Ils savent qu’ils ne veulent pas savoir : telle est la conclusion qui s’impose après les deux affaires ayant récemment remis la question de l’antisémitisme de gauche au centre du débat public. Toutes deux ont concerné le lieu du savoir, l’université. Qu’un professeur d’histoire, Julien Théry, auteur d’un texte s’échinant à démontrer que l’antisémitisme de gauche, ça n’existe pas et ça n’a jamais existé, diffuse une liste de noms à large majorité juifs de « génocidaires à boycotter en toute circonstance », et la levée de boucliers ne se fait pas attendre : halte-là, il n’a fait que reprendre les signataires d’une pétition ! Certes en la constituant en liste, certes en livrant à la vindicte chacune des personnes nommées, mais quand même. Jusqu’à ce qu’une caricature surgisse des bas-fonds de son compte, dont le caractère antisémite est cette fois si marqué que ses défenseurs doivent baisser les yeux – pas tous cependant, le syndicat qui l’avait d’abord soutenu ne pouvant faire autrement que de le condamner. Quant à l’autre affaire, elle englobe ce phénomène et en comprend bien d’autres : il s’agit de l’enquête sur l’antisémitisme à l’université commandée par le ministre de l’Enseignement supérieur à un centre de recherches spécialisé en enquêtes d’opinion. Ici aussi, tir de barrage a priori. Sur ce thème, l’antisémitisme, trop d’enjeux se coagulent pour que vouloir savoir ne soit pas suspect de vouloir faire autre chose que savoir – contrôler, contraindre, soumettre, etc… Pour la tranquillité de tous, mieux vaudrait alors ne pas savoir. Et se rassurer en croyant savoir, comme l’a justement démontré le professeur – sanctionné, mais pour quoi donc déjà ? –, que l’antisémitisme de gauche « ça n’existe pas » …
La réflexivité, sur ce point, a donc du mal à se frayer un passage. La difficulté est que des préoccupations bien légitimes se font ici entendre : pour la liberté académique, dont il est indéniable qu’elle est menacée par une sphère politique bruyante où les arguments réactionnaires ne cessent de grandir ; pour les limites des sondages d’opinion, bien identifiées de longue date par les sciences sociales, qui s’efforcent cependant d’en contrôler les biais et de les constituer en données exploitables. Ces éléments critiques ne sauraient être esquivés, d’autant plus dans une situation où l’argument, bel et bien antisémite celui-ci, du philosémitisme d’État, a le vent en poupe et est attisé par certaines parties de la gauche. Reste que se préoccuper de ces éléments, ce n’est pas la même chose que d’en faire une parade, une justification au déni de réflexivité. Entre le constat d’une instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme par des acteurs aux intentions questionnables – voire participant nettement au tournant réactionnaire actuel – et le refus de considérer le phénomène dans sa réalité, il y a un gouffre. Sauter par-dessus est un geste intellectuel irresponsable, dont la bascule de l’interprétation du 7 octobre comme dénué de tout antisémitisme a fourni le modèle. De ce geste, le texte du philosophe Bruno Karsenti propose dans K. une analyse. Interrogeant les embarras que suscite aujourd’hui le combat contre l’antisémitisme, et les écrans qui s’interposent au regard européen sur cet objet, il dégage la spécificité du phénomène actuel : sous le déni, la complaisance à l’égard d’un puissant rejet pour ce que les juifs représentent effectivement dans la situation actuelle.
Il est un autre type d’antisémitisme actuel qui, pour être moins visible en France, ne cherche cependant pas à se cacher. Sur les réseaux sociaux et dans les médias américains, un bataillon d’influenceurs à la popularité grandissante, proches du mouvement MAGA, remettent au goût du jour le révisionnisme de la Shoah. Leurs noms sont Candace Owens, Tucker Carlson ou encore Nick Fuentes, et ils aiment pousser leur public à l’interrogation : « Hitler était-il vraiment si mauvais qu’on le prétend ? », « les pornographes juifs n’avaient-ils pas mérité ce génocide (qui n’a d’ailleurs pas eu lieu) ? » Le texte de Yair Rosenberg, initialement paru dans The Atlantic, explore cette galaxie d’influenceurs aux accointances néonazies, et interroge la levée des digues politico-morales ayant permis l’extension de ces discours dans cette droite américaine qui vient d’officialiser avoir pour ennemi l’Europe démocratique.
L’amour, c’est souvent d’abord une série de ratages. Et, dans cette répétition, les problématiques qui nous ont été transmises y sont pour beaucoup. Trancher, le seul-en-scène de Sophie Engel – qui joue pour la dernière fois au Théâtre de la Flèche ce samedi 13 – propose une enquête intime sur l’articulation entre judaïsme et rapports amoureux, entre désir d’émancipation et injonction à perpétuer. Maëlle Partouche s’est entretenue avec la metteuse en scène pour K., au sujet de ces monstres du passé qu’elle entreprend de débusquer et de la manière dont les questionnements liés à l’appartenance juive résonnent aujourd’hui avec la condition féminine