#151 / Edito

Comment expliquer le degré d’impréparation d’Israël face à l’attaque du 7 octobre ? Qu’est-ce qui peut rendre compte de l’impression que, dans sa réaction légitime au péril militaire externe, Israël navigue sans stratégie claire, et en prenant le risque de s’aliéner la communauté internationale ? Si la crise que traverse actuellement le pays est particulièrement aigüe, et bien qu’elle ait été déclenchée par les massacres commis par le Hamas, on ne parvient pas à se défaire de l’idée qu’elle devrait être l’occasion pour la démocratie israélienne de tourner son regard sur elle-même. C’est à ce nécessaire sursaut réflexif qu’entend contribuer le texte d’Eva Illouz que nous publions cette semaine, en soulignant que la menace existentielle qui pèse actuellement sur Israël germe sur une défaillance interne. Selon elle, le 7 octobre a révélé « un effondrement systémique de l’ensemble de l’appareil sociétal israélien », qui s’explique par la consolidation des extrémismes politiques et religieux, et un processus continu de dégradation des normes et des valeurs démocratiques. Or, c’est sur cette vulnérabilité interne que tablent les ennemis d’Israël : la vitalité démocratique est donc, là plus qu’ailleurs, une affaire de survie. L’espoir suppose donc que soient écartés les responsables de la détérioration, c’est-à-dire mis fin à la séquence Netanyahu, et renouvelé le contrat entre État et citoyens.

Après avoir proposé la semaine dernière notre analyse sur le vif des enjeux politiques de la décision de la Cour internationale de Justice, nous tenions à offrir à nos lecteurs une perspective et une expertise proprement juridiques sur cette question. K. est donc allé interviewer Yann Jurovics, juriste, spécialiste du crime contre l’humanité et ancien expert auprès des Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Ses réponses permettent de clarifier la nature de la procédure qui a donné lieu à la décision de la CIJ, de comprendre la signification des mesures conservatoires qui ont été prononcées et de lever l’ambiguïté sur certains éléments définitionnels. On ne saurait toutefois réduire cet entretien à un intérêt didactique, car il permet également d’apprécier les procédés et le style qui caractérisent la réflexion juridique. La distance avec laquelle Jurovics articule ses réponses à nos questions, parfois impatientes, illustre exemplairement la retenue de la discipline dont il se fait ici l’interprète, formulant ses jugements loin du vacarme des opinions militantes. Un Droit donc qui, pour être sollicité sur des questions aux échos politiques, n’en énonce pas moins son verdict indépendamment des tentatives d’instrumentalisation.

Les fronts de la menace existentielle qui pèse sur Israël sont multiples. À l’extérieur, les ennemis défiant militairement le pays s’accumulent. Mais il ne faut pas négliger ce qui menace Israël de l’intérieur. Pour Eva Illouz, Israël a besoin d’un vaste mouvement centriste et social-démocrate, nécessaire pour renouveler le contrat entre État et citoyens. Seul un tel mouvement peut redonner aux Israéliens la force qui leur a été retirée et les sauver d’un véritable risque existentiel.

Quelle est la nature de la procédure engagée par la requête de l’Afrique du Sud ? Comment comprendre la signification des mesures conservatoires prononcées ? Qu’est-ce qui différencie le génocide du crime de guerre ou du crime contre l’humanité ? Spécialiste de ces domaines, ancien juriste auprès des Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, Yann Jurovics livre son expertise sur les enjeux de la décision de la Cour internationale de Justice, donnant à apprécier la retenue d’une réflexion juridique qui se déploie à l’abri des conflits politiques.

Que signifie ce retour massif de l’histoire et de la mémoire de la Shoah comme référence depuis les massacres du 7 octobre – comme d’ailleurs la prolifération du mot « génocide » pour condamner la guerre menée par Israël à Gaza ? Comment comprendre en effet des discours qui prétendent qu’Israël instrumentalise la mémoire de la Shoah en vue de justifier une guerre considérée comme génocidaire, reprenant donc ce trope qui veut que les victimes soient devenues les bourreaux ? Nous avons demandé à Tal Bruttmann de nous éclairer sur ces différents points.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.