Le mardi 9 mai dernier, Cléo Cohen était dans la synagogue de la Ghriba, sur l’île de Djerba, lors de l’attentat antisémite au cours duquel deux pèlerins juifs et trois policiers tunisiens ont été assassinés. Dans le texte important qu’elle nous a confié, elle raconte l’angoisse du moment, puis les sentiments d’irréalité et de solitude qui travaillent une jeune femme de trente ans partie vivre en Tunisie, le pays de ses grands-parents, en revendiquant fièrement sa judéité. Sa famille craignait ses séjours tunisiens. Dans un article précédent de K. sur ces jeunes Juifs français qui retournent dans le Maghreb de leurs parents, Cléo Cohen témoignait : « C’est un geste de trahison [pour ma famille]. Tout le monde soupire et lève les yeux au ciel quand je dis que je vais en Tunisie. » Aujourd’hui, après le 9 mai, le sentiment de la trahison semble venir d’ailleurs. Et au trouble de celle qui dit avoir passé beaucoup de temps à répéter que « contrairement à la France, on ne meurt pas parce qu’on est Juif en Tunisie », s’ajoute la colère face à un silence étouffant : celui de ses amis, tunisiens et français, militants engagés toujours prompts à dénoncer toutes les injustices et toutes les violences racistes mais qui, devant cet attentat, se taisent. Un silence qui couvre l’antisémitisme diffus et interdit de reconnaitre les juifs comme des victimes.
Le président Kaïs Saïed ne s’est pas tu, lui, puisqu’il a cru bon de déclarer, quelques jours après l’attentat, que « des Palestiniens meurent tous les jours sans que personne n’en parle ». Israël permettant de justifier l’absence de commisération pour les juifs, d’où qu’ils soient, quels qu’ils soient. L’article de David Hirsh (le directeur du London Centre for the Study of Contemporary Antisemitism) et d’Hilary Miller – dont nous avons publié la première partie la semaine dernière – sur la conférence de Durban de 2001 et les reconfigurations antisionistes de l’antisémitisme qu’elle a accompagnées, permet de mieux comprendre l’arrière-plan idéologique du silence évoqué dans le texte de Cléo Cohen. Dans cette seconde partie, David Hirsh et Hilary Miller montrent comment, à Durban, l’enjeu fut de présenter le racisme, l’apartheid, l’impérialisme, la violence d’État et la négation des droits de l’homme sous un visage exclusivement israélien.
Lors d’un concert donné à Berlin il y a une dizaine de jours, Roger Waters, l’ancien leader du groupe Pink Floyd, a trouvé subtil d’établir un parallèle entre l’Allemagne nazie et Israël, projetant sur scène les noms d’Anne Frank et de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh. C’est pour nous l’occasion de republier le podcast de l’entretien avec Lola Lafon réalisé au moment de la sortie de son livre Quand tu écouteras cette chanson, paru en septembre chez Stock dans la collection « Ma nuit au musée » ? L’auteure témoigne de son rapport intime à l’œuvre de la jeune fille morte à 15 ans à Bergen Belsen, rappelant combien son fameux journal aura été malmené dans les éditions successives qui entendaient instrumentaliser sa voix. Une instrumentalisation qui n’en finit donc pas.