Au-delà des manifestations mêmes, par quels moyens l’opposition au gouvernement Netanyahou et à la crise dans laquelle il a plongé le pays s’organise-t-elle en Israël ? Car de l’opposition il y en a, et elle est massive. La documenter importe plus que jamais à un moment où l’opinion internationale, paresseuse, promulgue l’image d’une société israélienne solidaire avec un gouvernement Netanyahou qui non seulement semble vouloir sacrifier les otages, mais en plus continue son attaque sur Rafah, avec les victimes inacceptables qu’elle fait, sans but de guerre ni perspective d’avenir. Aussi continuons-nous cette semaine la série d’articles de Julia Christ et Élie Petit – partis pour K. à la rencontre des complexités d’une société israélienne aux prises avec la guerre et ses dilemmes – par une interview d’Eliad Shraga, avocat spécialisé dans la lutte anti-corruption et fondateur du Mouvement pour la Qualité de la Gouvernance. Le « plus grand fauteur de troubles judiciaires du pays » s’est rendu célèbre pour avoir traîné à répétition devant les tribunaux le gouvernement actuel, qu’il n’hésite pas à qualifier de « groupe de criminels ». Son constat est net : le degré de corruption entretenu par ce qu’il nomme « une mafia gouvernementale » menace les principes libéraux et démocratiques vitaux à Israël, et le condamne à s’égarer dans une guerre sans fin ni objectif qui, selon cet ancien des commandos, aurait dû prendre fin au bout de six semaines. Pour que l’avenir émerge, un processus d’assainissement de la sphère politique est donc nécessaire : il est impensable que l’Israël de demain soit dirigé de la même manière que celui d’aujourd’hui.
S’il est nécessaire, vital, que la critique sociale et politique s’exprime dans nos sociétés démocratiques, il existe aussi une tendance de cette critique à se dévoyer, et ce dans un sens qui surprend par sa régularité. Ce qui caractérise en effet ce dévoiement de la critique, c’est qu’elle remplace l’appui normatif lui faisant défaut par une intentionnalité malfaisante. S’il est nécessaire de critiquer, mais qu’on ne sait plus au nom de quoi, alors rien n’est plus pratique que de cibler des entités monstrueuses. Le texte de Balazs Berkovits que nous publions cette semaine apporte la contradiction à ceux qui voudraient excuser cette tendance conspirationniste, au prétexte qu’elle serait la manifestation inévitable, sinon légitime, d’une critique salutaire. Car raisonner de la sorte, c’est oublier, ou ne pas vouloir voir, qu’au sein de la liste des coupables providentiels, les juifs finissent toujours champions. Mais qu’est-ce qui explique cette amère victoire ? Serait-ce une sorte d’incapacité à concevoir l’agentivité juive, sinon comme synonyme du crime ?
Enfin, nous republions cette semaine les éclaircissements apportés par Yann Jurovics à la situation inédite causée par la demande du procureur de la Cour Pénale Internationale d’émission de mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de 3 dirigeants du Hamas, ainsi que contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, éclaircissements auxquels un post-scriptum a été ajouté. En effet, la Cour internationale de Justice a prononcé le 24 mai, suite à une demande urgente de l’Afrique du Sud, de nouvelles mesures conservatoires concernant les opérations militaires à Rafah. Alors que la presse internationale s’est empressée de titrer que la CIJ ordonnait l’arrêt immédiat de ces dernières, nous avons demandé à Yann Jurovics s’il s’agissait là d’une interprétation conforme au détail de cette nouvelle décision.