Discrète et fondamentale, ainsi va la fiction dans K. Car c’est bien à la fiction que la revue doit son nom, sa lettre de tutelle, son chiffre, bien sûr, à l’initiale de Kafka, mais surtout à celle de plusieurs de ses personnages qui errent au seuil de lois et de lieux hostiles pour créer l’archétype du Juif occidental qui n’en a pas fini d’arpenter les territoires européens. Du XXème au XXIème siècle, avec Kafka, il n’y a qu’un pas, un pas qui n’enjambe pas mais qui déplace, projette, anticipe. Car, pour sombre qu’elle soit, la fiction éclaire. Elle braque ses lumières sur des zones que n’atteignent pas toujours le reportage ou l’article de fond, l’histoire et la statistique, des zones plus meubles, d’infimes bougés de société qui, graduellement, désaxent, creusent des brèches, profilent entre les lignes des « forêts de symboles » où un seul arbre donne à penser. Et toujours à l’oblique, car c’est mieux quand on raconte une histoire, de le faire mine de rien. Et de la fiction, ce n’est pas là le moindre des mérites que de tenir ce mine de rien comme une note, tout du long, tenir sans forcer, c’est même toute la grâce de la fiction que d’y arriver. C’est en tout cas ce genre de fiction-là que nous voudrions accueillir dans K. Pas de fictions didactiques ou édifiantes, pas de nouvelles engluées de messages, mais des histoires qui portent le questionnement comme des sons ou des ombres. Et c’est ainsi que, petit à petit, dans K., la fiction fera son nid.
Il y a un mois, nous publions la nouvelle de Gilles Rozier, Sous-Bois. Cette semaine, nous republions les nouvelles de Mona El Khoury, Marianne Rubinstein et Nathalie Azoulai, publiées les mois précédents : Trois textes pleinement contemporains qui se déploient sur divers territoires et encodent chacun à sa manière l’esprit de K. C’est à cet encodage pluriel et polyglotte que nous aimerions inviter tous les écrivains d’Europe pour que K. soit aussi un espace qui débride l’imaginaire, l’inquiétude, l’humour et la langue.