# 144 / Edito

Les échos de la réactivation actuelle du conflit israélo-palestinien dans le débat public des sociétés occidentales nous obligent à réinterroger une vieille question : celle de la différence, mais aussi de l’articulation, entre racisme et antisémitisme. C’est particulièrement clair en ce qui concerne la question qui se pose, ou devrait se poser, à la gauche : comment intégrer la possibilité manifeste que des « dominés », des « racisés » puissent être antisémites ? On connaît les explications culturalistes, voire essentialisantes, qui circulent à la droite de l’échiquier politique. La gauche, quand elle ne nie pas le fait embarrassant, se réfugie trop souvent dans des explications psychologisantes (notamment par le recours à l’idée d’un trop compréhensible ressentiment à l’égard des « dominants ») qui évacuent la spécificité politique de l’antisémitisme moderne. Dans son texte — « Racisme et modernité politique », réflexions à partir Race et histoire dans les sociétés occidentales (XVe-XVIIIe siècle) de Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani (qui avaient été récemment interviewés dans K.) –, Cyril Lemieux nous propose les outils conceptuels pour éviter ces écueils et produire un diagnostic authentiquement sociologique de la situation. Il distingue la logique du racisme de classe de celle du racisme égalitariste, dont les racines chrétiennes servent de matrice à l’antisémitisme moderne. Ainsi est rendue intelligible, et donc ouverte à une critique formulée depuis un idéal d’émancipation collective, la possibilité qu’une aspiration égalitariste se retourne en une position réactionnaire.

Nous nous sommes attachés, dans K., à décrire le bouleversement existentiel qu’avaient impliqué, pour Israël, les massacres du 7 octobre : la remise en question de sa capacité à mettre les Juifs à l’abri du pogrom. Mais le contrecoup de l’événement vient interroger une autre dimension de la société israélienne : le fait que des Arabes y coexistent en tant qu’Israéliens, et doivent continuer d’y coexister. Le texte de Mouna Maroun publié cette semaine, « Je suis une Arabe israélienne. Le Hamas ne me représente pas », témoigne de l’acuité de cette problématique, et de la manière dont elle est vécue au niveau subjectif. Mouna Maroun y partage en effet l’embarras qu’elle peut ressentir lorsqu’on lui demande si elle condamne le Hamas, et la crainte que les conséquences du 7 octobre affectent durablement le processus d’intégration de la population arabe. Mais son témoignage résonne aussi de l’espoir de ceux qui savent à quel point la vie des deux communautés est intriquée, jusque dans l’expérience de l’horreur : « Le Hamas n’a fait aucune distinction entre les Juifs et les Arabes ; pour le Hamas, ils étaient tous Israéliens ».

Ce texte a été rédigé dans un autre contexte que celui qui s’est formé après le 7 octobre. Il anticipait toutefois une double question que cet événement a précipitée : celle de la spécificité de l’antisémitisme à l’intérieur de la logique raciste, et celle de ce qui, dans les sociétés contemporaines, rend les victimes potentielles du racisme parfois porteuses, paradoxalement, d’arguments antisémites.

Comment le 7 octobre et ses conséquences sont-ils vécus par les Arabes israéliens ? Dans son témoignage, Mouna Maroun, docteure en neurobiologie et vice-présidente de l’Université de Haïfa, apporte des éléments de réponse à cette question. Elle interroge – à partir de son expérience personnelle d’une coexistence harmonieuse entre Juifs et Arabes israéliens, et de son combat pour l’approfondir à l’université – les difficultés que pose au processus d’intégration le choc vécu par la société israélienne dans son ensemble, mais aussi les raisons d’espérer.

En filmant eux-mêmes leurs crimes, les terroristes du Hamas ont assuré la mise en spectacle du massacre qu’ils ont commis le 7 octobre. Un film de plus de 40 minutes, documentant les atrocités, a été conçu par les autorités israéliennes et plusieurs fois projeté (depuis le 23 octobre en Israël, depuis le 14 novembre en France) devant un public choisi. Que contient exactement ce film — qui soulève la difficile question de savoir comment manier ces images ? Dans un débat réalisé en partenariat avec Akadem, Michael Prazan – documentariste et écrivain – et Jean-Baptiste Thoret – historien du cinéma – interrogent l’histoire, les usages, et les effets des images documentaires de violence extrême sur ceux qui les regardent.

Avec le soutien de :


Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.