# 165 / Edito

Comment les universités israéliennes résistent-elles à entrer dans la guerre ? Nous continuons cette semaine la série d’articles de Julia Christ et Élie Petit – partis documenter pour K. les complexités d’une société israélienne aux prises avec la guerre et ses dilemmes – par un entretien avec Mona Khoury, la vice-présidente de l’Université hébraïque de Jérusalem. Le contraste entre la vie universitaire qu’elle décrit et le tumulte des campus américains et européens est saisissant : alors qu’on pourrait s’attendre à ce que la proximité avec un conflit qui touche les étudiants juifs et arabes dans leur identité même exacerbe les tensions, c’est plutôt l’inverse qui semble vrai. C’est qu’en Israël, le conflit n’est pas une affaire abstraite, mais une réalité vécue collectivement de longue date, dans un rapport familier avec ses contradictions. Réalité que l’administration a su reconnaître pour ménager la possibilité d’une continuité de la vie universitaire, en organisant la médiation entre les différentes sensibilités. Loin de l’image monolithique qui lui est souvent associée, Mona Khoury témoigne de la pluralité d’une société israélienne inquiète, mais préparée à la complexité de l’épreuve.

« Ce qui était nécessaire à la création de l’État peut être mortel pour sa survie », tel est le constat quelque peu désabusé de l’un des plus réputés historiens de la Shoah, Saul Friedländer, qui fit carrière, après un bref passage en Israël, aux États-Unis. Ce qui était sans doute nécessaire dans la période formative de l’État d’Israël : un nationalisme sourcilleux, une capacité d’affronter l’adversité, voire même une certaine rudesse à l’égard de l’ennemi. Mais aussi : un genre particulier de messianisme articulé à une pensée révolutionnaire, capable de diriger les énergies en direction de Jérusalem, prise comme une métaphore de la justice, de l’égalité et de la paix. Or ce qui est dorénavant superflu, nuisible et dangereux, c’est la persistance d’un nationalisme étriqué dans un État désormais solide, surtout lorsque ce nationalisme s’alimente à un messianisme d’une tout autre facture que celui des premiers temps, un mixte explosif concocté par les sionistes-religieux tel qu’on l’observe aujourd’hui dans la vie politique interne de l’État d’Israël. Ce que suggère Friedländer dans les quelques pages tirées de son dernier ouvrage, Israël : de la crise à la tragédie, que nous publions cette semaine, c’est que derrière un conflit qui oppose Israël à un environnement globalement hostile à son existence, gisent de part et d’autre, de moins en moins tapis, des courants apocalyptiques qui obscurcissent l’avenir.

Enfin, nous reprenons cette semaine, après les évènements de l’Eurovision, le texte que David Stavrou avait consacré à Malmö et au cas de la Suède, où un antisémitisme importé du Moyen-Orient danse le tango avec un vieil antisémitisme d’extrême droite qui y a trouvé un refuge accueillant après la Seconde Guerre mondiale. Au vu de la teneur des manifestations qui ont ciblé la jeune chanteuse Eden Golan, traitée comme une incarnation de l’abominable « entité sioniste », jusqu’à l’obliger à se déplacer en étant protégée par un impressionnant convoi, il semble que Malmö n’ait pas usurpé sa réputation de faire partie des villes les plus antisémites au monde.

Comment les universités israéliennes évitent-elles de se laisser submerger par le conflit ? Dans cet entretien — deuxième épisode de notre série de reportages en Israël –, Mona Khoury, première Vice-Présidente arabe de l’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem, témoigne du succès des efforts entrepris pour assurer la continuité de la vie universitaire après le 7 octobre et malgré le conflit, tout en portant un regard critique sur la manière dont, ailleurs dans le monde, les campus se sont laissés déborder par l’embrasement idéologique.

Début 2023 : Israël s’enfonce dans une crise politique inédite. À la tête d’un gouvernement d’alliance avec l’extrême droite, Benyamin Netanyahou veut imposer une réforme du système judiciaire. La contestation est massive. Octobre 2023 : les terroristes du Hamas font basculer Israël dans l’effroi et la guerre. Le grand historien de la Shoah Saul Friedländer, observant l’évolution du pays dans lequel il est arrivé en 1948 à seize ans et où il a longtemps vécu avant de poursuivre sa carrière universitaire aux États-Unis, tient un journal dont nous publions quelques pages. Dans celles-ci, il interroge le danger interne que fait planer sur Israël la conjonction, au sein même du gouvernement, d’un nationalisme étriqué à un messianisme religieux.

Mälmo, la grande ville du sud de la Suède, a fait les gros titres ces dernières années en raison de l’antisémitisme qui s’y manifeste. Le journaliste David Stavrou raconte la lente prise de conscience des pouvoirs publics locaux et nationaux et les dispositifs mis en place pour faire face au problème. Surtout, il s’interroge sur la valeur de cette expérience pour l’ensemble de l’Europe où de nombreuses grandes villes sont confrontées à des problématiques similaires. 

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.