Longtemps, pendant que nous élaborions le projet de cette revue dont les premiers articles paraissent aujourd’hui, nous la nommions entre nous « la question juive ». L’expression, devenue canonique dans la première moitié du 19ème siècle[1] pour discuter de la place des Juifs au sein de l’Europe moderne marquée par l’émancipation, interrogeait notamment le lien entre le particulier et l’universel, et une double obstination, persistante malgré l’émancipation ou ravivée à partir d’elle : celle des Juifs qui entendent encore rester juif, mais aussi celle d’une partie de la société à toujours vouloir reconnaître les Juifs comme juif avant tout. Evidement, l’expression est devenue impraticable : désormais, elle évoque davantage le « Commissariat générale aux questions juives » et le fait qu’avec le nazisme, la « question juive » s’est convertie en « problème juif » – auquel on a cherché une solution définitive.
En réfléchissant à d’autres titres, nous avons cherché du côté des grands personnages de la littérature juive moderne, comme si l’Histoire nous avait contraints à nous replier vers l’imaginaire. Et nous avons pensé au Joseph K. du Procès, au « K. » du Château. Est-ce qu’une leçon d’Histoire justement ne nous avait pas été enseignée par le roman de Kafka ? Ce château que K. cherche à rejoindre sans jamais l’atteindre ne peut-il pas être perçu pour les Juifs comme une métaphore de l’Europe ? La question est lancinante. Et plusieurs des textes de ce premier « numéro » la posent chacun à sa manière. L’interview avec le démographe Sergio della Pergola par exemple, qui ne cesse d’enregistrer les traces d’une diminution : autour de 1880, les Juifs d’Europe représentaient 90% des Juifs du monde; aujourd’hui, ils n’en représentent plus que 9%. C’est avec un tel constat en tête que notre texte d’ouverture, où sont esquissées les grandes lignes de notre projet éditorial, s’interroge sur les perspectives d’avenir du judaïsme européen. Il y est fait acte d’une inquiétude irrésistible, mais aussi d’une volonté de ne pas se laisser engloutir et d’entrevoir comment une relation des Juifs et de l’Europe peut être repensée.
Chaque semaine, K. publiera au moins trois textes : des analyses, des entretiens, des reportages, et parfois des nouvelles littéraires. Nous tâcherons de sillonner l’ensemble de l’Europe : il y aura des plans généraux, des panoramiques et des gros plans, des tableaux d’ensemble et des miniatures, des retour sur l’histoire et une approche de notre actualité. La visite est gratuite[2]. Notre grand tour, nous le ferons d’abord en deux langues, en français et en anglais, avec le rêve secret qu’il pourrait être un jour fait dans toutes les langues parlées en Europe. On espère qu’il intéressera tous les Européens.
La rédaction
Notes
1 | La Question juive de Bruno Bauer date de 1843, la réponse immédiate de Marx à Bauer (Sur la Question juive) date de 1844 : ce sont les débuts d’un océan de publications à venir… |
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