Par quel dispositif les Israéliens intègrent-ils le souvenir traumatique des victimes du 7 octobre à leur mémoire collective ? Nous continuons cette semaine la série d’articles de Julia Christ et Élie Petit – partis documenter pour K. les complexités d’une société israélienne aux prises avec la guerre et ses dilemmes – par un reportage sur les cérémonies de Yom Hazikaron, le jour du souvenir pour les victimes des guerres et des attentats en Israël qui a eu lieu il y a dix jours. Nos reporters se sont rendus à une soirée de veille organisée dans un lycée de Tel-Aviv où, comme c’est l’usage partout dans le pays, les noms de ses victimes sont prononcés. A cette liste s’ajoutent maintenant les noms des victimes depuis le 7 octobre. Au cœur même de cette cérémonie, on peut discerner le nouage particulier qui, pour les Israéliens, commande le rapport au pays : gratitude pour sa protection contre la persécution et conscience de la nécessité de le défendre, y compris au risque de sa vie. Mais comment les événements politiques et militaires de cette année ont-ils affecté ce nouage ? S’agissait-il vraiment d’une veille de Yom Hazikaron comme les autres ?
Le procureur de la Cour Pénale Internationale vient de demander l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre les trois principaux dirigeants du Hamas, son chef politique, le chef de sa branche armée et le planificateur des attaques 7 octobre, ainsi que contre Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant, respectivement Premier ministre et ministre de la Défense d’Israël. Que la stigmatisation d’Israël franchisse ici un cran supplémentaire, c’est évidemment ce qui dans l’événement nous requiert en premier lieu. Et pourtant, il comporte bien d’autres aspects, qu’il faut dégager pour voir clair. C’est pourquoi nous sommes allés interviewer Yann Jurovics, qui était déjà intervenu dans nos colonnes à propos de la procédure engagée par la requête de l’Afrique du Sud à la Cour internationale de Justice. Toujours aussi affranchi des passions ambiantes, le juriste – spécialiste du crime contre l’humanité et ancien expert auprès des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda – répond à nos questions en explicitant la situation, donnant ainsi les moyens de mieux l’appréhender. Quelles seront les implications concrètes de ces mandats d’arrêt, à supposer qu’ils soient autorisés par les magistrats de la CPI ? Que penser de cette judiciarisation du conflit ? N’y a-t-il pas des raisons d’espérer qu’elle puisse produire des effets politiques salutaires ? Cette procédure assimile-t-elle vraiment les responsables politiques israéliens aux dirigeants du Hamas ? À distance de la clameur politique et des multiples tentatives d’instrumentalisation, Jurovics nous rappelle notamment que ce sont des responsabilités individuelles qui sont en jeu dans cette affaire, et non un jugement sur des entités collectives. Explication de texte.
La manière dont la critique antisioniste se focalise actuellement sur l’affirmation que l’État juif ne saurait vouloir autre chose qu’un génocide – quand elle n’hésite pas, comme l’a récemment fait par exemple Youssef Boussoumah, à le qualifier d’ « entité ennemie de l’humanité » – appuie l’idée développée par Eva Illouz dans le texte que nous publions finalement. Elle revient en effet sur la façon dont, de longue date, l’antisémitisme s’est articulé à une représentation des juifs comme bourreaux assoiffés de sang. Eva Illouz rappelle ainsi que l’antijudaïsme chrétien, le nazisme aussi bien que l’antisionisme soviétique ont été motivés et se sont justifiés par une perception des juifs comme représentant une menace pour l’ordre moral, voire pour la survie de l’humanité. C’est ce supposé caractère vertueux de l’antisémitisme qui lui permet de se déchaîner, tout en se revendiquant des meilleures intentions.