Nous y voilà. Trump à la tête de la première puissance mondiale, qui bascule donc du côté d’un nationalisme populiste et illibéral. Israël qui assume la guerre comme seul axe de sa politique, tout en embrassant les tendances nationalistes et religieuses qui creusent sa rupture avec le sionisme. Les BRICS qui s’accordent comme un conglomérat de puissances commerciales et militaires, chacune défendant ses intérêts et régnant sur sa population d’une main de fer. Et, face à cela, une Europe qui constate sa dégradation économique en même temps que son incapacité à s’unir autour des principes démocratiques qui la définissent.
Il ne fait pas bon, dans la période qui s’ouvre, être un Ukrainien du Donbass ou un Palestinien, cisjordanien, gazaoui ou israélien. Et il ne fait pas bon non plus être un juif, où que ce soit dans le monde. De la vague anti-démocratique et nationaliste qui nous submerge, nulle population qui joue son sort sur le progrès des droits ne peut tirer autre chose qu’une fragilisation inouïe, inédite depuis 1945. Or les juifs ont été, pour eux-mêmes dès avant cette date de reconstruction, et pour la conscience éclairée qui a dominé l’opinion occidentale depuis cette même date, le point distinctif et l’indicateur fiable des avancées faites dans cette direction. La bêtise nationaliste qui s’est imposée comme vœu majoritaire dans la plus puissante des sociétés démocratiques risque désormais de balayer cette tendance, et avec elle l’arrangement sur lequel reposaient l’unité et l’équilibre relatifs du peuple juif. Pour donner à comprendre comment l’élection de Trump risque de précipiter un clivage interne au monde juif, nous laissons une semaine de plus à l’affiche le texte de Bruno Karsenti « Trump et la guerre des juifs ».
Pour clarifier encore les coordonnées de la situation, nous ajoutons à ce dernier une interview que nous a accordé la journaliste et essayiste Dara Horn à propos de la manière dont la « question juive » est venue agiter la campagne américaine, et de comment elle a pu être instrumentalisée par les différents partis politiques. On y lit l’ambiguïté qui résulte du mélange d’attachement indéfectible au progrès social – non démenti puisque près de 80% des juifs américains ont voté démocrate – et de méfiance envers la pente prise par la partie la plus radicale du camp progressiste.
Pour K., s’il reste encore quelques bribes intactes sur lesquelles bâtir, c’est en Europe qu’elles se trouvent. Dispersées, affaiblies, minées par des postures faussement universalistes et vainement critiques, elles sont néanmoins encore vives dans un grand nombre des consciences des pays européens – en vérité dans leur majorité. Leur offrir les moyens intellectuels de s’exprimer plus et mieux que ce n’est actuellement le cas, c’est la tâche qui nous incombe. C’est aussi le devoir qu’impose à l’Europe la victoire de Trump : renouer avec son projet. Et pour cela, user de la question juive moderne comme aiguillon n’est certainement pas l’option la moins ajustée aux contraintes du présent. Nous finissons alors le numéro de cette semaine par une critique, formulée depuis l’errance politique actuelle des juifs, de ce qui rend le progressisme contemporain si inconsistant face à la poussée du camp réactionnaire.