On pouvait — on espérait pouvoir — ignorer le flux continu de messages que déverse Éric Zemmour depuis des années dans le débat public. Or, même ceux qui s’y sont accoutumés ont sursauté devant son parallélisme entre Merah et les trois enfants et le père de deux d’entre eux — Jonathan, Arié, Gabriel Sandler et Myriam Monsonégo — qu’il exécuta de sang-froid à Toulouse dans une école juive. Zemmour ne confond pas victimes et bourreau. Il les unit dans un statut d’étrangers à la France. « La terre ne ment pas » avait soufflé Emmanuel Berl en 1940 au Maréchal Pétain, lui offrant sa formule la plus célèbre. Zemmour ajoute : l’enterrement ne ment pas, il scelle l’identité du défunt. Les juifs de France comme partout en Europe ont toujours enterré les leurs là où ils vivaient. Seule se pose à eux, où qu’ils vivent, la nécessité d’obtenir une concession perpétuelle. Telle est la tradition. En elle se trouve parallèlement l’idée ancienne, devenue coutumière, présentant Jérusalem comme le lieu idéal pour être enterré. Cette idée dans le monde moderne s’avère soudain réalisable et Jérusalem est devenue un lieu réel où elle peut s’actualiser. Mais Jérusalem n’est nullement un État ou une entité politique. Jérusalem est une idéalité nimbée d’une espérance messianique, bien qu’elle soit sur terre. Que Jérusalem soit aujourd’hui située dans l’État d’Israël n’y change rien. Si bien que l’inhumation d’un juif français à Jérusalem ne signifie nullement qu’il ait été écartelé entre deux nationalités, entre deux États-nations, pour choisir finalement l’étranger. C’est presque l’inverse : en regardant vers Jérusalem les juifs français, nommés israélites, ont rêvé de faire de la France républicaine la nation de la rédemption de toute l’Humanité. Zemmour se dit juif assimilé, mais c’est peut-être lui, dans son excès, où qu’il sera inhumé, qui dit la vérité de ce que la France d’aujourd’hui n’est pas.
Il faudra revenir dans K. sur le cas Zemmour… En attendant, cette semaine notre numéro hebdomadaire propose un texte et des images du grand photographe Frédéric Brenner qui, après plus de quarante ans de reportages sur la vie juive dans le monde a passé les trois dernières années à explorer Berlin, scène d’un judaïsme européen paradoxal et fascinant où se mêlent des Allemands convertis aux Israéliens en rupture de ban avec le sionisme, la récente immigration des juifs russes avec les rares juifs allemands revenus après-guerre dans le pays où fut décidée leur extermination.
Dans un texte qui nous vient des États-Unis, le journaliste Abe Silberstein – frappé, lors du dernier cycle de violence israélo-palestinien de mai dernier, par l’expression d’un antisémitisme qui, sous la forme qu’elle a prise à cette occasion, manifestait un climat politique nouveau dans son pays – s’interroge : quelque chose de similaire à la situation européenne s’installerait-il aux États-Unis ?
Dans ce climat chargé, le recul s’impose et K. republie cette semaine le texte de Bruno Karsenti sur Moses Mendelssohn, le plus grand philosophe représentant les Lumières juives. Dans un contexte national et international de conflits ravivés aujourd’hui, quand l’Europe cherche expressément à renouer avec le courant des Lumières où elle a pris son élan moderne, il se pourrait que Mendelssohn, sous un visage nouveau, à distance de celui qu’il avait à l’époque de l’émancipation, doive redevenir notre contemporain.