de contes menées en Galicie à la fin de la seconde moitié du XIXe par des ethnologues polonais, ukrainiens ou juifs. An-Ski, le père fondateur de l’ethnologie juive, n’est pas cité en dépit de ses expéditions en Volhynie et Galicie. Mais il n’est pas certain que la labilité d’un ouvrage oscillant entre l’analyse littéraire, l’étude historique et l’introspection psychologique, le tout agrémenté de déclarations définitives sur Israël, contribue à la compréhension de la façon dont s’est fait et s’est défait le passé en Ukraine et en Galicie – et dont se fait, accessoirement, le présent en Israël.


Boris Czerny

 

Notes

1 Omer Bartov, Contes des frontières. Faire et défaire le passé en Ukraine, trad. De l’hébreu Raia Del Vecchio et trad. De l’anglais, Marc-Olivier Bherer, Plein Jour, 2024, 483 pages, notes, bibliographies, index et illustrations, ISBN : 978-2-37067-073-1 (titre original : Tales of the Bonderlands. Making und Unmaking the Galician Past), Yale University Press, 2022)
2 Né en Israël, Omer Bartov a fait ses études à l’Université de Tel-Aviv et au St Antony College d’Oxford. Il a occupé des postes dans des institutions prestigieuses, à Harvard, et à la Maison des sciences de l’homme à Paris. Il enseigne aujourd’hui aux USA, à l’université de Brown. Omer Bartov est un universitaire reconnu pour la qualité scientifique de ses études sur le rôle de la Wehrmacht dans la Seconde Guerre mondiale ainsi que pour ses publications sur les relations interethniques en Galicie ukrainienne et dans la ville des confins de Buczacz tout particulièrement. Deux livres d’Omer Bartov, en plus de celui que nous présentons ont été traduits en français : Hitler’s Army: Soldiers, Nazis, and War in the Third Reich, Oxford Paperbacks, 1992 (L’Armée d’Hitler, La Wermacht, les nazis et la guerre, Hachette Littérature, 1999) ; Anatomy of a Genocide, The Life and death in a town called Buczacz, New-York, Toronto, Sydney, Simon and Schuster, 2018 (Anatomie d’un génocide, vie et mort dans une ville nommée Buczacz, Plein jour, 2021).
3 Voices on War and Genocide: Three Accounts of the World Wars in a Galician Town, New Yor,k Oxfrord, Berghahn, 2020.
4 P.129 Agnon, Ir u-melo’ah, p. 235-236.
5 Dimitry Shumsky, « Czechs, Germans, Arabs, Jews », Association of Jewish studies Reviews, 2009, 33 (1), p. 71-100.

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