Il est indéniable que l’échéance électorale provoquée par le Président de la République a précipité tous les juifs de France dans le péril de l’arrivée de l’extrême-droite au gouvernement. Si certains minimisent ce danger, voire disent vouloir soutenir le RN, il faut prendre acte de ce qu’ils renoncent ainsi à la conscience de leur condition minoritaire et de ce qu’elle implique pour la politique en général. Pour tous les autres, bien plus nombreux, qui ne tombent pas dans ce travers, il est évidemment impossible de tolérer l’arrivée au pouvoir des partis du nationalisme réactionnaire et ses conséquences en termes de persécution des minorités quelles qu’elles soient. Parmi les positions politiques qui peuvent être celles des juifs de France, l’électeur juif de gauche est pris dans un dilemme particulier : il ne peut être aveugle au fait que du côté des forces progressistes qui devraient accueillir la perspective minoritaire et l’articuler avec clarté en opposition au camp réactionnaire, l’antisémitisme gagne du terrain, au point que dans certaines circonscriptions soient investis des candidats antisémites sans que cela ne fasse scandale. Au sein de la rédaction de K., nous estimons de notre responsabilité d’apporter un soutien intellectuel et existentiel à toutes celles et tous ceux qui se sentent pris dans ce piège, que ce soit dès le premier tour des élections ou lors du second où le dilemme se posera sans doute de façon plus accusée encore, et où il faudra que tous arbitrent en eux-mêmes, en tant que juifs et en tant que citoyens d’une nation européenne, pour faire le choix le plus juste. Les textes que nous produisons et ferons paraître dans les semaines à venir porteront la marque de cet engagement.
Ces déchirements persistants se trouvent exprimés avec la plus grande justesse par le témoignage que Judith Lyon-Caen nous a confié cette semaine. Car voudrait-on refouler le dilemme, il suffit d’un lapsus typographique, d’un petit « h » de trop, pour s’y trouver replongé.
Comme sa résurgence après le 7 octobre en atteste, « pogrom » est le terme par lequel la persécution moderne des juifs se dit, servant ainsi de dispositif mémoriel qui inscrit le souvenir traumatique dans une série temporelle. Mais comment le terme est-il apparu, autour de quels enjeux et événements, et avec quels usages ? Elena Guritanu s’est plongée dans les dictionnaires des deux derniers siècles afin de nous proposer une histoire linguistique du pogrom. Or, malgré la consécration graduelle du terme dans les mondes juifs et européens, elle remarque une certaine tendance, notamment soviétique, à son évacuation du vocabulaire. Comme si taire le mot pouvait faire oublier l’horreur.
Revendications péremptoires et slogans radicaux, mais aussi bruits de couloir et commérages : beaucoup d’éléments au sujet des mobilisations propalestiniennes ont fuité ces derniers mois hors des murs de l’université, la plaçant au centre de l’attention médiatique et politique. Après la tournée des plateaux télés que s’est payée une journaliste de droite radicale s’étant « infiltrée au cœur de l’extrême gauche », l’appétence pour la polémique facile, l’outrance et l’alarmisme aura trouvé à se sustenter. Et, de fait, il y a motif à s’inquiéter, à condition d’éviter la panique. Dans L’université scrutée, un étudiant nous livre son regard et ses réflexions – informés par les sciences sociales et sa familiarité avec le monde militant – sur ce qu’il se passe dans les facs, sur l’ampleur de la mobilisation et les reconfigurations idéologiques dont elle témoigne. Autour de la question de l’articulation entre antisionisme et antisémitisme, et de son traitement insatisfaisant par une administration effrayée par les troubles à l’ordre public et leurs échos médiatiques, c’est l’enjeu du devenir de l’espace universitaire qui est soulevé par son texte. Celui-ci nous a été transmis dans la langue, inclusive, propre à une partie du monde étudiant. Nous avons décidé de le présenter ainsi à nos lecteurs.