Nous reviendrons dans K. sur les récentes élections israéliennes, sur ce que l’on peut en dire depuis l’Europe. En attendant, dans la famille Nétanyahou, sortons la carte non pas de Benjamin le fils, mais de son père, figure centrale du roman de Joshua Cohen Les Nétanyahou, traduit et sorti en France il y a quelques mois aux éditions Grasset. Ce livre a été acclamé aux États-Unis – Joshua Cohen a reçu le prix Pulitzer de la fiction en 2022 – mais a laissé la critique israélienne relativement indifférente. Les Américains s’y sont reconnus, tandis que les Israéliens n’ont manifestement pas saisi le sens de ce roman. Pourtant, vue d’Europe, nous dit Danny Trom, son ampleur saute aux yeux. Ceux qui espéraient que le roman règle des comptes avec le réprouvé Benjamin Nétanyahou, celui qui s’apprête à former le gouvernement issu des dernières élections après avoir occupé le poste de Premier ministre de trop nombreuses années, seront certes déçus. Car le récit de Cohen, qui prend l’allure d’une anecdote, est d’une autre trempe. Il porte sur l’arrivée de l’historien Bentzion Nétanyahou, candidat à un poste de professeur dans une université de province américaine où enseigne le jeune professeur Ruben Blum. Militant de la droite sioniste, père d’une triplette de gamins sauvages parmi lesquels Benjamin, il débarque dans la paisible maisonnée de la famille Blum en 1959 un jour d’hiver. Alors, tout vacille. À travers ce récit drolatique, Joshua Cohen nous livre un diagnostic du monde juif-américain qui doute à présent de lui-même, comme si les juifs, confortablement installés dans leur nouvelle Terre promise, faisaient à leur tour une expérience « européenne ». Avec Les Nétanyahou, Joshua Cohen annonce-t-il le début de la fin de la symbiose judéo-américaine ?
1926, Paris. Symon Petloura – le général en chef de la révolution nationaliste ukrainienne, dont les hommes furent responsables d’environ 40% des exactions commises lors des pogromes qui frappèrent l’Ukraine durant la guerre civile (1918-1926) – est assassiné dans la rue par Samuel Schwarzbard (« Assassin ! voilà pour les massacres, voilà pour les pogromes ! »). La même année et dans la même ville, Petloura donne son nom à la Bibliothèque ukrainienne (toujours ainsi nommée). Sa directrice actuelle continue de dire que Samuel Schwarzbard était un « agent de Moscou » dont le geste avait pour but de contrecarrer le projet de révolution nationaliste de Petloura. Dans sa jeunesse, Schwarzbard, né en Ukraine, résida un temps à Czernowitz, où le poète Paul Celan est né. Une part de sa poésie évoque l’Ukraine et « le plus large des fleuves », soit la longue histoire du crime antisémite qui relie l’histoire des pogromes à celle de la Shoah. Ivan Segré plonge dans la poésie de Celan et interroge, à partir d’elle, une mémoire de l’Ukraine ; comme le geste de Samuel Schwarzbard.
C’est de manière oblique que nous évoquerons néanmoins cette semaine les récentes élections, et notamment ce qu’elles révèlent d’une polarisation entre sionistes religieux et laïcs en Israël, en republiant un texte paru l’année dernière. Noémie Issan-Benchimol rendait compte de la série télévisée Autonomies, récit dystopique imaginant Israël scindé en deux : d’un côté le pays sioniste, un État laïc avec Tel Aviv pour capitale ; et de l’autre le pays théologique, territoire autonome de Jérusalem dirigé par un groupe religieux ultra-orthodoxe.