L’obligation de l’étourdissement préalable à l’abattage est une revendication des partis animalistes et de nombres de partis écologistes européens. Arguant d’une attention au bien-être animal, elle se confronte aux règles de l’abattage rituel juives et musulmanes de manière incidente. Du moins, la plupart du temps. Car au cours de l’histoire, le bien-être animal a bel et bien pu être instrumentalisé pour justifier des politiques antisémites et, dans le débat public, peut encore servir de prétexte à l’extrême droite dans ses attaques contre l’islam. Mais trouve-t-on un tel dessein chez la majorité des défenseurs actuels du bien-être animal qui s’opposent à l’abattage rituel ? Comme l’explique le juriste israélien Shai Lavi, la question de l’intention importe aux juifs, car les accommodements qu’ils peuvent accepter au regard des normes rituelles d’abattage en dépendent. Ainsi, un antisémitisme latent rendrait par principe inacceptable son interdiction. En empruntant la voie de la comparaison historique, Shai Lavi nous invite donc à interroger ce qui se niche derrière les intentions.
C’est cette même question du décodage qui traverse le deuxième article de cette semaine, La fin de Robert Klein. En revenant sur le film mythique de Joseph Losey (1976), le réalisateur et historien du cinéma Jean Baptiste Thoret raconte le dédoublement du personnage qui donne son titre au film. Car à travers la quête de Mr. Klein interprété par Alain Delon, qui s’entête à savoir qui est son homonyme, se formule une interrogation adressée au spectateur qui voit un « salaud ordinaire » devenir progressivement une victime du génocide. Dans la trajectoire de Robert Klein se joue aussi la réunion progressive des deux France de l’Occupation, l’une d’emblée pourchassée et persécutée, et l’autre qui, lorsqu’elle n’en tire pas profit, s’accommode de la situation jusqu’à ce que le déni de vérité devienne tragédie.
Auditionné ce mois-ci par la Cour d’assises spéciale pour les attentats du 13 novembre, Bernard Cazeneuve, l’ancien premier Ministre est revenu sur le terrible chagrin qui devait unir, à la fin de la terrible année 2015, tous les Français. Lorsque nous l’avions rencontré en mai dernier, nous lui avions posé la question de la différence dans la perception des attentats par l’opinion selon qu’ils touchent exclusivement ou non des juifs Français. Revenant sur la réaction de la population aux attentats de novembre 2015, il estimait qu’« à partir des attentats des terrasses de Paris, de Saint Denis, et du Bataclan de novembre 2015, chacun, parce qu’il connait ou qu’il a entendu parler d’une victime, chacun, parce qu’il a vu cette violence démente se déployer, pense que son propre enfant pourrait être parmi les victimes. À partir de là, la solidarité qui s’était manifestée dans l’altérité la plus grande, prend une forme nouvelle. Avec les attentats de novembre, le ressort de l’altérité s’amplifie, et chacun se projette à la place du caricaturiste, du journaliste, ou du concitoyen juif. »