Keith Kahn-Harris, auteur de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are, [Juifs ordinaires : pourquoi le peuple juif n’est pas celui que vous croyez] interroge ici, avec un soupçon de provocation, cette étrange et aliénante tendance juive à vouloir se rendre indispensable au monde. Et si la plus belle réplique contre l’antisémitisme était finalement de s’arroger le droit à la frivolité, de s’autoriser une existence parfaitement superflue ?

Pendant un certain temps au début des années 80, en tant qu’enfant né au début des années 70, j’ai moi aussi « senti que mes jambes priaient ».
Il m’a fallu attendre l’âge adulte pour découvrir la célèbre remarque prononcée par le rabbin Abraham Joshua Heschel lorsqu’il a rejoint Martin Luther King dans la marche pour les droits civiques à Selma en 1965. Pourtant, participer à des marches de protestation contre les armes nucléaires avec un groupe juif militant pour le désarmement me semblait déjà instinctivement juste. J’avais l’intuition qu’un Juif comme moi devait ainsi agir précisément en sa qualité de Juif.
J’étais peut-être un adepte précoce de l’« action sociale » juive. Même si j’ai développé un certain cynisme à l’adolescence, j’ai toujours été convaincu que les Juifs devaient compter, que nous devions faire en sorte que notre présence dans le monde ait un impact, que nous devions chercher à rendre la Terre meilleure. Et, au-delà de la justice sociale, que les Juifs étaient appelés à apporter une contribution unique au progrès de l’humanité.
Jusqu’à récemment, je formulais cette approche en ces termes : les Juifs devraient aspirer à être plus qu’un énième groupe ethno-religieux , un peuple interchangeable, reconnaissable uniquement à ses caractéristiques superficielles. Si nous ne sommes qu’interchangeables avec d’autres peuples, alors nous perdons toute raison d’être.
Bien que ma façon d’exprimer ce défi fût personnelle, je n’étais pas seul à penser que les Juifs devaient absolument échapper au sort d’être un énième groupe ethnoreligieux parmi tant d’autres. Dans ma propre famille, ma grand-mère paternelle partagea probablement ce sentiment. Elle faisait partie de ces nombreux jeunes Juifs de l’East End londonien qui, dans l’entre-deux-guerres, affluèrent vers un parti communiste porteur de l’espoir d’un monde transformé. Exister dans le monde en tant que Juif ne suffisait pas ; encore fallait-il s’allier à d’autres peuples pour changer les choses.
J’ai toujours été convaincu que les Juifs devaient compter, que nous devions faire en sorte que notre présence dans le monde ait un impact, que nous devions chercher à rendre la Terre meilleure.
Nous savons aujourd’hui que le communisme de type soviétique a finalement conduit à la dissolution forcée de l’identité juive (et ma grand-mère, comme beaucoup d’autres Juifs, quitta d’ailleurs le Parti pendant la guerre). Nous savons désormais également que les autres mouvements politiques ne détiennent pas nécessairement le secret de la pérennité juive : le Bund fut anéanti pendant la Shoah, et peu de gens dans l’immédiat après-guerre y voyaient un espoir ; le libéralisme et l’assimilation connurent un succès spectaculaire dans l’après-guerre aux États-Unis et dans d’autres pays, mais réussirent « trop bien » — si j’ose dire — dans la mesure où ils n’incitèrent guère les Juifs à s’impliquer dans la vie communautaire. Le sionisme, quant à lui, se présentait comme le garant triomphal de la sécurité juive à l’échelle mondiale. Cependant, malgré ses promesses, il n’est jamais parvenu à résoudre les profondes divergences qui persistent quant à la définition même de l’identité juive.
Ce qui n’a pas changé, quelle que soit l’orientation politique, c’est le sentiment que l’engagement politique juif dans le monde constitue en quelque sorte une obligation.
L’engagement envers Israël s’apparente à une obligation tacite pour la diaspora juive. Dans son ouvrage novateur de 2015, Obligation in Exile[1], le théoricien politique Ilan Baron avance que la relation entre les Juifs de la diaspora et Israël est aujourd’hui empreinte d’une « obligation politique transnationale ». Cette notion transcende le simple contenu de l’engagement pour englober l’impératif même de s’engager vis-à-vis d’Israël. Ainsi, au-delà de leurs opinions personnelles sur l’État hébreu, les Juifs de la diaspora sont appelés à dépasser la simple réflexion pour agir concrètement. Cependant, on peut se demander si cette obligation spécifique ne s’inscrit pas dans un cadre plus vaste d’engagement juif envers le monde. Cette responsabilité ne se limiterait pas à une simple existence passive, mais impliquerait une participation active à la marche du monde. Elle serait, en partie, une obligation envers nous-mêmes, une lutte pour notre pérennité. Au fil du temps, cette obligation pourrait s’étendre à l’universel ; un glissement de l’obligation vers la nécessité : les Juifs seraient tenus de s’impliquer dans le monde, car leur présence y serait, d’une certaine manière, indispensable.
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L’essai controversé de Franklin Foer, « The Golden Age of American Jews Is Ending », paru dans The Atlantic en mars 2024, capture l’anxiété croissante de la communauté juive après les événements du 7 octobre. L’auteur y dépeint la crainte d’un retour à une époque où les Juifs étaient considérés comme des individus dont on peut se passer. Il met en lumière l’épanouissement remarquable de la culture juive dans l’Amérique d’après-guerre, qualifiant cette période d’« âge d’or » intimement lié à l’apogée du libéralisme américain. Selon Foer, le déclin récent dudit libéralisme s’accompagnerait d’un effritement de cette florissante culture juive : « Les forces déployées contre les Juifs, à droite comme à gauche, sont bien plus importantes qu’il y a 50 ans. La recrudescence de l’antisémitisme témoigne de l’effritement des valeurs démocratiques et présage l’essor de l’autoritarisme. Lorsque l’antisémitisme s’enracine, les théories du complot se muent en sagesse populaire, insufflant la violence dans les esprits avant qu’elle ne se concrétise en actes meurtriers. Bien que cela ne constitue pas une loi historique immuable, de telles sociétés tendent souvent à sombrer dans le déclin. L’Angleterre a connu une longue période sombre après l’expulsion des Juifs en 1290. La Russie tsariste s’est enlisée dans la révolution à la suite des pogroms des années 1880. Si l’Amérique persiste sur cette voie, elle mettra fin à son âge d’or, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour le pays qui les a accueillis et nourris ».
Ce type de discours, qui présente l’épanouissement juif comme nécessaire au maintien de toute une civilisation, ne se limite pas à l’Amérique. En 2016, Sir Jonathan Sacks, ancien Grand Rabbin du Royaume-Uni, a déclaré dans un discours au Parlement européen : « La haine qui commence par les Juifs ne s’arrête jamais aux Juifs. Penser que l’antisémitisme ne menace que les Juifs est une erreur profonde. Il constitue avant tout une menace pour l’Europe elle-même et pour les libertés qu’elle a mis des siècles à conquérir ».
La Stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive (2021-2030) reprend d’ailleurs la citation de Sacks et ajoute : « L’antisémitisme est incompatible avec les valeurs fondamentales de l’Europe. Il constitue une menace non seulement pour les communautés juives et la vie juive, mais aussi pour une société ouverte et plurielle, pour la démocratie et pour le mode de vie européen. L’Union européenne est déterminée à l’éradiquer[2]. »
Considérer les Juifs comme un baromètre de la santé démocratique libérale souligne certes leur importance, mais leur impose aussi une responsabilité exceptionnelle, voire un fardeau. Ceux-ci ne peuvent se contenter d’exister passivement dans le monde et se doivent d’être les catalyseurs de son amélioration. C’est là que le conservatisme juif contemporain, le radicalisme antisioniste et les différentes formes de sionisme se rejoignent, dans la mesure où le repli communautaire n’est pas une option. Même les Juifs haredim, en apparence les plus isolés, nourrissent des espoirs messianiques de rédemption du monde.
Dans les multiples courants du judaïsme, un quasi-consensus semble se dégager : le monde a besoin de nous. Il ne s’agit pas seulement d’une forme d’autosatisfaction juive, mais aussi d’une obligation pressante : nous devons agir dans le monde pour devenir indispensables.

La croyance selon laquelle les Juifs devraient aspirer à se rendre indispensables peut être à la fois universaliste (concernée par le monde) et particulariste (concernée par les Juifs). Elle mêle paradoxalement une forme subtile de chauvinisme à un souci apparent du monde entier. Dans son récent livre Being Jewish After the Destruction of Gaza[3], Peter Beinart fonde la transformation du peuple juif non seulement sur le rejet du sionisme, mais aussi sur la reconnaissance du rôle historique unique des Juifs : « Parlant aux descendants d’Abraham dans le livre de la Genèse, Dieu dit : « Toutes les familles de la terre se béniront par toi. » Que signifie pour le peuple juif bénir l’humanité à notre époque ? Cela signifie peut-être collaborer avec les Palestiniens pour contribuer à la libération du monde ».
Dans le même ordre d’idées, même les formes les plus radicalement universalistes de l’action sociale juive reposent souvent sur l’hypothèse, plus ou moins occultée, que les Juifs sont essentiels au monde. Considérons par exemple la manière dont ses présente Jewish Voice for Peace, le mouvement américain le plus connu pour son antisionisme : « Comme de nombreuses générations de Juifs de gauche avant nous, nous luttons pour la libération de tous les peuples. Nous croyons qu’en unissant nos forces, nous pouvons démanteler les institutions et structures qui perpétuent l’injustice, pour les remplacer par quelque chose de nouveau, porteur de joie, de beauté et de vie. »
Cependant, il est impossible d’ignorer une certaine tension : s’organiser en tant que Juifs et revendiquer l’héritage d’une tradition juive introduit inévitablement une dimension particulière dans la lutte universaliste menée pour l’humanité par Jewish Voice for Peace. Et pourtant, au-delà des critiques accusant ces groupes de simplement rechercher l’approbation de militants non juifs, ne faut-il pas reconnaître le fardeau considérable que représente l’acceptation de cette tradition ?
Tzelem, une coalition britannique de rabbins qui vise à « faire entendre la voix des autorités religieuses juives sur les questions de justice sociale et économique au Royaume-Uni », tire son nom du « principe juif selon lequel nous sommes tous créés b’tzelem Elokim – à l’image de D-ieu ». Parmi ses valeurs, on retrouve le précepte suivant : « Nous répondons à l’appel divin en œuvrant à la création d’une société civile au Royaume-Uni qui reflète nos croyances et nos valeurs juives, conformément aux mitsvot, aux enseignements de nos prophètes, de nos sages et de nos textes sacrés. La Torah nous commande de nous engager activement dans la société et à nous préoccuper des enjeux de justice qui touchent les personnes les plus vulnérables ».
Le recours au verbe « commande » n’est pas fortuit. Lutter pour la justice sociale au Royaume-Uni n’est pas seulement un « ajout » juif, c’est un commandement auquel les Juifs ne peuvent se soustraire, une partie du fardeau que nous avons accepté au Sinaï (métaphoriquement ou littéralement selon les goûts).
Il est compréhensible que les Juifs aspirent à se rendre indispensables. Notre histoire est jalonnée d’épisodes où nous avons été considérés comme superflus, jetables, voire inutiles. Confrontés à ces préjugés, nous avons constamment été contraints de démontrer notre valeur en nous spécialisant dans des niches et des professions devenues indispensables au fonctionnement de la société.
L’histoire politique juive d’après-guerre révèle la persistance d’une stratégie visant à se rendre indispensable, indépendamment des orientations idéologiques. D’un côté, les mouvements juifs progressistes, tout en prônant l’universalisme, conservent une dimension particulariste. De l’autre, les courants plus axés sur l’identité juive cherchent à démontrer leur importance tant pour les Juifs que pour les Gentils. Cette tendance s’illustre notamment dans la pratique de la hasbara[4] consistant à mettre en avant les contributions israéliennes dans les domaines technologiques et médicaux.
Dans les multiples courants du judaïsme, un quasi-consensus semble se dégager : le monde a besoin de nous. Il ne s’agit pas seulement d’une forme d’autosatisfaction juive, mais aussi d’une obligation pressante : nous devons agir dans le monde pour devenir indispensables.
Au-delà de nos profondes divisions politiques, il se pourrait que l’esprit collectif juif ait toujours œuvré à une forme subtile de protection commune. En effet, diverses expressions de la politique juive parviennent à séduire un large éventail d’opinions. Grâce à cette diversité, nous avons donné à une partie significative de l’humanité des raisons de nuancer leur antisémitisme, en le dirigeant vers certains groupes spécifiques de Juifs plutôt que vers l’ensemble de notre communauté.
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Vivons-nous vraiment dans un monde où les Juifs sont nécessaires ? Et si nous sommes nécessaires, le voulons-nous vraiment ?
Bien que cela puisse paraître évident, il est important de rappeler les limites de notre influence. Notre communauté, relativement modeste à l’échelle mondiale, ne peut être présente partout. De vastes régions du globe restent hors de notre portée, sans que nous y ayons de réelle présence ou influence. Ignorer cette réalité risquerait de conforter les mythes antisémites sur une supposée domination juive mondiale.
Quoi qu’il en soit, même si nous ne sommes véritablement nécessaires qu’à certains endroits et à certains moments, nous devons reconnaître que ce sentiment d’obligation — de nous envers le monde et du monde envers nous — peut avoir des conséquences inattendues. L’obligation peut nous piéger dans un réseau d’engagements qui, en fin de compte, réduisent la liberté d’action des Juifs.
L’obligation est certes profondément ancrée dans le judaïsme, mais ce n’est pas là le cœur du problème. Du culte du Temple au réseau diasporique, des règles du sacrifice à une immensité de règles rabbiniques (la halacha), les Juifs ont toujours été tenus de faire certaines choses et de s’abstenir d’en faire d’autres. La question qui se pose est de savoir si les obligations politiques juives contemporaines envers le monde sont fondamentalement différentes des autres types d’obligations pesant sur les Juifs. Il est certain que la légitimation des formes contemporaines d’actions sociales et politiques juives dépend souvent de l’insistance sur le fait qu’elles expriment l’essence de la tradition juive ; par exemple, dans le monde juif progressiste (c’est-à-dire réformé et libéral), l’utilisation de concepts tels que le tikkun olam[5]ainsi que d’injonctions bibliques comme l’interdiction d’« opprimer l’étranger » est omniprésente.
Les interventions sociales et politiques juives contemporaines revêtent une dimension concrète, comparable à l’accomplissement d’autres obligations halachiques, particulièrement lorsque les Juifs constituaient une communauté marginale avec peu d’influence politique. Dans ces contextes, les conséquences du respect ou du non-respect des obligations halachiques se manifestaient principalement dans l’environnement immédiat de chacun et encore de manière subtile. Cette réalité contraste avec l’impact plus tangible et immédiat d’actes comme le versement des dîmes du Temple, censé assurer une récolte abondante. Les obligations juives contemporaines visant à améliorer le monde s’inscrivent dans une logique similaire à celle des anciens rites : leurs effets sont observables, audibles et même palpables. Il est possible d’évaluer leur succès ou leur échec, d’observer si nos coreligionnaires remplissent leurs devoirs et de les rappeler à l’ordre le cas échéant.
Je compte parmi mes amis des militants issus de tous les horizons politiques juifs, et ce qui m’a particulièrement frappé après le 7 octobre (et parfois avant), c’est l’intensité de leur engagement dans des actions politiques très visibles, ainsi que la virulence des reproches adressés à ceux, parmi les Juifs, qui n’y participent pas. Qu’il s’agisse de veillées pour les otages ou de la présence d’un « bloc juif » lors des manifestations pro-palestiniennes, la régularité de ces actions (hebdomadaires, voire plus fréquentes) semble être une composante essentielle de leur démarche. Je ne prétends pas que ce type d’activisme soit nécessairement inefficace ou qu’il s’agisse simplement d’un rituel dépourvu de sens. Ce qui me frappe, c’est plutôt l’engagement acharné dans ce véritable « travail de fourmi ». Un travail de longue haleine, aussi exigeant et implacable que le terme le suggère. C’est uniquement à travers cet effort constant que les Juifs doivent remplir leurs obligations et concrétiser les changements qu’ils souhaitent voir dans le monde.
Les Juifs prennent leur place dans la constellation incroyablement complexe d’organisations cherchant à changer le monde en leur faveur.
Le poids de l’obligation politique juive nous ramène à nos ancêtres, dont la vie était liée au cycle implacable des récoltes et des semailles ; ils cherchaient, par la bonne exécution du rituel, à exercer une sorte d’influence sur ce cycle. Le judaïsme, tel qu’il existait alors, imposait une logique brutale de récompense et de punition à cette existence vulnérable : par le biais des rituels du Temple, les Juifs aspiraient ainsi à la réalisation matérielle d’une existence abondante.
Le monde moderne n’a pas inventé la logique de la fin justifiant les moyens, mais il a étendu ses possibilités. Ainsi, l’action politique juive peut être contrôlée, évaluée et ciblée, adaptée en vue d’un impact maximal. Divers appareils administratifs — l’AIPAC, l’ADL et bien d’autres encore — cherchent à atteindre des objectifs complexes, en rendant compte de leurs réalisations aux bailleurs de fonds et aux fondations. De petites initiatives locales éclosent avant de se muer rapidement en systèmes sophistiqués. Les Juifs prennent leur place dans la constellation incroyablement complexe d’organisations cherchant à changer le monde en leur faveur.
Si ces efforts organisationnels sont devenus essentiels aux projets juifs visant à changer le monde, la tâche ardue de les soutenir l’est tout autant. Qu’advient-il alors des autres dimensions de la vie juive ?
Les sociologues et les philosophes des XIXe et XXe siècles ont cherché à mettre en évidence les conséquences de la bureaucratisation et de l’extension de la logique basée sur le rapport entre moyens et fins à des sphères de plus en plus larges de l’existence humaine. Et certains d’entre eux étaient juifs. Marx, Durkheim, Adorno, Habermas et d’autres encore ont cherché, chacun à leur manière, à mettre en lumière comment la modernité devient dominée par des systèmes impersonnels dont le besoin constant d’entretien nous piège dans leur gueule aliénante. La logique « instrumentale » transforme les personnes en choses à organiser, contrôler et (parfois) éliminer rationnellement. Dans ce contexte, l’homme s’efforce — ou devrait s’efforcer — de préserver des espaces où peut s’épanouir ce que Habermas nomme le « monde vécu ». Ces sphères permettent aux individus de tisser des liens et de communiquer sans instrumentalisation, offrant un refuge où chacun peut exister en tant que personne plutôt que comme simple objet. Buber et Levinas, chacun à leur façon, soutiendraient cette volonté de sauvegarder d’authentiques relations humaines au sein d’un univers dominé par les systèmes et les structures.
Il y a, bien sûr, un autre aspect à ce processus et à la tradition intellectuelle dont il est l’objet. L’organisation peut aussi être significative en plus d’être nécessaire. Mais les Juifs feraient bien de prendre au sérieux les conséquences pour leur peuple de l’instrumentalisation de l’action politique. Lorsque la transformation du monde devient l’objectif primordial, voire unique, de la vie juive, un risque émerge : l’identité et les pratiques juives risquent de se réduire à de simples instruments. Dans cette perspective, être juif et agir en tant que tel ne serait plus qu’un moyen d’atteindre une fin, dont la seule raison d’être se réduirait à l’accomplissement d’objectifs prédéfinis.
Lorsque la transformation du monde devient l’objectif primordial, voire unique, de la vie juive, un risque émerge : l’identité et les pratiques juives risquent de se réduire à de simples instruments.
Il existe également un danger encore plus grand : que l’accomplissement de l’obligation des Juifs de changer le monde devienne une justification de l’existence juive. Nous pourrions en effet développer ainsi une apologétique de notre existence continue dans le monde basée sur notre capacité à le changer. Cela reviendrait à approuver tacitement la logique même qui nous a fait tant de mal ; la logique qui traite certaines catégories de personnes comme excédentaires, comme superflues.
Mais en général, tout cela ne sert à rien. Les fins ne sont jamais complètement atteintes tout comme l’échec permanent demeure lui aussi peu probable. L’impératif instrumental enferme les Juifs, comme les autres, dans sa logique de report sans fin. Et ce phénomène n’est pas réservé à une élite. Prenons le cas des militants juifs pro ou anti-Israël en ligne. Comment l’objectif de « victoire » sur Israël ou sur ses détracteurs pourrait-il être atteint sur des plateformes où chacun peut s’exprimer ? Trop souvent, cette quête virtuelle risque de transformer les intéressés en individus frustrés et désabusés, prisonniers d’un objectif inatteignable.
Les ambitions traditionnelles et eschatologiques se révèlent aussi complexes à réaliser que les objectifs liés au conflit israélo-palestinien. La venue du Messie est, par définition, difficilement imaginable si ce n’est que sa transcendance rend probablement l’échec de sa réalisation plus facile à accepter. Les voies divines sont si énigmatiques qu’évaluer le succès ou l’échec dans l’accomplissement des desseins célestes relève presque de l’impossible. À l’inverse, les ambitions politiques, façonnées par l’homme, nous laissent croire à leur possible réalisation.
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Nous naviguons dans une mer de contradictions. L’effervescence politique juive, dans toute sa complexité, révèle paradoxalement la fragilité juive tout en affirmant son dynamisme. Le défi ne réside pas uniquement dans les conséquences d’éventuelles défaites politiques, mais aussi dans le fait que même les « victoires » peuvent parfois aussi affaiblir la résilience juive. Foer a peut-être raison de considérer l’ère du libéralisme américain d’après-guerre à la fois comme le fruit des efforts juifs et comme une période faste pour tous. Cependant, si le libéralisme représente le paradis pour les Juifs, s’y être accoutumé était sans doute une erreur. Car toute chose est éphémère.
Si les Juifs ont besoin d’un certain type de société pour s’épanouir, que se passera-t-il lorsque le monde s’organisera différemment ? Le libéralisme était voué à disparaître. Les États-nations n’existeront pas éternellement. La justice sociale pourrait devenir une lubie passagère. Ou peut-être que les inégalités pitoyables du capitalisme disparaîtront. Et ensuite ?
Même les mouvements politiques juifs traditionnels affichant leur indifférence vis-à-vis de l’opinion non juive ne peuvent résoudre ce paradoxe. Menachem Begin a beau avoir fait preuve d’une obstination maladroite envers les non-juifs, il a malgré lui compté des Gentils parmi ses admirateurs dans le monde entier ; il a certainement offert un modèle aux États décolonisés cherchant à résister aux tentations des superpuissances. L’apparente insularité de la politique haredie ne l’empêche pas non plus d’être exploitée par les politiciens. Il suffit de voir la relation entre le mouvement Chabad et Poutine, sans parler de l’utilité des partis haredis dans les coalitions gouvernementales israéliennes. Et lorsque les Juifs sont utiles et/ou respectés, ils ont du mal à résister à la tentation de devenir tributaires de leur instrumentalisation.
Nous ne pouvons ni nous retirer complètement du monde ni prétendre en avoir un contrôle absolu. Que faire, alors ?
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Il existe dans la tradition juive un autre courant qui résiste à la logique de l’instrumentalisation. Un courant qui ne vante pas la capacité à créer le changement dans la condition humaine, mais dans la gloire absolue de l’ineffable. C’est le judaïsme qui considère l’étude de la Torah lishma — pour elle-même — comme particulièrement louable ; le judaïsme qui étudie les règles du sacrifice au Temple avec une ferveur particulière, même aux moments où la possibilité de sa résurrection semble la plus invraisemblable. C’est le judaïsme dont les traditions ésotériques sont d’un niveau d’abstraction si élevé qu’elles semblent à peine ancrées dans le monde dans lequel nous vivons. Dans ces traditions, la halacha constitue le socle incontesté sur lequel s’appuie l’élévation spirituelle. Elle ouvre la voie vers les plus hautes sphères d’une quête divine dont l’essence reste à jamais insaisissable.
C’est un judaïsme qui se délecte de l’obscurité de ses « fins » ; un judaïsme qu’il est presque impossible d’instrumentaliser.
Ce courant recèle aussi son lot de paradoxes et de contradictions. Le rejet des objectifs terrestres peut s’avérer dérangeant et perturbant. Prenons le cas de Yeshayahu Leibowitz, théologien du XXe siècle dont la conception de la prière et des mitzvot était marquée par un rejet total de la récompense divine et de la clarté des objectifs. Sa théologie était si absolue que la prière spontanée était considérée comme une forme d’adoration inférieure ; seule une soumission totale au plan insondable du divin représentait, selon lui, une véritable obéissance.
Pourtant, l’héritage de Leibowitz dans l’imaginaire populaire doit autant, sinon plus, à ses interventions politiques. Son antisionisme idiosyncrasique l’a en effet conduit à mettre en garde les soldats déployés dans les territoires occupés contre le risque de devenir des « judéo-nazis ». Peut-être est-il plus facile de comprendre un Juif qui intervient activement dans le monde qu’un Juif qui plaide pour le rejet de l’instrumentalisation.
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Je ne sais pas si Yeshayahu Leibowitz aurait été heureux que les Juifs deviennent un énième groupe ethnoreligieux. Pour moi, cependant, cette perspective devient de plus en plus séduisante en cette période où le judaïsme revêt une importance capitale.
N’être qu’une variante parmi d’autres des façons dont les humains construisent leur identité collective…
Être banal et ordinaire…
N’avoir d’autre but que l’existence elle-même…
Aucune apologétique, aucune valeur sociale, aucun objectif…
N’est-ce pas là une affirmation catégorique de la légitimité de l’existence juive ? Ne serait-ce pas un fondement plus solide pour l’identité juive que cette quête perpétuelle de justification par la poursuite d’objectifs utilitaires ?
Aucun être humain né dans ce monde ne devrait passer sa vie à prouver qu’il mérite d’être né. Les êtres humains ne peuvent et ne doivent pas justifier leur existence. Et que sont les peuples, sinon des groupes d’êtres humains ?
Ce que je remets en question, ce n’est pas l’activisme juif ou la lutte politique, mais la question de savoir si les Juifs doivent s’engager au-delà du monde juif en tant que communauté juive organisée.
Bien sûr, ce n’est pas à nous seuls de décider si nous pouvons embrasser cette existence juive sans but. Le monde nous laissera-t-il jamais être ennuyeux et inutiles ? Pour l’instant, ni les antisémites ni les philosémites ne semblent disposés à le faire. Mais peut-on vraiment affirmer que nos efforts acharnés pour démontrer notre valeur à l’opinion publique portent réellement leurs fruits ? Paradoxalement, embrasser une existence sans finalité particulière pourrait s’avérer être une stratégie inattendue et subversive pour contrer l’antisémitisme (au prix d’un renoncement à l’amour philosémite). Après tout, nous ne sommes ni plus ni moins superflus que n’importe quel autre peuple.
L’existence pour elle-même ne serait-elle pas une forme de victoire sur l’antisémitisme ? L’idée d’une retraite sereine dans l’anonymat est certes séduisante. « Les Juifs sont fatigués » est une expression courante sur Internet. À juste titre. Pourtant, cette affirmation s’accompagne généralement d’un retour stoïque au combat, plutôt que d’une réflexion sur la possibilité de se retirer du champ de bataille.
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Ces idées peuvent paraître farfelues, mais elles ne le sont pas. Au-delà de notre dépendance à l’instrumentalisation de l’action sociale et politique publique, de nombreux Juifs, voire la majorité, évoluent parfois dans un espace dénué de finalité. Cette absence de but revêt occasionnellement un caractère subversif à certains égards.
Je vis dans un pays où la religion organisée semble être en chute libre tandis que la croyance spirituelle semble résister. Les sociologues décrivent ce phénomène par l’expression « croire sans appartenir ». Heureusement, les Juifs semblent faire le contraire comme le montrent les chiffres de 2024 de l’Institute for Jewish Policy Research :
« Si seulement un tiers des Juifs ont foi en Dieu, tel que décrit dans la Bible, où en est le judaïsme ? Est-il inévitablement sur la même pente descendante que le christianisme ? Pas nécessairement. Un indicateur clé du déclin de la religion organisée en Grande-Bretagne est le « bums-on-pews »[6], lequel repose sur l’hypothèse que seules les personnes croyant en Dieu sont susceptibles d’aller à l’église. Bien que cette logique soit généralement valable, elle ne semble pas s’appliquer à la communauté juive. Dans le cas des Juifs, selon les données de l’enquête, plus de la moitié (56 %) des membres cotisants d’une synagogue ne croient pas en Dieu, et près de deux athées juifs sur cinq appartiennent à une synagogue. De plus, qu’ils appartiennent ou non à une synagogue, deux Juifs sur trois (65 %) qui ne croient pas en Dieu fréquentent la synagogue au moins lors des grandes fêtes de Rosh Hashana et de Yom Kippour. Il semble que les Juifs se sentent plutôt à l’aise dans leur appartenance sans pour autant avoir la foi ».
L’« appartenance sans croyance » s’explique souvent, bien entendu, par le rôle social des synagogues et les bienfaits de la vie communautaire. Pourtant, ces avantages ne sont pas l’apanage des seules synagogues, que nous continuons néanmoins à fréquenter. Cette situation met en lumière le décalage fréquent entre la fonction sociale réelle de ces lieux et leur vocation officielle.
Parfois, lorsque je me rends à ma synagogue à Londres, je suis frappé par l’image qu’elle peut donner aux yeux d’un étranger. Il y a toujours une personne chargée de la sécurité pour m’accueillir, le portail est solide et inviolable, les vitres du bâtiment sont renforcées. La liturgie aussi est imprégnée du souvenir des morts, de la sécurité d’Israël et les rabbins évoquent les dernières angoisses de notre peuple du haut de la bimah[7]. Nous semblons être un peuple effrayé et menacé, et parfois nous le sommes certainement. Mais nous sommes aussi autre chose. Les offices de ma synagogue ne sont pas seulement une source de réconfort pour un peuple menacé, ils sont également fréquentés par des macher[8] qui s’affairent à rendre service, des membres de la congrégation qui se penchent pour voir qui d’autre est là, des jeunes qui assistent de mauvaise grâce à l’office dans le cadre de leur préparation à la Bar/Bat Mitzvah… toute la gamme des différentes motivations juives. Et dehors, le vigile est là parce que c’est cool d’avoir l’air d’un dur dans un gilet pare-balles, parce que s’occuper de la sécurité permet de ne pas assister aux offices, ou parce que la formation de vigile offre des occasions amusantes de rencontrer d’autres Juifs.
Nous embrassons notre judéité pour elle-même. Le moyen est aussi important que la fin.
Ne ressentons-nous pas un certain plaisir subversif à partager ce secret qui n’appartient qu’à nous ?
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Si l’activité juive dénuée de but possède une valeur imprévue que nous devrions chérir, qu’advient-il alors de la politique ? Après tout, le monde a besoin de changer. Nous devons défendre notre cause.
Et le monde juif a également besoin de changer de l’intérieur. Aucun Juif ne devrait être entièrement satisfait de ce que nous sommes aujourd’hui. Chaque communauté humaine doit veiller à sa gouvernance. L’indolence béate qui conduit, par exemple, à tolérer les abus sexuels ou les malversations financières impose une vigilance de tous les instants. Et ce sont là des questions politiques, que nous les considérions comme telles ou non.
Ce que je remets en question, ce n’est pas l’activisme juif ou la lutte politique, mais la question de savoir si les Juifs doivent s’engager au-delà du monde juif en tant que communauté juive organisée. Tous les groupes humains n’ont pas besoin de se sentir obligés de dépasser leurs propres frontières. En fait, il existe des catégories entières de sociétés humaines dont personne ne penserait qu’elles devraient être à l’avant-garde de l’engagement militant. Les amateurs de trains miniatures ne sont pas à l’avant-garde du militantisme pro-palestinien ou pro-israélien et personne ne s’attend d’ailleurs à ce qu’ils le soient. On peut supposer tout au plus que certains d’entre eux fréquentent des salons spécialisés, ce qui est tout à fait normal et attendu.
Les Juifs devraient au moins réfléchir à la façon dont nous pourrions nous placer dans une catégorie sociale différente. Pourquoi ne pas nous considérer comme un hobby, un passe-temps, un ensemble d’activités délicieusement arbitraires ?
Que cela soit en quelque sorte impensable en dit long sur la hiérarchie implicite des catégories sociales dans le monde occidental moderne. Nous négligeons certaines formes d’interactions humaines, tandis que nous en privilégions d’autres de manière excessive. Pourtant, sous l’angle de leur centralité dans de nombreuses vies et de la joie et du réconfort qu’elles procurent, il n’est pas évident que les « activités de loisirs » soient moins « importantes » que les appartenances ethnoreligieuses et autres catégorisations similaires.
Malgré nos apports à la civilisation, il est temps d’envisager notre rôle comme celui d’un simple groupe ethnoreligieux parmi d’autres.
À certains égards, ce qui semble « reléguer » la vie juive au rang de passe-temps est en fait une élévation. Choisir la vie juive, ou y rester attaché, sans autre but que de passer du temps entre la naissance et la mort, revêt un caractère absolu qui peut éclipser l’instrumentalisation. Ce type de judéité ne peut manquer d’atteindre ses objectifs ? Ce type de judéité échappe à la routine et brise le cycle.
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Une telle rupture du cycle est difficile à envisager pour le moment. Le peuple juif redouble d’efforts pour « s’obliger » à intervenir dans le monde face à un avenir qui pourrait bien se moquer de nos prétentions. Nous avons pris l’habitude de supposer que nous pouvons, en tant que Juifs, intervenir dans le monde. Ne présumons pas que ce sera toujours le cas, non pas parce que la résurgence de l’antisémitisme nous privera une fois de plus de notre capacité d’agir (bien que cela puisse certainement arriver), mais parce que cette capacité est menacée comme jamais auparavant. Le changement climatique représente un défi existentiel à l’idée que nous pouvons contrôler le destin de l’humanité. Il existe des perspectives plausibles dans lesquelles des crises en cascade feront de la simple survie un défi impressionnant. Face à ces situations, quel sens donner au tikkun olam et aux autres préceptes conférant des obligations aux Juifs ?
L’avenir nous obligera peut-être tous à devenir particularistes, qu’on le veuille ou non. Nos communautés juives risquent de devoir se recentrer sur elles-mêmes et assurer leur propre préservation, dans la mesure du possible.
Mais peut-être que tout ira bien et que le monde restera un endroit où les Juifs pourront aspirer à jouer un rôle essentiel. L’obligation politique juive s’est développée dans une modernité où le monde était brisé, mais pas trop ; où les vases sacrés avaient été brisés en fragments suffisamment grands pour être récupérés. C’était le monde dans lequel Heschel sentait ses jambes prier ; un monde où des pas pouvaient provoquer un séisme. Peut-être le peuvent-ils encore. Mais parier tout l’avenir du peuple juif sur cette possibilité n’aurait pas de sens.
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Dans ma jeunesse, je manifestais contre l’autosatisfaction et l’apathie politique de la communauté juive. Aujourd’hui, une autre forme de complaisance prévaut : nous surévaluons notre importance pour le monde et l’ampleur de notre influence. Malgré nos apports à la civilisation, il est temps d’envisager notre rôle comme celui d’un simple groupe ethnoreligieux parmi d’autres. Paradoxalement, cette approche pourrait enseigner au monde une leçon cruciale : l’existence humaine est une fin en soi, irréductible à la froide logique utilitariste.
Keith Kahn-Harris
Le dernier livre de Keith Kahn-Harris, qui explore les thèmes de cet essai, s’intitule Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are.
Keith Kahn-Harris est chercheur à l’Institute for Jewish Policy Research et maître de conférences au Leo Baeck College. Des informations détaillées sur ses livres et articles sont disponibles à l’adresse suivante : kahn-harris.org
Notes
1 | Obligation in Exile: The Jewish Diaspora, Israel and Critique, Edinburgh University Press, 2015. |
2 | https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/eu-strategy-combating-antisemitism-and-fostering-jewish-life/related-links-soc-704 |
3 | Alfred A. Knopf (Random House), 2005. |
4 | Le terme hasbara, qui signifie littéralement « explication » en hébreu, désigne les efforts de communication et de relations publiques déployés par l’État d’Israël pour influencer l’opinion publique internationale et défendre ses politiques. |
5 | Tikkun Olam (hébreu : תיקון עולם, littéralement « réparer le monde ») est un concept central du judaïsme qui désigne des actions visant à améliorer ou réparer le monde. |
6 | Littéralement, « fesses sur le banc ». Expression utilisée pour désigner le nombre de personnes assises dans une église et, au-delà, l’affluence dans les lieux de prière. Cette formule imagée sert à évaluer la vitalité d’une communauté religieuse à travers sa présence physique aux offices. |
7 | Élément central de la synagogue, servant de plateforme surélevée pour la lecture de la Torah et la conduite de certains offices religieux ainsi que de chaire d’où le rabbin prononce ses sermons. |
8 | En yiddish, un macher est généralement défini comme quelqu’un qui arrange les choses, qui a des connexions et de l’influence, une sorte de facilitateur. |