L’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York, qui en fait le premier maire ouvertement antisioniste de la métropole, dépasse de loin les frontières de la politique municipale. Ce succès, porté par une jeunesse progressiste et une partie significative des Juifs américains, révèle la profondeur des fractures générationnelles et idéologiques au sein du judaïsme américain. Entre désaffection croissante envers Israël, montée de l’antisémitisme et recomposition du Parti démocrate, la victoire de Mamdani agit comme un révélateur brutal d’un monde juif américain en plein trouble identitaire.

Zohran Mamdani vient donc d’être élu Maire de New York. Inconnu il y a un an, ce socialiste doit sa victoire à un talent indiscutable, capable de mobiliser et de fédérer les énergies autour de lui, en particulier les plus jeunes. Il a axé sa campagne et son succès sur le coût de la vie, exorbitant à New York, mais aussi sur des thèmes comme les bavures policières ou le racisme. Son antisionisme assumé, souligné par ses adversaires pour l’affaiblir politiquement (sans succès) plus que mis en avant par lui, a aussi été un élément de sa campagne. La victoire d’un candidat ouvertement antisioniste dans la plus grande ville juive américaine est un symbole majeur pour les relations entre la plus grande diaspora et l’État d’Israël, et interroge sur l’avenir du sionisme libéral et démocratique en diaspora.
L’attachement des Juifs américains à Israël : un contraste entre générations
Selon des chiffres de 2021 du Pew Research Center, 60% des Juifs américains se disent émotionnellement attachés à Israël, mais ce chiffre est de 48% chez les 18-29 ans contre 67% chez les plus de 60 ans. Selon cette même étude, Israël est un élément important de leur judéité pour 82% des Juifs américains, mais là encore le décalage est très net selon les générations : le chiffre est ainsi de 71% pour les 18-29 ans mais de 89% pour les plus de 65 ans.
40% des Juifs américains estiment qu’Israël a commis un génocide à Gaza, et ce chiffre monte à 50% pour les 18-34 ans. On peut sans peine imaginer que, pour les jeunes Juifs américains non orthodoxes, ce chiffre avoisine 60%. Une large partie est donc très critique de la guerre en général, blâmant assez largement l’ampleur de la réaction israélienne. En d’autres termes, si la majorité des Juifs américains demeure sioniste et attachée à Israël, cet attachement est moins marqué chez les plus jeunes, et beaucoup de ces Juifs ont été ébranlés par la poursuite de la guerre à Gaza par Israël.
Le gouvernement israélien est partiellement à blâmer pour expliquer cette désaffection, bien avant la guerre de Gaza. Depuis des années, sous l’influence des ultra-orthodoxes israéliens, beaucoup de Juifs américains sont ouvertement méprisés, avec une judéité qui leur est même parfois déniée. Un exemple parmi d’autres est l’accès au mur des Lamentations rendu impossible aux Femmes du mur (« Women of the Wall »), un groupe de femmes juives souhaitant prier et porter le Talith. Il est d’ailleurs révélateur que les femmes rabbins favorables à Mamdani aient été mises en avant de manière répétée dans la campagne électorale de ce dernier, pour avoir été régulièrement méprisées par l’establishment rabbinique en Israël.
L’évolution d’Israël sur le plan politique et diplomatique, avec notamment le développement accéléré des implantations en Cisjordanie, l’a éloigné des Juifs américains favorables aux droits des Palestiniens et à une solution politique pour régler le conflit. Cet éloignement s’est aggravé avec la réforme judiciaire de 2023 qui voulait transformer profondément la nature démocratique d’Israël. Or le respect de la démocratie et de l’État de droit est un élément fondamental pour les Juifs américains et pour les Démocrates en général, et la dérive illibérale d’Israël a contribué à les en éloigner.
Certains jeunes Juifs américains, déjà en proie à un certain détachement envers Israël et rebutés par l’évolution illibérale du pays et sa gestion du conflit avec les Palestiniens, ont participé à ces manifestations sur les campus.
Enfin, les appels du pied de plus en plus marqués du ministre de la Diaspora et en charge de la lutte contre l’antisémitisme à l’extrême droite européenne, y compris la plus radicale comme l’AfD allemande ou l’anglais Tommy Robinson, ont profondément rebuté la partie la plus libérale des Juifs du monde entier, en particulier aux États-Unis.
La guerre de Gaza est évidemment le facteur incontournable qui a accéléré l’évolution du rapport à Israël, chez les Juifs américains et pour la population américaine plus largement.
Le tournant de la guerre de Gaza
Beaucoup de manifestations propalestiniennes ont eu lieu aux États-Unis depuis deux ans, en particulier sur les campus. Si certaines relevaient d’un antisionisme radical et même de l’antisémitisme pur et simple, d’autres s’expliquaient par le soutien diplomatique, politique et militaire apporté à Israël par les États-Unis, sous Biden puis sous Trump.
À bien des égards, la guerre menée par Israël contre le Hamas en réaction au 7 octobre a aussi été une guerre américaine, ce qui explique, pour une part au moins, qu’elle intéresse beaucoup plus les Américains que le Soudan ou les Ouïghours. L’antisémitisme et l’obsession d’incriminer les Juifs au travers d’Israël ont joué un rôle non négligeable, mais réduire l’émotion des Américains, notamment les plus jeunes, à ce facteur explicatif est réducteur. Le slogan « No Jews, no news » est donc exact, mais partiel…
Certains jeunes Juifs américains, déjà en proie à un certain détachement envers Israël et rebutés par l’évolution illibérale du pays et sa gestion du conflit avec les Palestiniens, ont participé à ces manifestations sur les campus. L’explication psychologique de la haine de soi a été souvent employée, mais elle est là aussi partielle et ne tient pas compte du rapport complexe de ces Juifs à leur double identité, juive et américaine. Pour eux, le « pas en notre nom » brandi dans les manifestations propalestiniennes exprimait un trouble en tant que Juifs ET en tant qu’Américains.
C’est dans ce contexte particulier que Mamdani a surgi sur la scène politique locale et nationale, et placé les Juifs américains devant des choix difficiles.
Les questions que Mamdani pose aux Juifs new-yorkais et américains
Les Juifs américains vivent un moment particulièrement périlleux : leur sécurité physique est menacée avec la hausse des actes antisémites, leur soutien à un Israël juif et démocratique est compliqué par l’évolution du pays, et leur confiance dans la force et la résilience des institutions américaines est fortement ébranlée sous les coups de boutoir de Trump.
Les statistiques de l’antisémitisme sont implacables aux États-Unis, en particulier à New York. Ainsi, selon l’ADL, l’antisémitisme y a continué à augmenter en 2025, avec la part attribuable à l’antisionisme en forte hausse dans le phénomène.
Depuis son entrée en campagne, surtout depuis sa victoire à la primaire démocrate du mois de juin, Mamdani a multiplié les rencontres avec toutes les dénominations des Juifs de New York, des plus libéraux aux ultra-orthodoxes, il s’est entouré de conseillers juifs, et s’est engagé à lutter massivement contre l’antisémitisme. Il a aussi confié son souhait que l’histoire du sionisme soit intégrée au cursus scolaire, reconnaissant l’importance du sionisme dans l’expérience juive contemporaine.
Il est donc abusif de comparer Mamdani à La France Insoumise, et l’exploitation opportuniste par ce parti de la victoire de Mamdani ne doit pas laisser penser le contraire. S’il est difficile de taxer Mamdani d’antisémitisme, il n’en est pas moins exempt de reproches sur ce sujet. Il n’a pas compris la gravité du moment et l’inquiétude des Juifs américains, ou il n’a pas voulu le comprendre, sans doute pour des raisons électoralistes. Mamdani n’a pas su rassurer les Juifs alors que le lien entre antisionisme et antisémitisme est indiscutable. La rhétorique antisioniste extrême est indissociable des actes antisémites. Traiter ainsi quelqu’un de « sale sioniste » ou empêcher les sionistes de participer à une réunion ou une activité ne relève pas de la critique d’Israël, mais de l’antisémitisme pur et simple. Et Mamdani n’a pas su ou voulu distinguer son propre antisionisme « idéologique » de celui généralisé notamment sur les campus et souvent indissociable de l’antisémitisme.
L’antisionisme de Mamdani pourrait être normalisé dans le discours politique américain demain, et il s’agit là du plus grand danger pour les Juifs américains attachés à Israël. Pire encore, il complique considérablement la tâche des sionistes libéraux
Pour beaucoup de Juifs new-yorkais, l’antisionisme de Mamdani aurait été moins inquiétant dans un contexte plus apaisé, avec un niveau d’antisémitisme bas comme il l’était jusqu’en 2015 ou sous « relatif contrôle » jusqu’au massacre du 7 octobre.
L’électorat juif a été scruté lors de cette élection, avec des sondages aussi fréquents que variés : entre 16% et 38% de soutien à Mamdani parmi les Juifs selon les instituts de sondage. Selon un autre sondage en juillet qui donnait 44% de soutien à Mamdani chez les Juifs de la ville, le chiffre était de 67% pour les 18-44 ans. On peut imaginer que parmi les jeunes Juifs non Haredim, ce chiffre est sans doute de 80%, illustrant le fossé qui se creuse entre générations chez les Juifs américains, autour notamment de leur relation avec l’État d’Israël. En ce sens, cette élection est un révélateur des réelles divisions entre Juifs américains, par génération et par degré de pratique religieuse notamment.
L’antisionisme de Mamdani pourrait être normalisé dans le discours politique américain demain, et il s’agit là du plus grand danger pour les Juifs américains attachés à Israël. Pire encore, il complique considérablement la tâche des sionistes libéraux qui ont toujours défendu la vision d’un sionisme démocratique et d’un attachement à Israël dans la lucidité. C’est cet attachement inconditionnel au pays, mais lucide sur sa politique, qui est aujourd’hui remis en cause.
La crainte est aussi celle de voir le Parti Démocrate, la maison naturelle (pour combien de temps ?) des Juifs emboiter le pas à Mamdani et introduire des politiques de plus en plus critiques envers Israël, non par sur ses politiques mais sur sa légitimité même. Mamdani a ouvert une brèche et il est possible que des voix ouvertement antisionistes poussent à une approche beaucoup plus radicale.
Une évolution irréversible du Parti Démocrate ?
La victoire de Mamdani pourrait donc accélérer la transformation du Parti Démocrate. La grande peur de beaucoup de Juifs américains est que ce parti, leur maison politique, subisse une évolution comparable à celle du Parti Républicain avec l’avènement de Donal Trump. Lorsque celui-ci a surgi dans l’arène politique, le Parti l’avait d’abord ignoré, puis minimisé son influence, avant de reconnaitre l’inévitable. Aujourd’hui, le GOP est totalement trumpifié, sur la forme mais aussi sur le fond. Parti historiquement favorable au libre-échange, à la diffusion des valeurs démocratiques, au capitalisme dérégulé sans intervention de l’État et à l’immigration, il a opéré un virage radical et n’a pas hésité à dire que sa plateforme programmatique était désormais inutile, pour épouser à sa place toutes les idées de Trump, aussi contradictoires ou absurdes soient-elles, .
Le Parti Démocrate est aujourd’hui en pleine crise d’identité, avec une perte massive des électeurs populaires qu’il souhaite reconquérir à tout prix.
New York n’est pas l’Amérique et il serait exagéré d’extrapoler le succès de Mamdani au plan national. Mais un mélange de populisme économique, d’exploitation des thèmes identitaires et de durcissement sur la question israélo-palestinienne pourrait être une voie tentante pour le Parti Démocrate, afin de reconquérir les classes populaires d’une part et les jeunes de l’autre. Dans un tel scénario, certains Juifs américains se sentiraient orphelins, privés de leur parti de cœur et de raison depuis des années, si celui-ci devait se radicaliser, de surcroit sur des thèmes que beaucoup de Juifs ne partagent pas.
Israël devient un marqueur de la politique américaine, l’équivalent à gauche de ce que l’avortement est à droite.
Plus globalement, la victoire de Mamdani, épaulé par les deux figures de l’aile gauche du parti Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, est un symbole de la polarisation accélérée de la politique américaine. Pour les Juifs américains, cette situation est nouvelle et périlleuse. Après un Parti républicain devenu nativiste, sous influence des chrétiens évangéliques et rejetant l’État de droit, la conversion du Parti démocrate en parti de gauche plus ou moins radicale, tant sur les thèmes économiques que sociétaux, serait un développement très inquiétant.
Quelle relation entre le Parti Démocrate et Israël ?
Israël devient un marqueur de la politique américaine, l’équivalent à gauche de ce que l’avortement est à droite. Jusqu’aux années 90, il existait nombre de Républicains favorables à la liberté de choix des femmes, mais il est aujourd’hui impossible d’avoir la moindre investiture, locale ou nationale, en défendant le droit à l’avortement. Devant la défiance envers Israël au sein des électeurs démocrates, dont 77% estiment qu’Israël a commis un génocide à Gaza, il est possible qu’Israël devienne chez les Démocrates l’équivalent du thème de l’avortement pour les Républicains : un « test ultime » pour tout candidat de ce parti, surtout s’il aspire à une carrière nationale.
Quand un élu centriste comme Seth Moulton dénonce officiellement AIPAC, le principal lobby pro Israël, et annonce rendre les contributions de ce lobby, défenseur inconditionnel du gouvernement israélien (au contraire de J Street, qui combine défense d’Israël et critique des politiques de son gouvernement), la signification du moment n’échappe à personne. Il s’agit bien d’un tournant absolument fondamental dans la politique américaine et dans le rapport des États-Unis à Israël, au moins chez les Démocrates.
C’est aussi ce qui se joue avec la victoire de Mamdani, qui rebat les cartes de manière spectaculaire pour le Parti Démocrate. Outre l’évolution sur le fond de la politique d’Israël, notamment la défense de ses institutions démocratiques, les dirigeants israéliens, présents et futurs, doivent absolument avoir cette nouvelle donne en tête pour l’éviter et retisser des liens forts avec le Parti démocrate. Il y va de l’avenir du soutien américain à Israël, qui ne peut dépendre du seul parti républicain, lui-même soumis à des forces antisionistes et même ouvertement antisémites.
Le manichéisme post- 7 octobre
Présenter la victoire de Mamdani comme la preuve de la dérive extrémiste du Parti Démocrate et l’annonce de jours sombres pour les Juifs américains n’est pas foncièrement inexact, mais reste très réducteur. Il est impossible de faire fi du contexte qui a rendu cette victoire possible, avec le soutien non négligeable d’une partie des Juifs de la ville.
En ce sens la victoire de Mamdani est le reflet des tourments du monde juif post-7 octobre. La hausse des actes antisémites, l’obsession d’une grande partie de l’extrême gauche à accuser Israël de tous les maux de la terre, la simplification à outrance à travers le prisme du dominant et du dominé a créé en retour une perte de la nuance. La critique du gouvernement israélien est devenue pour beaucoup au sein du monde juif une impossibilité et même une trahison, une concession inacceptable à l’air du temps et plus encore aux véritables ennemis d’Israël et des Juifs.
On retrouve les mêmes schémas autour de la victoire de Mamdani. Celle-ci est suffisamment problématique pour ne pas être caricaturée et présentée comme l’avènement du Djihad à City Hall, ou pointant la naïveté des Juifs new yorkais qui confinerait à la stupidité, voire à la trahison. Cette absence de nuance a caractérisé les dernières semaines de la campagne, pour un effet à peu près nul. Elle empêche surtout la réflexion sur les causes qui ont pu mener à la victoire de ce candidat problématique, au-delà même de ses positions sur Israël et le sionisme.
Israël n’est plus considéré, y compris par les Juifs américains, comme un petit pays menacé mais comme une superpuissance.
Pour les Juifs et les soutiens d’Israël, cette victoire doit interpeller sur l’impopularité croissante d’Israël, qui n’est pas que le fait d’antisémites et de tiers-mondistes radicaux (qui existent bel et bien…). Cette interpellation doit aussi évidemment concerner les dirigeants israéliens, qui ne peuvent s’abriter derrière le seul antisémitisme pour expliquer leur ostracisation. Itzhak Rabin avait lui-même défendu l’idée que le statut d’Israël dépendait aussi de son comportement, sans nier en rien l’antisémitisme obsessionnel de certains qui ne pardonneront jamais rien à Israël comme État et comme représentation des Juifs.
Pour les Démocrates raisonnables, partisans d’un libéralisme régulé et juste, et non pas d’une économie administrée avec des solutions démagogiques, cette victoire de Mamdani doit interroger sur la hausse des inégalités, des injustices profondes de la société américaine et des failles du modèle démocratique américain, notamment au niveau institutionnel. Sans cette introspection, cette victoire ne sera pas un coup de semonce, mais le prélude à un divorce définitif entre le Parti démocrate et Israël, un éloignement profond entre les Juifs américains et Israël sur fond de divorce intergénérationnel, et l’avènement d’un Parti démocrate populiste et démagogique, qui fera entrer définitivement les États-Unis dans une instabilité majeure où, tiraillés entre des extrêmes, ils pourraient alors plonger dans la violence.
Dans ce contexte, la victoire de Mamdani est un moment potentiellement décisif pour la politique américaine, et pour l’avenir de la relation entre les Juifs de la plus grande diaspora au monde et Israël.
Une nouvelle relation entre Juifs américains et Israël ?
Le fait qu’entre 30 et 50% des juifs non orthodoxes, et entre 50 et 80% des jeunes juifs non orthodoxes de la ville aient voté pour un antisioniste interroge nécessairement la relation des Juifs américains avec Israël. Le lobby AIPAC est totalement dépassé pour répondre à ces nouveaux enjeux. Les hasbaristes professionnels américains qui justifient toutes les actions du gouvernement israélien croient défendre Israël et assurer sa centralité au sein du monde juif, mais ils font le contraire, en éloignant nombre de Juifs libéraux d’Israël.
L’amour d’Israël et la défense du sionisme passent par une nouvelle relation entre diaspora et Israël, avec moins de pathos et plus de compréhension réelle. En appeler au soutien inconditionnel et financier d’un pays menacé par ses voisins arabes ne suffira plus. Israël n’est plus considéré, y compris par les Juifs américains, comme un petit pays menacé mais comme une superpuissance. Dans ce contexte, la relation entre Israéliens et Juifs américains doit être une relation adulte et équilibrée, pas celle d’un enfant demandant le soutien inconditionnel de ses parents, y compris sur le plan financier. La boite bleue du KKL doit laisser la place à autre chose, ce qui est en soi une bonne nouvelle, car elle indique le formidable succès de l’économie israélienne à s’affranchir de sa dépendance financière.
Cette nouvelle relation plus équilibrée passe par l’affaiblissement de l’establishment haredi qui a ostracisé la majorité des Juifs américains, la création de nouveaux liens avec les jeunes Juifs américains au-delà de la hasbara classique, avec un programme comme Birthright, des échanges plus marqués avec des voyages de jeunes Juifs américains en Israël et de jeunes Juifs israéliens aux États-Unis.
Parmi les électeurs juifs de Mamdani, une importante partie se définit sioniste, partisane d‘un État juif et démocratique. Si certains ont voté Mamdani par défaut, d’autres l’ont fait avec enthousiasme, parfois en estimant que le temps était venu d’une nouvelle alliance entre sionistes libéraux et antisionistes.
La majorité des Juifs américains est déjà troublée par la hausse des actes antisémites, inquiète devant Trump et ses atteintes à la démocratie américaine et opposée à Netanyahu. Mamdani, avec sa démagogie et son exploitation de l’évolution d’Israël pour asséner son antisionisme, est une nouvelle épreuve à surmonter.
C’est l’idée a priori baroque émise par Brad Lander, le responsable des finances dans la municipalité sortante dont il était l’officiel juif le plus important. Interrogé dans un long article du Guardian sur la candidature de Mamdani, sa parole est précieuse pour comprendre ce qui se joue chez les Juifs américains autour de Mamdani. Lander estime ainsi que les sionistes libéraux doivent pouvoir collaborer avec des antisionistes, tout comme les antisionistes doivent cesser de qualifier de racistes les partisans d’une solution à deux États pour deux peuples. Cette alliance est d’ailleurs poussée en Israël par une partie de la gauche sioniste qui estime que le temps est venu d’une alliance avec les partis arabes antisionistes.
Pour les Juifs de plus de 50 ans, cette coexistence ne va pas de soi, mais pour les plus jeunes, ouvertement libéraux, elle est presque naturelle. C’est à cette aune qu’on peut comprendre le succès de Mamdani auprès des jeunes Juifs. Pour ces derniers, l’antisionisme n’est pas éliminatoire, il n’est même pas un problème mais une variation de leur propre relation avec Israël, et, pour certains, c’est leur propre opinion. Cette porosité entre sionisme libéral et antisionisme « soft » doit inciter à repenser le sionisme libéral en diaspora pour mieux le défendre et à revendiquer avec force la bannière sioniste, comme les manifestants opposés à la réforme judiciaire se sont réapproprié le drapeau israélien.
Existe-t-il un espace pour le sionisme libéral en diaspora ?
Le gouvernement israélien actuel n’a rien fait pour unifier le peuple juif ou les Israéliens. Prêt à s’allier avec des antisémites au nom de la défense d’Israël, il ne propose pas une vision positive du sionisme et le défigure même, risquant ainsi de normaliser l’antisionisme. Ce gouvernement défend-il encore l’idée d’État du peuple juif, ou d’un État pour certains juifs, nationalistes politiquement et traditionalistes ou orthodoxes sur le plan religieux ? La jubilation secrète du gouvernement à voir un nombre record d’Israéliens, plutôt éduqués et libéraux, quitter le pays peut interroger par exemple, et le mépris affiché envers les Juifs libéraux, sur le plan politique ou religieux, n’est plus à démontrer.
À ce titre, la responsabilité du gouvernement israélien est écrasante, moins dans la hausse de l’antisémitisme que dans la normalisation et l’acceptabilité de l’antisionisme, y compris au sein des Juifs américains, en particulier des plus jeunes.
Les propos évasifs de Mamdani sur le désarmement du Hamas et ambigus sur le slogan « Globalize the intifada » ont installé une petite musique dont il est certes le premier responsable, et que ses adversaires politiques ont voulu exploiter, sans succès. Cette séquence rappelle d’ailleurs l’incapacité des Démocrates à dénoncer l’antisémitisme sur les campus, qui avait été exploitée par les Républicains en 2024. Mamdani a trouvé un allié objectif avec le gouvernement israélien actuel, qui tend à justifier l’antisionisme dont le nouveau maire de New York se prévaut.
La majorité des Juifs américains est déjà troublée par la hausse des actes antisémites, inquiète devant Trump et ses atteintes à la démocratie américaine et opposée à Netanyahu et le chemin qu’il fait prendre à Israël. Mamdani, avec sa démagogie et son exploitation de l’évolution d’Israël pour asséner son antisionisme, est une nouvelle épreuve à surmonter. En ce sens, cette élection est pour eux un nouvel indicateur d’un malaise, d’une prise de conscience, et peut-être d’un appel à l’action, pour reprendre la parole et réaffirmer leur identité et leur attachement à un sionisme libéral et démocratique. Vaste programme à mener en commun avec la majorité d’Israéliens effrayés devant l’évolution de leur pays…
Sébastien Levi
Sébastien Levi est Vice President de J Street (section de New York) en charge des relations avec les Membres du Congres. Les propos dans l’article n’engagent que son auteur.