Un État pour les Juifs, non pas au Proche-Orient, mais sur le Danube. C’est depuis ce territoire, appelé autrefois « Autriche », que nous avons reçu, il y a quelques mois, un étrange document : « Israël sur le Danube ». L’histoire imaginée de cet État se lit comme un roman dont K. publie cette semaine le premier épisode. « Si les Juifs dirigent le monde en secret, ils peuvent aussi créer un pays au centre de l’Europe et à l’abri des regards ! Pourquoi pas ? Vous n’en saviez rien parce qu’ils le veulent… » nous a déclaré l’auteur qui s’est présenté à nous dans une petite biographie jointe à son texte : « Guy Konopnicki est né en septembre 1948, au son du premier concert du Nouvel An juif, diffusé depuis la salle des fêtes du palais de Schönbrunn. Il été nourri de Kreplach soup, de Wiener Schnitzel, de Strudel, et de carpes du Beau Danube Bleu. Un mélange de musique viennoise et de danses hongroises a bercé son enfance. Son grand-père, Abraham Hoffnung, né dans un Shtetl de Galicie, portait le même titre que François-Joseph, « K und K », à ceci près qu’il n’était pas Kaiser und König – empereur et roi – mais Kutscher und Kosher – cocher et casher – titulaire d’un diplôme délivré à Lemberg. Incorporé en 1914 dans la cavalerie impériale, il servit avec vaillance en veillant sur les chevaux du Kaiser. Abraham Hoffnung considérait que les malheurs des Juifs avaient commencé le 21 novembre 1916, jour de la mort du vénéré « K und K François-Joseph ». La vie de son petit-fils se confond avec celle de l’État juif fondé à Vienne et toutes les informations concernant un Guy Konopnicki né à Paris et français sont fausses. » On a décidé de le croire pendant sept épisodes, jusqu’à la fin du mois d’août… Le premier nous plonge dans les affres politiques de Churchill après-guerre et porte pour titre : « Avec l’accord de notre grand camarade Staline, je suis venu vous proposer de donner l’Autriche aux Juifs pour y bâtir leur État. »
Chaque épisode hebdomadaire de notre feuilleton de l’été sera accompagné d’une série de quatre articles, déjà parus dans nos pages, mais rassemblés, pour l’occasion, autour de quelques thématiques phares. Cette semaine, un dossier sur la gauche, les Juifs et l’antisémitisme. Deux textes qui interrogent à la fois le rapport de plus en plus compliqué des Juifs avec la gauche – sur fond d’une cécité ou d’un désintérêt de celle-ci vis-à-vis des progrès de l’antisémitisme -, mais aussi deux textes qui reviennent sur les références juives implicites qui influencent certaines des doctrines de gauche radicale contemporaines les plus influentes.
Dans « Avenir de la gauche et lutte contre l’antisémitisme », Milo Lévy-Bruhl propose une réflexion indispensable, au nom de la gauche, sur la nécessité de ne plus jouer, a minima, la politique de l’autruche quant à la réalité d’un regain général de l’antisémitisme qui n’épargne pas la gauche elle-même. Dans « Du silence à la lutte contre l’antisémitisme : le tournant d’un juif de gauche radicale », Jonas Pardo revient sur son histoire et, décidant de ne plus laisser passer l’antisémitisme qui se manifeste parfois dans son camp politique, décrit la nouvelle activité qu’il a décidé d’embrasser. Depuis plusieurs mois, il organise des formations à la lutte contre l’antisémitisme adaptées à un public bien précis et qu’il connait bien : les militants associatifs, politiques, antiracistes et syndicaux mais aussi les journalistes, artistes et universitaires de gauche… Dans « L’anarchisme juif et ses résurgences écologiques contemporaines », Sylvaine Bulle nous raconte un moment de la pensée moderne juive mal connu, bien qu’inscrit dans la pensée juive émancipatrice de la Haskalah : « l’anarcho-judaïsme ». Derrière ce syntagme, la sociologue désigne la cohérence d’un courant théorique élaboré au tournant du XIXe et du XXe par des intellectuels, et parfois des rabbins, éduqués pour la plupart d’entre eux dans les yeshivot d’Europe de l’Est. Enfin, Hugo Latzer fait, dans « La kabbale lourianique peut-elle casser des briques ? », la généalogie de l’apparition de signifiants et références juives et kabbalistiques au sein d’un mouvement d’extrême-gauche : le groupe de Tarnac.