L’Europe n’est décidément plus celle de l’après 1945. Les partis nationalistes xénophobes y sont redevenus des forces politiques puissantes qui partout battent en brèche les voix du progressisme, affaiblies et incapables de promouvoir les principes de justice sociale et de défense des droits démocratiques qui les avaient guidés au sortir de la guerre. Et pourtant c’est de cet élan qu’était née l’Europe dans laquelle nous vivons, celle qui s’est construite sur le rejet des tendances qui avaient conduit à la guerre et à la Shoah, celle qui a mené à bien la décolonisation et fait des droits des minorités l’une de ses pierres angulaires. Or, dans les conditions qui se dessinent maintenant, ce sont précisément les droits de toutes les minorités, sans exception, qui sont menacés. La période de repli et de régression qui s’annonce depuis un certain temps semble désormais se consolider et se traduire en politique institutionnelle, dont il est à craindre qu’elle défasse ce qui s’était si difficilement construit.
Certes, la jonction entre une droite républicaine et l’extrême droite – qui se singularise par une culture antisémite dont elle veut faire croire qu’elle s’est débarrassée – est encore empêchée à l’heure où l’on écrit ces lignes, mais les préventions s’estompent toujours davantage. De l’autre côté du spectre politique, lors des élections européennes, on a pu voir comment le populisme coloré d’antisémitisme de LFI s’était exacerbé, rendant l’union des gauches impossible. Pourtant, c’est seulement quelques heures après l’annonce ahurissante d’un Président de la République dont on ne sait plus ce dont il rêve pour la France, que l’appel à l’union de la gauche se fait entendre en faisant table rase de ce passé récent.
Disons-le clairement : si l’union des gauches est souhaitable, c’est à condition qu’elle soit expurgée de ses tendances antisémites, même quand elles se parent d’antisionisme. Sinon elle pourra certes être dite « unie » mais plus réellement « de gauche ». Si les élections législatives confirment la division de l’espace public national entre une alliance des droites autour du RN et une alliance des gauches autour de LFI, une nasse se sera refermée sur les Juifs de France et, avec eux, sur l’ensemble des citoyens pour qui la démocratie, l’état de droit et le progrès social, dans une Europe solidaire, constitue un idéal.
À K., nous considérons que la réponse à la crise de l’Europe passe par une reprise de la question juive, par sa réactualisation à partir de la question postcoloniale, mais aussi et réciproquement par la révision de cette dernière à la lumière du destin singulier des juifs. Nous estimons que l’Europe d’aujourd’hui ne peut sortir de l’impasse des nationalismes, contrepartie inéluctablement victorieuse des populismes de gauche, qu’à la condition de réinvestir ce nœud problématique. Des deux côtés de l’échiquier politique, les juifs ne figurent-ils pas en effet comme une entrave aux alliances avec les extrêmes ? Or, des deux côtés le désir d’union risque de passer par-dessus cet obstacle. C’est pourquoi nous sortons de ces élections européennes et entrons dans ces législatives avec la conviction que notre travail est plus essentiel que jamais, pour l’Europe et pour la voix des juifs européens.