En Belgique, il est, jusqu’à preuve du contraire, illégal d’égorger ses concitoyens. Par contre, il semble conforme au droit de déclarer publiquement « avoir envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif ». Bienvenue dans la stupéfiante affaire Brusselmans, du nom de l’écrivain flamand ayant appelé au meurtre des juifs dans un hebdomadaire à gros tirage, sans que cela ne fasse scandale, et avant d’être acquitté par la justice. L’enquête de Rafaël Amselem – dont nous publions cette semaine la première partie – explore les méandres juridiques et le contexte culturel flamand au sein desquels ce genre de propos peuvent passer pour une simple opinion personnelle, et être couverts pas la liberté d’expression. Si se dessine en toile de fond de cette affaire un malaise spécifiquement belge face à l’antisémitisme et à ses expressions antisionistes, s’y trouvent aussi illustrées les apories d’une conception illimitée de la liberté d’expression, incapable de prendre acte de ce que les attaques verbales contre les minorités contiennent déjà de violence.

Alors que la guerre entre Israël et l’Iran semble avoir ravivé dans une partie de l’opinion publique occidentale une vieille représentation – celle du juif sur qui l’on doit pouvoir compter pour porter partout l’étendard de la lutte pour la justice universelle et qui, encore une fois, a déçu les tenants de ce fantasme –, une question à la fois naïve et provocante nous a semblé mériter d’être soulevée : « Pourquoi les juifs devraient-ils servir à quelque chose ? ». C’est Keith Kahn-Harris, l’auteur britannique de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are [Icon Book, 2025. (Juifs ordinaires : pourquoi le peuple juif n’est pas celui que vous croyez)] qui se charge cette semaine de mener l’interrogation, et de déstabiliser nos évidences à ce sujet. La question, à vrai dire, s’adresse autant aux juifs qu’aux non-juifs, puisqu’elle traite du rapport qui s’est entériné entre les juifs et le monde dans notre modernité. L’ironie, alors, dissimule mal la gravité de ce qui est soulevé : pourquoi les juifs semblent-ils condamnés à occuper le centre du débat public, et qu’est-ce qui les empêche de mener une existence parfaitement mondaine et futile ?

 

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Connaissez-vous Herman Brusselmans ? Il est l’auteur de ces lignes, parues en août 2024 dans un magazine belge populaire : « Je vois une image d’un petit garçon palestinien en pleurs et en cris, appelant sa mère ensevelie sous les décombres. Je deviens alors si furieux que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre. » Moins d’un an plus tard, la procédure engagée par une organisation juive débouche sur un acquittement. Dans une enquête en deux parties, Raphaël Amselem raconte pourquoi -- et comment. Voyage en Belgique, là où ces paroles ne choquent (presque) plus.

Keith Kahn-Harris, auteur de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are, interroge ici, avec un soupçon de provocation, cette étrange et aliénante tendance juive à vouloir se rendre indispensable au monde. Et si la plus belle réplique contre l’antisémitisme était finalement de s’arroger le droit à la frivolité, de s’autoriser une existence parfaitement superflue ?

Le texte "Semaine sainte sous Lexomil" de Danny Trom a suscité de nombreuses réactions. Parmi ce courrier, plus ou moins constructif, s'est distinguée la réplique du philosophe Leopoldo Iribarren, que la rédaction de K. a décidé de publier. Danny Trom, revenu à ses esprits mais loin de faire pénitence, répond au défi amical de son collègue.

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Le conflit entre Israël et l’Iran des mollahs — qui, à l’heure où nous écrivons, donne tous les signes d’être achevé — a fait ressortir le sens que prend pour Israël l’acte même de la guerre. En ôtant à la République islamique d’Iran les moyens de parvenir à ses fins exterminatrices, Israël redéfinit les conditions concrètes de sa sécurité. Se pose alors, avec d’autant plus d’acuité, la question de la poursuite d’une guerre interminable et meurtrière à Gaza. Mais l’affrontement qui vient de prendre fin interroge également l’inaction de l’Europe face aux menaces criminelles proférées depuis des décennies à l’égard de l’État d’Israël et des Juifs, laquelle n’est que l’autre face de son indifférence au sort du peuple iranien.

Si certaines vérités historiques sont trop souvent tues, leur énonciation ne suppose pourtant pas de prendre la pose du démystificateur. C’est le grand mérite de cet entretien avec Benny Morris, d’abord paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 20 juin 2025 [à la veille de l’attaque américaine], que d’illustrer la manière dont un travail historique précis et lucide permet de salutaires mises au point politiques. Alors que la guerre avec l’Iran faisait rage, l’historien israélien, figure majeure des « nouveaux historiens » dans les années 1980 et auteur de The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947–1949 – ouvrage pionnier sur les causes de l’exode palestinien – revenait sur les racines du conflit au Moyen-Orient et lles mythes qui les entourent.

De la guerre Iran-Irak aux soulèvements réprimés dans le sang, jusqu’à la guerre actuelle, enterrant les espoirs nucléaires des Mollahs, la mémoire de la violence traverse toute une génération d’iraniens. Réfugiée en Allemagne, la poétesse iranienne Atefe Asadi nous a confié son témoignage. Elle questionne l’éthique des États face à un régime criminel resté impuni depuis des décennies. Entre souvenirs traumatisants, colère lucide et espoir inflexible, elle trace le portrait d’un peuple abandonné. Elle revient sur les répressions sanglantes, les illusions perdues, la guerre en cours – et continue pourtant de rêver d’un Iran libre.

Alors que l’opération israélienne de décapitation du régime de Téhéran et de ciblage de son programme nucléaire se poursuit, entraînant une riposte sur l’ensemble du territoire de l’État juif, Bruno Karsenti et Danny Trom s’interrogent sur le sens politique de ce tournant majeur du conflit au Moyen-Orient. Par rapport au dévoiement du sionisme que représente la conduite actuelle de la guerre à Gaza, la guerre contre l’Iran revêt une tout autre signification, pour les Israéliens comme pour l’ensemble du monde juif.

Du 13 au 15 juin avait lieu à Vienne le premier congrès juif antisioniste, visant à faire entendre la voix de farouches résistants à l’abomination sioniste. Depuis la capitale autrichienne, et au nom de la mémoire de la Shoah, se disait alors d’une seule traite « Ni Herzl ni Hitler », comme s’il s’agissait finalement un peu de la même chose. Cette « clarté » morale est-elle suffisante pour illuminer la voie politique à suivre ? Le reportage de notre correspondant Liam Hoare donne à croire que non : tout n’est pas clair chez les juifs antisionistes, rejoints pour l’occasion par leurs alliés Roger Waters et Rima Hassan.

Les deux lettres que nous publions sont extraites de ‘Parler sans détours. Lettres sur Israël et la Palestine’ (Cerf, 2025), correspondance entre Anoush Ganjipour et Jean-Claude Milner engagée au lendemain du 7 octobre et sur fond de guerre à Gaza. Dans cet échange, les deux intellectuels confrontent leurs diagnostics sur la nature et l’histoire de la haine antijuive en Orient : passion occidentale importée par la modernité conquérante pour l’un, judéophobie inscrite dans les affects collectifs et revitalisée aujourd’hui par l’antisionisme pour l’autre. Au cœur du désaccord, une divergence fondamentale s’exprime à travers deux regards portés sur un même phénomène, mais ancrés dans deux expériences politiques distinctes. 

L’antisémitisme, celui qui traîne dans l’atmosphère contemporaine jusqu’à la rendre irrespirable, est d’abord une affaire de signes que l’on apprend à repérer. Signes à déchiffrer, donc, mais qui, pour ceux qui ont de la mémoire, apparaissent nimbés du funeste halo de l’évidence. Le témoignage que Boris Schumatsky nous livre dans ce texte vient nous rappeler que ce monde saturé de signes inquiétants peut nous faire suffoquer : il nous interroge alors sur le sens du combat qu’il est possible d’y mener. 

Dans Pogrom. Kichinev ou comment l’Histoire a basculé, paru en français aux Éditions Flammarion, Steven J. Zipperstein revient sur le massacre de Kichinev en 1903, événement local devenu traumatisme global dans la conscience juive moderne. Plus qu’un simple récit de violence, son enquête dévoile comment ce pogrom – largement médiatisé, interprété, mythifié – a infléchi l’histoire juive contemporaine : il a nourri l’essor du sionisme, suscité une mobilisation mondiale, inspiré la littérature et la presse, et forgé un paradigme durable de la vulnérabilité juive.

Depuis l’attaque du 7 octobre et la guerre que mène Israël à Gaza, le mot « génocide » s’est imposé comme pierre de touche du débat public. Symbole d’un engagement intransigeant pour les uns, il ne relève plus du droit, mais d’un impératif moral absolu. Matthew Bolton analyse dans ce texte le glissement de ce terme — d’accusation juridique à condamnation ontologique — et montre comment son usage, nourri par la théorie du « colonialisme de peuplement », conduit à se couper de toute possibilité d’agir politiquement sur la guerre de destruction à Gaza menée par le gouvernement Netanyahu. Car en posant qu’Israël actualise une logique d’annihilation intrinsèque à son existence même, l’équation « Israël = génocide » devient l’axiome d’une idéologie qui réfute par principe tout issue politique au conflit.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.