Qui est invité à partager le repas de l’humanité libérée, et qu’y trouve-t-on à se mettre sous la dent ? À travers une comparaison entre le seder et le banquet gréco-romain, Ivan Segré met en évidence une conception proprement juive de la libération, et de ce qu’elle implique. Car ce qui se partage lors de ce « festin de paroles » juif, c’est le récit d’une libération qui eut lieu mais qui, pour être effective, doit se rejouer pour chaque être humain : « où en es-tu, singulièrement, avec le récit de ta propre sortie d’Égypte ? ».

Chaque année, les juifs célèbrent la sortie d’Égypte le soir de la Pâque, lors du seder, un repas arrangé, pensé, conceptualisé, durant quel il est principalement question de raconter (la sortie d’Égypte), de boire (quatre coupes de vin) et de manger (les herbes amères, le pain azyme et ce qui tient lieu d’agneau pascal).
L’apparente similarité entre le repas du seder et un banquet de type gréco-romain a été maintes fois soulignée. En effet, il est enjoint aux juifs de « s’accouder » lors du seder ; or, le fait de « s’accouder » pour manger et boire est une pratique dont la charge symbolique est patente, évoquant le statut du maître, par différence avec celui de l’esclave. À l’occasion d’un banquet, les maîtres sont allongés sur des lits, ou banquettes, « accoudés » ; ils conversent, boivent et mangent, tandis que les esclaves les servent, silencieux et debout. C’est pourquoi, dans l’antiquité, le fait de prendre place à un banquet est un marqueur social, une « distinction » par excellence.
Est-ce à dire que le soir de la Pâque, les juifs célèbrent le fait d’être devenus, à leur tour, des maîtres ? Ou est-ce plutôt que le repas en question, celui du seder, est précisément conçu pour mettre en scène l’antagonisme radical entre deux formes de banquet, celui des maîtres d’une part, celui des juifs d’autre part ? Mais à distinguer ainsi les « maîtres » et les « juifs », exprime-t-on autre chose que la particularité ethnique d’une catégorie de maîtres ? Ou s’agit-il donc, précisément, d’opposer deux conceptions antinomiques de la liberté ?
Que le nom « Israël », ou « juif », soit irréductible à l’ethnie, voilà ce que la Haggada, le texte traditionnel qui est lu le soir du seder, souligne de façon remarquable en recourant au nom « adam » en un passage crucial :
בכול דור ודור חיב אדם להרות את עצמו כאלו הוא יצא ממצרים
« De génération en génération, adam [l’humain] est obligé de se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte ». Plutôt que le nom « juif » ou « Israël », c’est donc le nom « adam » qui est ici mobilisé. Autrement dit, se considérer, s’affirmer être sorti d’Égypte, c’est l’affaire de l’humanité en nous. Et dans le contexte historique de l’élaboration du seder, celui de l’antiquité babylonienne pour une part, gréco-romaine pour une autre, c’est une affaire située et, en outre, redoutablement polémique. Pour en prendre la mesure, il importe de planter le décor, celui du banquet antique. Dans un article consacré à l’iconographie de vases athéniens datant du VIe et du Ve siècle avant J.-C., un historien écrit, au sujet du banquet :
« Les usages grecs de la boisson impliquent que l’on boive collectivement, après avoir mélangé dans des cratères le vin et l’eau, car il est dangereux pour les hommes de boire du vin pur. Bien tempéré, bu à parts égales entre convives, le vin a des valeurs positives qui semblent réservées aux hommes. En effet, le moment du symposium, du boire ensemble, qui suit généralement le repas, est un moment de convivialité masculine, où l’on se réunit entre amis, entre égaux, pour parler ensemble et chanter, allongés sur des lits. Dans ce cadre, il n’y a pas de place pour les femmes ; les épouses n’assistent pas au symposium, ni les filles. Les seules femmes présentes le sont à titre d’accessoire, si l’on peut dire : compagnes de plaisir, servantes ou musiciennes, elles ne profitent pas du symposium mais aident à son bon fonctionnement. Divers textes nous indiquent qu’elles sont louées pour l’occasion, et ont le statut de compagnes, hétaraï. »[1]
La femme, dans la cité grecque, est assignée à deux rôles distincts, inconciliables : soit elle remplit une fonction reproductive, soit elle est un objet de jouissance ; en ce sens, elle est « maman » ou « putain ». La courtisane, « hétaraï », louée pour l’occasion, assiste donc au banquet, mais à titre d’accessoire. L’épouse, elle, en est exclue ; sa fonction sociale est exclusivement utilitaire. Nicole Loraux l’exprime en ces termes :
« Car l’existence des femmes n’est pas problématique dans la seule Athènes ; elle l’est en chacun de ces ‘‘clubs d’hommes’’ que sont les cités grecques, où il n’est de citoyen que mâle, où la femme n’a d’autre statut que celui, à la fois essentiel et strictement délimité, de reproductrice. »[2]
Cette assignation du féminin à l’alternative « maman » ou « putain », le Midrach Genèse Rabbah, rédigé ou compilé entre le IIIe et le Ve siècle de l’ère commune, la rapporte à la société des « hommes de la génération du déluge », soit la société qu’il s’est agi d’anéantir sous les eaux :
« Ainsi se comportaient les hommes de la génération du déluge : chacun prenait deux femmes, l’une vouée à la procréation et l’autre au plaisir ; celle vouée à la procréation restait accroupie, comme veuve du vivant de son mari, et celle vouée au plaisir buvait une coupe stérilisante pour n’avoir pas d’enfant, et restait auprès du mari, parée comme une prostituée. »[3]
L’antagonisme civilisationnel et idéologique est donc clair et distinct et, le soir de la Pâque juive, il se formule de la manière la plus simple qui soit, à savoir que l’épouse participe, au même titre que le mari, au banquet : la femme, comme l’homme, raconte la sortie d’Égypte, boit les quatre coupes de vin et mange les herbes amères, le pain azyme et ce qui tient lieu d’agneau pascal. Et s’il est une pratique fort singulière, à l’époque, c’est l’obligation – la mitsva – qui incombe à la femme de boire les quatre coupes de vin, sachant que c’est, par excellence, une affaire d’hommes dans l’antiquité, ainsi que l’a souligné l’historien cité plus haut : « le vin a des valeurs positives qui semblent réservées aux hommes ». Lors du seder, la femme est pourtant « obligée » au même titre que l’homme, la raison étant, enseigne le Talmud, que les femmes ont participé, comme les hommes, au « miracle » de la sortie d’Égypte (traité Pessa’him 108b). La parole, le vin, les herbes amères et le pain azyme (la matsa) sont des obligations qui incombent à l’homme comme à la femme le soir du seder, parce qu’ils partagent une même humanité, un même « miracle ».
Le seder de la Pâque est donc un banquet mixte, non au sens où les maîtres disposent de courtisanes pour parfaire leurs soirées avinées, mais au sens où la liberté n’est pas une affaire de mâles, c’est l’affaire de l’humanité en nous (« adam »), or cette humanité est duelle, masculine et féminine, ainsi que l’énonce la première occurrence du nom « adam » dans la Bible (Gen. 1, 26)[4]. L’égale humanité du masculin et du féminin, tel est donc le premier versant, le soir du seder, de la polémique juive contre l’antiquité gréco-romaine.
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Le second versant est relatif à l’esclavage. Partons de la remarque d’une historienne de l’antiquité au sujet du peuple juif : « Aucun [autre] peuple antique ne s’est donné d’esclaves pour ancêtres »[5]. C’est ce que le banquet du seder exprime par les herbes amères et le pain azyme (dit le « pain du pauvre ») : il ne s’agit pas de célébrer l’appartenance à la classe des maîtres, mais de relater un processus d’affranchissement. Car l’obligation du récit, la Haggadah, c’est l’injonction de retracer l’histoire d’une libération. Et de nouveau, pour prendre la mesure de la subversion polémique qui se trame à la table du seder, il convient de consulter l’historien de l’antiquité.
La cité et ses esclaves de Paulin Ismard s’ouvre précisément sur un banquet situé à la fin du IIe siècle de notre ère, où sont réunis des maîtres, en l’occurrence de fins lettrés : « Allongés sur des lits de banquet, ces érudits passent d’un sujet à l’autre au cours de ce qui s’apparente à un véritable ‘‘festin de discours’’ (logodeipnon) ». Ils échangent sur divers sujets, la nourriture, les bibelots, la langue grecque ; et aussi sur les esclaves, une question ayant été soulevée : « Les hommes d’autrefois possédaient-ils, comme certains de nos contemporains, une multitude d’esclaves ? ». Après avoir disserté sur le lexique de l’esclavage, ils abordent la chose en soi. Et Ismard de commenter :
« […] nos brillants savants ne sont pas seulement des philologues, prompts à expliquer l’usage de tel ou tel mot. Ce sont aussi des propriétaires d’esclaves, membres de l’élite sociale de l’Empire gréco-romain, et au cours de la discussion s’échangent conseils et recommandations de toutes sortes, utiles à la bonne gestion de ses esclaves – cette chose « si difficile à posséder » comme le dit l’un d’entre eux. La peur des révoltes serviles habite leur propos, et ils ne manquent pas de rappeler plusieurs épisodes fameux au cours desquels des esclaves prirent les armes et se soulevèrent, en Sicile, sur l’île de Chios ou à Athènes. »[6]
Lors du banquet de la Pâque juive également, il est question de l’esclavage. Mais la différence est qu’il y est donc question d’un affranchissement de l’esclavage, motif qui, le soir du seder, est absolument capital. C’est ce qu’il faut raconter. La Haggadah y insiste :
וכל המרבה לספר ביציאת מצרים הרי זה משבח
« Quiconque parle et reparle [ha marbe lessaper] de la sortie d’Égypte est digne de louange ». L’hébreu « ha marbe lessaper » désigne une sorte de « festin de paroles ». Mais dans le déroulement du seder, ce « festin de paroles » n’accompagne pas le repas, il le précède, si bien qu’il commence par en tenir lieu. Ainsi la table dressée, tout le temps du récit de la sortie d’Égypte, est réduite à sa composition élémentaire : la coupe de vin, le pain du pauvre, les herbes amères. En regard, le banquet des maîtres est d’une autre facture : ils mangent toute sorte de mets délicats, échangent sur tout et rien, dissertent en érudits et, incidemment, abordent la question de la gestion des esclaves, comme passant du coq à l’âne. Ismard observe :
« De fait, si le livre VI des Deipnopsophistes d’Athénée, offre le passage le plus explicite de toute la littérature grecque au cours duquel des penseurs antiques en viennent à discuter de l’institution esclavagiste, celle-ci se donne à voir dans l’ensemble du récit comme une parenthèse insignifiante. »[7]
En regard, le repas du seder est donc une sorte de banquet d’esclaves affranchis, hommes et femmes sortis d’Égypte réunis ce soir-là pour raconter la liberté acquise. Mais cette liberté qu’ils racontent n’est donc pas, ne peut pas être celle des maîtres. En ce sens, l’enjeu du seder de la Pâque juive est précisément de raconter une autre liberté, antagonique à celle des gestionnaires de l’esclavage, qu’ils soient égyptiens, babyloniens, grecs ou romains. Autrement dit, ce que les hommes et les femmes d’Israël, le soir du seder, ont l’injonction de mettre en paroles, c’est une liberté normée par la sortie d’Égypte.
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Le banquet de la sortie d’Égypte est donc à la fois le repas de la sortie de l’esclavage et celui de l’antagonisme assumé, pensé, réfléchi, avec l’idéologie des maîtres, avec leur conception de la liberté, avec leur usage de la parole. Pour s’en assurer, il n’est que de revenir au texte biblique et d’observer que l’acteur principal de la sortie d’Égypte, Moïse, est d’abord sorti de la maison des maîtres avant que de sortir d’Égypte (pays de servitude identifié dans la Bible à une « maison d’esclaves »). Trouvé dans l’eau du fleuve, recueilli nourrisson par la fille de Pharaon, Moïse devient pour elle comme un « fils » (Ex. 2, 10) ; puis il « grandit » et c’est alors qu’il « sort » de la maison de Pharaon pour rejoindre ses « frères », les esclaves hébreux (ibid., v. 11). Aussitôt, voyant un maître égyptien frapper un esclave hébreu, il intervient, sauve l’esclave de la main du maître, « frappa l’Égyptien et l’ensevelit dans le sable » (ibid., v. 12). La chose s’ébruite, Pharaon en est instruit et Moïse doit fuir l’Égypte. Il prend le maquis.
La première sortie d’Égypte est donc celle de l’homme Moïse, « l’Égyptien » qui, sorti de la maison de Pharaon, s’est affranchi de l’idéologie des maîtres en prenant le parti des esclaves hébreux. Et de fait, aussitôt après, il prend le parti des femmes contre leurs virils oppresseurs (ibid. v. 15-19) :
« Pharaon fut instruit de ce fait et voulut faire mourir Moïse. Celui-ci s’enfuit de devant Pharaon et s’arrêta dans le pays de Madian, où il s’assit près d’un puits. Le prêtre de Madian avait sept filles. Elles vinrent puiser là et emplir les auges, pour abreuver les brebis de leur père. Les pâtres survinrent et les repoussèrent. Moïse se leva, prit leur défense et abreuva leur bétail. Elles retournèrent chez Réouël leur père, qui leur dit : « Pourquoi rentrez-vous sitôt aujourd’hui ? » Elles répondirent : « Un certain Égyptien [ich mitsri] nous a défendues contre les pâtres ; bien plus, il a même puisé pour nous et a fait boire le bétail. » » (Trad. Rabbinat).
Cet homme Moïse est décrit par les filles de Réouël comme un « certain Égyptien », en hébreu « ich mitsri », littéralement un « homme égyptien ». Or le même syntagme a servi plus haut (v. 11) à décrire le maître – un « homme égyptien », « ich mitsri » – qui frappait un esclave hébreu. Moïse, ayant grandi dans la maison de Pharaon, s’apparente extérieurement à un « homme égyptien », à un maître. Mais ses actes témoignent d’une autre réalité, intérieure, radicalement étrangère à la loi de l’ « homme égyptien » : il sauve l’esclave hébreu de la main du maître égyptien puis, d’un même pas, il sauve les « filles » de Réouël de la main des pâtres harceleurs, sorte de mâles dominants.
La scène opposant Moïse aux pâtres se déroule près d’un « puits », là où les « filles » se réunissent pour abreuver le bétail. Puiser l’eau de la fontaine est dans l’antiquité, comme dans les sociétés paysannes traditionnelles, à certains égards, une activité par excellence féminine. Décrivant d’autres vases athéniens du VIe et Ve siècle avant J.-C., le même historien, cité plus haut, écrit :
« La fontaine apparaît ainsi comme l’équivalent, pour les femmes, de ce que la place publique est pour les hommes. Un lieu public, mais – du moins en image – majoritairement féminin. Quelques représentations montrent d’autres rencontres où des hommes viennent les regarder : l’image intègre au tableau le regard masculin porté par le spectateur du vase. La fontaine peut même devenir, sur le plan mythique, un lieu de violence ou d’embuscade : ainsi Amymonè, surprise par Poséidon, ou le jeune prince troyen, Trollos, accompagnant sa sœur Polyxène à la fontaine et assailli par Achille. »[8]
Le motif des femmes réunies autour d’un point d’eau traverse l’histoire ; la modernité picturale en témoigne : « Trois femmes à la fontaine » de Picasso, « Femmes au puits » de Signac. La déclinaison de ce motif, dans la Bible, répond à une logique précise qui demanderait une étude en soi. Pour l’heure, remarquons simplement que la première sortie d’Égypte, celle de l’homme Moïse, se décline donc ainsi : sortir de la maison des maîtres, prendre le parti des esclaves hébreux contre les maîtres égyptiens puis, d’un même pas, prendre le parti des femmes de Madian contre les pâtres harceleurs ; vient enfin la parole du Tétragramme adressée à Moïse lors de l’épisode du buisson ardent (Ex. 3,4), au cœur du désert, en un lieu identifié bientôt au Sinaï. La structure du banquet juif de la Pâque épouse ainsi celle du récit de la singulière sortie d’Égypte de l’homme Moïse. Il le faut. Parce que si le Tétragramme s’adresse singulièrement à Moïse, lors de l’épisode du buisson ardent, pour l’enjoindre d’aller libérer les Hébreux, c’est en raison du chemin que Moïse a pris, de lui-même, auparavant. Le Tétragramme s’adresse à qui peut l’entendre.
On sait l’objection de Moïse à la divine parole qui, au buisson ardent, l’enjoint d’aller libérer les Hébreux : il est bègue, peu doué pour les discours ; il craint de ne parvenir à convaincre ni le peuple hébreu ni le Pharaon égyptien. Qu’importe. Ce qu’il s’agit de dire ne doit pas prendre la forme d’un beau discours, cela doit être senti.
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Après que les Hébreux sont sortis d’Égypte, Yitro, alias Réouël, père de Tsipora, l’épouse de Moïse, rejoint les Hébreux dans le désert, emmenant avec lui Tsipora et les deux fils de Moïse, Gersom et Eliézer (Ex. 18, 2-4). De là nous apprenons que l’épouse et les enfants de Moïse n’ont pas vécu la sortie d’Égypte. Le Midrach (Mekhilta), afin de résoudre une apparente contrariété entre les versets, explique que Moïse, sur le conseil de son frère Aaron, les a finalement placés à l’abri, à Madian, afin qu’ils n’expérimentent pas la dureté de la condition d’esclave. Ils ne rejoignent donc Moïse et les Hébreux qu’après, dans le désert, une fois que la sortie d’Égypte a déjà eu lieu.
Sachant que l’expérience de la sortie d’Égypte est l’événement fondateur d’Israël, comment expliquer que les intimes de Moïse, épouse et enfants, n’y aient pas pris part ? La réponse à cette question dépend de ce que nous avons mis en évidence ci-dessus, à savoir qu’il y a bien deux sorties d’Égypte, d’abord celle de l’homme Moïse, puis celle du peuple sous la conduite de l’homme Moïse. Et les intimes de Moïse expérimentent donc la sortie d’Égypte à travers l’homme Moïse, à la lumière, précisément, de son intimité.
Nous disons « l’homme Moïse », non au sens où l’entend Freud lors d’une enquête qui prétend identifier les origines pharaoniques du mythe hébreu, mais au sens de la Haggadah, le récit traditionnel qui accompagne le banquet du seder :
בכול דור ודור חיב אדם להרות את עצמו כאלו הוא יצא ממצרים
« De génération en génération, adam [l’humain] est obligé de se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte ». Le texte poursuit en appuyant cet enseignement sur un verset précis, celui d’Exode 13,8 :
וְהִגַּדְתָּ לְבִנְךָ, בַּיּוֹם הַהוּא לֵאמֹר: בַּעֲבוּר זֶה, עָשָׂה יְהוָה לִי, בְּצֵאתִי, מִמִּצְרָיִם
« Tu donneras alors cette explication à ton fils : ‘‘C’est dans cette vue que l’Éternel a agi en ma faveur, quand je sortis de l’Égypte’’ » (trad. Rabbinat).
Ce qui justifie l’enseignement de la Haggadah selon lequel tout adam doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Égypte, c’est donc le verset qui t’enjoint, singulièrement, de raconter à ton fils, à ton intime, ta propre sortie d’Égypte, ta singulière sortie d’Égypte. Le proche, l’intime, l’apprend de toi, précisément à la manière dont les intimes de Moïse apprennent de lui. C’est finalement la redoutable épreuve du soir du seder, soit la question : où en es-tu, singulièrement, avec le récit de ta propre sortie d’Égypte ? Car l’Égypte en question n’est ni un mythe, ni un pays, ni même un régime politique (celui des Pharaons), c’est davantage la matrice de toutes les aliénations civilisées, à commencer par celles qui structurent l’antique banquet gréco-romain.
Ivan Segré
Notes
1 | François Lissarague, « Femmes au figuré », in Histoire des femmes en Occident. I. L’Antiquité, sous la dir. de Pauline Schmitt Pantel, Plon 1991, Perrin, 2002, p. 286-287. |
2 | Nicole Loraux, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Seuil, 1996, p. 42. |
3 | Midrach Rabba. Genèse, tome I, trad. B. Maruani et A. Cohen-Arazi, Verdier, 1987, p. 261. |
4 | Au sujet du verset de Gen. 1, 26, je me permets de renvoyer à La souveraineté adamique. Une mystique révolutionnaire, Amsterdam, 2022. |
5 | Mireille Hadas-Lebel, « Des Hébreux au peuple juif », dans Le Monde des religions, hors-série, La grande histoire des monothéismes, 2018, p. 14. |
6 | La cité et ses esclaves. Institutions, fictions, expériences, Seuil, 2019, p. 9-10. |
7 | Ibid. |
8 | François Lissarague, « Femmes au figuré », in Histoire des femmes en Occident. I. L’Antiquité, op. cit., p. 268. |