Etgar Keret : « Lorsque vous dites qu’Israël commet un génocide, je ne veux pas avoir la moindre conversation avec vous. »

Etgar Keret est un écrivain israélien de premier plan, dont le talent pour mélanger le banal et le magique est apprécié aussi bien en Israël qu’à l’étranger. Dans cet entretien mené par Emmy Barouh, Keret évoque le sentiment que, depuis le 7 octobre et alors que le gouvernement enfonce le pays dans la guerre, la réalité vécue par les Israéliens perd de sa consistance, et échappe à toute prise sur elle.

 

Edgar Keret, Wikipédia Commons

 

Nous sommes vendredi. Deux cent vingt et un jours se sont écoulés depuis le 7 octobre. Sur certains bancs de la rue Dizengoff à Tel-Aviv, il y a de gros ours en peluche blancs. Ils sont maculés de taches qui ressemblent à du sang. Des photos des personnes toujours retenues en otage à Gaza sont collées sur les dossiers. Je m’assois sur l’un de ces bancs, devant un petit magasin de fleurs, où j’attends Etgar Keret. Je ne serai pas déçue : sa parole est libre, volubile et rhapsodique, cheminant à travers les mille sujets et récits qui lui traversent l’esprit.

 

Emmy Barouh : Pouvez-vous m’aider à comprendre ce qui se passe dans la société israélienne en ce moment ?

Etgar Keret : Vous n’avez peut-être pas choisi la bonne personne. Je suis très critique à l’égard de notre société. Je suis également très critique à l’égard de Bibi Netanyahou. Mais laissez-moi vous raconter une histoire étrange. J’ai un nouveau livre qui vient de sortir : Autocorrect. Chaque fois que je travaille sur un livre, la maison d’édition m’impose une date butoir. À l’approche de cette dernière, je m’assois, je lis tout le livre et je me dis : « Est-ce que je veux vraiment que ce livre soit publié ? Peut-être devrais-je le retravailler ? » La date à laquelle je devais remettre mon ouvrage à la maison d’édition était donc le 8 octobre. Le fait est que j’ai écrit ce livre à l’époque du coronavirus, d’un coup d’État judiciaire et de manifestations contre Netanyahou. Et surtout, juste après avoir perdu ma mère, qui était vraiment la personne la plus proche de moi. Mon père étant déjà décédé, je suis donc devenu orphelin à part entière, comme on dit. Ce fut une période très difficile pour moi : la perte de ma mère, des problèmes de dos après un accident, le coronavirus, Netanyahou… Lorsque j’ai lu le livre le 6 octobre, je suis arrivé au milieu et j’ai dit à ma femme : « Je ne suis pas sûr de pouvoir le présenter le 8 octobre. Je pense que les histoires sont bonnes, mais il y a quelque chose qui cloche : Je montre une image du monde trop sinistre, trop pessimiste, trop sombre ». Et ma femme m’a dit : « Tu penses toujours trop… Si c’est vraiment ce que tu ressens, ne finis pas le livre, mets-le de côté, va faire un truc sympa avant d’aller dormir, relis-le demain et si tu n’as toujours pas changé d’avis ne l’envoie pas à l’éditeur ». J’ai dit : « D’accord » et je l’ai donc posé.

Le 7 octobre, je me suis réveillé à cause des missiles et de tout le reste… Je ne me suis même pas souvenu du livre. J’ai commencé à faire tout ce que je pensais devoir faire. Et en janvier, je me suis soudain rappelé : « Oh, mon Dieu, voilà le livre, j’avais oublié ». Les gens de la maison d’édition, tout le monde en fait, étaient mobilisés. Ils avaient eux aussi oublié. Je l’ai relu et je me suis dit : « Ouah, c’est parfait. Ça ressemble à la vraie vie ».  C’est comme si, en lisant le livre le 6 octobre, j’avais dit : « C’est trop » et après le 7 octobre : « C’est tout à fait juste ».

Selon vous, comment la vie a-t-elle changé après le 7 octobre?

Après le 7 octobre, j’ai ressenti une certaine culpabilité parce que je me suis dit : « Je ne sais rien faire ». Comment me rendre utile ? Ma femme et moi avons alors commencé à nous rendre dans les endroits où les survivants des kibboutzim avaient été évacués. Nous allions les voir sur place pour leur dire : « Si vous le souhaitez, nous pouvons vous lire des histoires et jouer avec les enfants ». Parfois, il y avait une centaine de personnes, parfois seulement trois. Et ce qui s’est passé, c’est que le premier samedi après le 7 octobre — je crois que c’était le 14 ou le 15 — nous sommes allés dans l’un des kibboutzim les plus touchés, Kfar Aza. Dans ce kibboutz, il y avait une femme très grande qui tenait un nourrisson dans ses bras. Elle était vraiment gentille, elle nous a aidés, nous sommes restés là pendant plus de deux heures. À la fin, lorsqu’elle nous a raccompagnés à la voiture, je me suis rendu compte que je ne lui avais pas demandé son nom ni fait la conversation. Je me suis dit : « Bon, il est peut-être encore temps ». Mais j’ai pensé qu’il était peut-être un peu trop tard, après trois heures, pour l’interroger. Alors j’ai dit : « Comment s’appelle le bébé ? ». Elle m’a regardé et m’a répondu : « Je ne sais pas. Je ne suis pas du kibboutz, je viens juste pour aider ». Et de poursuivre : « Il y avait cette femme qui allaitait son bébé quand ils sont venus lui dire que son mari n’avait pas été kidnappé, comme elle le pensait, mais qu’ils avaient trouvé son corps — et elle s’est évanouie. Ils ont donc pris le bébé et me l’ont donné. Et puis vous êtes venus, maintenant vous partez et moi je vais ramener le bébé. » Vous voyez… je me sens incapable d’interpréter le réel. Tellement de facteurs entrent en jeu qu’on ne peut pas résumer la situation de manière simple.

Les histoires confuses sont la réalité d’aujourd’hui. Je me promène et je recueille des histoires, mais en fin de compte, je ne peux pas synthétiser ces histoires en un tout.

Je peux vous raconter une autre histoire. Un jeune soldat de 19 ans m’a contacté. Il avait perdu sa jambe en combattant à Gaza, de même que tous les autres soldats de son équipe. Il m’a dit : « Je sens que je dois raconter mon histoire, mais je ne sais pas comment. S’il-vous-plaît, apprenez-moi à écrire ». Je ne peux pas apprendre à quelqu’un à écrire, mais je peux essayer de lui parler et de l’aider. Rencontrer ce gars m’a beaucoup ému.

En rentrant en taxi, j’essaie de parler avec le chauffeur : « Tu sais, j’ai rencontré ce soldat, il est si jeune et c’est difficile pour lui maintenant de marcher au rythme effréné de la vie moderne avec une seule jambe, de trouver une petite amie, de décrocher un emploi… » Mais je vois que le chauffeur s’en contrefiche, qu’il n’écoute pas, qu’il me regarde même d’un air presque furieux. Je me dis alors qu’il a peut-être lui aussi perdu un être cher et j’ajoute : « Je parle de ce type, mais nous avons tous souffert, tout le pays, moi, toi, nous avons tous morflé ». Et le type, un immigré russe, de me déclarer « Tu m’en diras tant » avant d’entamer le récit de sa propre histoire : « Le 7 octobre, ils nous ont emmenés dans le sud, au festival de musique Nova. Lorsque nous sommes arrivés là-bas, les combats avaient pratiquement cessé et notre tâche consistait principalement à ramasser les corps. » Et il commence à me parler des corps, de leur état, de choses horribles, je ne vais pas les répéter, mais vous savez, des choses qui restent avec vous. Honnêtement, je ne voulais pas l’écouter, mais je me suis dit : « Que faire ? Il a besoin de raconter ». Quand il a fini, il m’a dit : « Honnêtement, penses-tu qu’une personne qui a vu toutes ces choses peut dormir la nuit ? ». J’ai répondu : « Non ». Alors il a dit : « Et bien je ne dors pas la nuit ».

Ensuite, il a pris un air à moitié dément et m’a confié : « Je dois te raconter une histoire qui m’est arrivée aujourd’hui même. À 5 heures du matin, j’ai pris une course à côté d’un club appelé Havana. Une jeune fille de 23 ans monte à bord, s’assoit sur la banquette arrière et, à peine montée, n’arrête pas de se plaindre : ‘Je vais dans ce bar, j’achète un verre, 70 shekels, c’est presque 20 dollars. Et ils me refilent un simple gobelet en plastique avec un peu de vodka. J’ai dû en plus laisser mon manteau au vestiaire, 20 shekels, ils l’ont mis sur un cintre, 20 shekels. Je n’arrête pas de payer, tout est cher, ils sont fous, ils veulent me voler !’ » Et il poursuit : « Quand je suis au volant, je n’ai pas de patience pour ça, mais je me dis : ‘C’est ton travail, tu ne te bats pas, tu la fermes et tu conduis’. Nous nous arrêtons à un feu rouge et la jeune femme ajoute : ‘J’en ai assez de tous ces clubs qui se goinfrent, à partir de maintenant, je ne ferai que des fêtes en pleine nature’. Quand elle a dit ça, je me suis tourné vers elle comme… comme un loup, pour la mordre. Je me suis retourné vers elle en proie à la colère et je l’ai interpellée : ‘Où crois-tu vivre ?’. Puis nos regards se sont croisés. Et je me suis souvenu de quelque chose qui s’était passé lorsque je ramassais les corps au festival de musique Nova. J’ai perçu un mouvement, j’ai cru que c’était un rat, ils avaient tiré sur tout le monde, mais il y avait une femme vivante, parfaitement indemne. Je l’ai regardée et je lui ai demandé : ‘Dis-moi, tu étais à Nova ?’ Elle m’a regardé et a souri en disant : ‘Je me souviens de toi …’ ».

Je ne sais vraiment pas ce que cette histoire signifie. Je pourrais penser : « Cette fille est psychotique, c’est une sociopathe » ou « Cette fille est une yogi, une bouddhiste » ou encore « Ce chauffeur de taxi débloque, il mélange le passé et le présent ». Je ne sais pas quelle est la bonne réponse, mais les histoires confuses de ce type sont la réalité d’aujourd’hui. Tant de gens voudraient que les choses soient simples et claires, mais ce n’est pas le cas. C’est obscur, c’est ambigu, c’est plein de moments édifiants comme de moments choquants et embarrassants. On voit beaucoup d’humanité, mais aussi beaucoup d’inhumanité, beaucoup de racisme. Je me promène et je recueille des histoires, mais en fin de compte, je ne peux pas synthétiser ces histoires en un tout.

Si vous dites que Bibi ou Sinwar sont des Hitler, vous dites automatiquement : « Je ne veux pas dialoguer ».

Finalement, c’est ce que vous obtenez : un grand nombre de personnes confrontées à un grand nombre de situations complètement folles. Pour certains, cela fait ressortir l’héroïsme, tandis que pour d’autres, cela fait ressortir quelque chose de très profond et de très sombre. Et je pense qu’en tant qu’écrivain, mon travail ne consiste pas à laisser les gens donner une sorte de récit réducteur. Si quelqu’un me dit une chose, je me sens toujours obligé de me faire l’avocat du diable et de dire : « Oui, vous dites vrai, mais n’oubliez pas que ceci est également vrai ».

Chaque fois qu’il y a un conflit dans le monde — en Russie, en Ukraine, en Israël, en Palestine et ailleurs — deux mots clés reviennent depuis l’avènement des réseaux sociaux : « Hitler » et « génocide ». Des phrases de ce genre fourmillent : « Poutine est Hitler », « Non, non, les Ukrainiens sont Hitler », « Les Russes commettent un génocide », « Non, non, les Ukrainiens veulent commettre un génocide », « Nous avons commis un génocide à Gaza », « Non, ils ont commis un génocide le 7 octobre. Sinwar est Hitler », « Non, Bibi est Hitler »… En tant que fils de survivants de l’Holocauste, je dirais qu’aucun d’entre eux n’est Hitler. Sinwar n’est pas Hitler, car Hitler était athée et Sinwar est croyant. Poutine n’est pas Hitler parce que les projets qu’il nourrit diffèrent des projets romantiques du Führer. Personne n’est Hitler. Quand vous dites « Hitler » et « génocide », vous dites en fait qu’ils sont Voldemort [le grand méchant de la série Harry Potter – NdT], qu’ils sont Sauron [le sorcier maléfique du Seigneur des anneaux – NdT], bref, qu’ils sont très très méchants.

Souvent, dans les débats sur Gaza, je dis à ceux qui accusent Israël de perpétrer un génocide que la question de savoir si nous commettons un tel crime est très, très discutable. Depuis que nous avons prétendument tenté de commettre un génocide après 1967, la population des Palestiniens a été multipliée par huit. Donc, si nous commettons un génocide, c’est un génocide qui a lamentablement échoué. Mais sans en arriver là, je peux vous dire que lorsque je veux critiquer mon pays — et c’est mon travail d’écrivain de le faire — je ne dis pas qu’il commet un génocide, mais plutôt des crimes de guerre.

Lorsque je dis qu’il commet des crimes de guerre, les gens peuvent me contredire. Et je leur réponds qu’il y a la Convention de Genève. Ce texte stipule que si vous occupez un territoire, vous êtes responsable des civils qui s’y trouvent. Maintenant, si nous occupons un territoire et déclarons que nous ne fournirons pas suffisamment d’aide humanitaire ou que cet approvisionnement ne relève pas de notre responsabilité, nous commettons un crime au regard du droit. En tout cas, même si vous ne partagez pas cet avis, nous pouvons débattre de la question de savoir s’il s’agit ou non d’un crime de guerre. En revanche, lorsque vous dites qu’Israël commet un génocide, je ne veux pas avoir la moindre conversation avec vous. Si vous dites que Bibi ou Sinwar sont des Hitler, vous dites automatiquement : « Je ne veux pas dialoguer ». Il y a longtemps, j’ai écrit un essai dans le New York Times sur les termes « pro-Palestinien » et « pro-Israélien ». J’ai fait part de mon agacement à ce sujet. J’ai dit que si je rencontre quelqu’un et qu’il me dit « Je suis pro-Israélien », il s’agit en fait d’un avertissement : « Quelle que soit notre conversation, quelles que soient les informations auxquelles je serai exposé, je ne changerai pas d’opinion, quels que soient les faits ».

Tel Aviv / Jaffa, Marcel Janco, Wikiart
Q : Il existe un fossé entre les pro-Palestiniens et les pro-Israéliens : regardez les campus aux États-Unis…

Nous vivons à une époque tellement dingue que les positions semblent se radicaliser, chaque camp tendant vers ses franges les plus extrêmes. Je pense que de très nombreuses personnes qui manifestent sur les campus veulent au fond que la Palestine soit libre. Moi aussi, je veux que la Palestine soit libre. J’ai d’ailleurs beaucoup manifesté pour défendre cette idée. Est-ce que beaucoup de ceux qui s’écrient « Du fleuve à la mer » réalisent qu’en proclamant ce slogan, ils disent aussi « Nous allons détruire l’État d’Israël et il n’existera plus ». Je pense que de nombreux manifestants aux États-Unis ne comprennent même pas la différence entre la solution à deux États et la solution à un État qui, selon Ben Gvir, inclut la construction de villages par les Juifs à Gaza et qui, selon le Hamas, consiste à tuer tous les Israéliens et à s’emparer de l’ensemble du territoire. Le rêve du Hamas n’est même pas de posséder la Palestine, mais de créer une sorte d’État islamique qui partirait de Gaza, traverserait Israël, irait jusqu’au Liban, s’étendrait à l’Irak et contrôlerait le Yémen. Une idée qui n’est pas nationaliste, mais religieuse.

J’ai écrit plus de dix histoires sur Benjamin Netanyahou. Par exemple une qui s’intitule « Le meilleur menteur du monde ». C’est l’histoire de quelqu’un qui ment tellement qu’il ne sait plus ce qu’il veut.

Q : Dans une interview, vous évoquiez votre famille dont les croyances vont du radical au libéral. Pensez-vous pouvoir encore parler entre vous?

Bien sûr. Nous nous parlons tout le temps. Je peux vous raconter une histoire étrange que j’ai écrite après le 7 octobre. Elle s’appelle « Intention ». Je l’ai écrite à la suite des discussions que j’ai eues avec ma sœur. Après le 7 octobre, je me suis retrouvé à courir comme un fou pour aider toutes sortes de personnes. Les gens m’appellent, ils me disent : « Mon frère est mort, je veux ouvrir une bibliothèque en sa mémoire, pouvez-vous m’aider à obtenir des livres auprès des éditeurs ? » Quelqu’un d’autre me sollicite en ces termes : « Mon père était à la fête à Nova, ils ne savent pas s’il est mort, ils n’ont pas retrouvé son corps, pouvez-vous m’aider ? ». Je fais donc toutes ces choses qui me semblent à la fois super déprimantes et cruciales. Et quand je parle avec ma sœur, elle me dit tout le temps à quel point elle prie : « Je prie dans le monde occidental, je prie ici, je prie pour les âmes de ces gens, pour ceux qui sont morts et pour ceux qui ont accouru à leur aide ». Et elle parle avec une telle fierté dans la voix que cela m’agace. Je pense : « On s’en fout ». Mais c’est ma sœur, je l’aime et c’est quelqu’un de bien. Et je lui dis : « Écoute, je sens que je perds patience et tu ne le mérites pas, alors parlons-en un autre jour, raccrochons maintenant ». Elle me répond : « D’accord, tu as raison ». Et moi, chaque fois que je suis en proie à une colère de ce genre, je l’évacue en écrivant une histoire du point de vue de la personne qui m’agace. La preuve en est que j’ai écrit plus de dix histoires sur Benjamin Netanyahou. Par exemple une qui s’intitule « Le meilleur menteur du monde ». C’est l’histoire de quelqu’un qui ment tellement qu’il ne sait plus ce qu’il veut. Mais c’est une histoire pleine de péripéties. On se sent désolé pour ce type. J’écris beaucoup d’histoires de ce genre. Et toutes ne sont pas très bonnes, mais c’est un exercice salutaire… Vous vous mettez à la place de l’autre de sorte que vous ne pouvez plus dire « Il est mauvais, il est stupide. » Vous devez le créer en tant que personnage. Cela doit faire sens. C’est donc très humanisant, et c’est un exercice important pour moi, de me mettre à la place de l’autre, surtout s’il m’énerve

En tant que fils de survivants de la Shoah, mes parents m’ont appris à ne pas accepter la politique identitaire avant même que cette notion fasse flores. Bien que rescapés, ils aimaient Wagner. Nos voisins venaient dire à ma mère : « Pourquoi écoutes-tu Wagner ? Les nazis aimaient Wagner ». Et ma mère répondait : « Les nazis aimaient aussi l’apfelstrudel. Vous voulez donc que je ne mange pas d’apfelstrudel parce qu’un foutu nazi aimait ce gâteau ? ». « Non, mais Wagner était antisémite ». Et ma mère de rétorquer : « Si Wagner était là, je l’empoisonnerais. Mais sa musique est géniale, alors quittez ma maison. Je veux écouter de la musique ».

L’un des meilleurs amis de mes parents était un Allemand qui faisait partie de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale. Il n’était pas dans les SS. Il avait 18 ans. Il a combattu avec Rommel en Afrique du Nord. Enfant, j’avais interrogé mon père : « Toute notre famille a été tuée par les nazis. Comment peux-tu avoir cet homme comme ami ? ». Il m’avait répondu : « J’essaie de me mettre à sa place. Si j’avais son âge, que mon pays était en guerre et qu’on m’enrôlait, j’irais le défendre. Quand je vois une personne qui était jeune, qui pensait se battre pour son pays et qui le regrette depuis, je peux facilement en conclure que c’est un ami. Ce n’est pas un antisémite ». J’affirme donc que toute ma vie, mes parents ont essayé de remettre ce déterminisme identitaire en question. Ils ont eu trois enfants. Ma sœur est ultra-orthodoxe. Elle a habité une colonie dans les Territoires. Elle a 11 enfants et plus de 50 petits-enfants. Quant à mon frère, c’est un antisioniste de gauche.

Je suis un libéral de gauche. Mes parents étaient tous deux de droite. Mon père disait toujours : « La politique, c’est comme si vous aviez une grande table dans votre chambre et que vous vouliez la sortir. Chacun veut la sortir d’une manière différente. L’un dit qu’il faut la sortir par la fenêtre. L’autre qu’il faut la sortir par le côté. Un troisième qu’il faut la démonter. Mais quand je regarde mon fils, ma fille, mon autre fils, ma femme, je vois essentiellement que ce sont tous des gens bien qui aspirent à quelque chose qu’ils croient meilleur. Nous pouvons donc nous disputer autant que nous le voulons, mais notre différend ne porte pas sur le type de personnes que nous sommes. Il s’agit de savoir quelle action nous devons entreprendre ».

Je suis un Israélien, pas un pro-Israélien. Je dis donc que je suis pour l’humanité et en faveur de ce que je pense devoir promouvoir dans ce monde, comme mes parents me l’ont appris. Et j’essaie d’éviter toute forme d’étiquetage qui aurait pour effet de sous-traiter ma responsabilité morale.

Comme mon père me l’a fait remarquer, « [t]u te relies aux autres à partir de ton humanité, comme le tronc d’un arbre se divise en différentes branches. Nous pouvons nous disputer et je peux dire que tu es stupide et que ce que tu fais ne marchera jamais, mais en fin de compte, je dois me rappeler que nous venons du même tronc. Nous sommes tous deux des personnes qui, si nous voyons quelqu’un tomber dans la rue, l’aideront à se relever. Toute ma vie, j’ai rencontré des gens qui partageaient mes idées politiques, mais qui trompaient leur femme, battaient leurs enfants, mentaient à leur patron. Pourtant, ils prétendent que nous sommes pareils… Non, nous ne sommes pas pareils ».

Comme mon père, je ne pense pas que quelqu’un partageant mes idées politiques, est forcément une bonne personne. Ce n’est pas comme ça que ça marche. À notre époque la plupart des gens s’accordent à penser que s’ils connaissent votre identité, ils savent d’emblée s’il convient de vous soutenir ou pas. Mais ce n’est pas mon cas. Je suis un Israélien, pas un pro-Israélien. En effet, comment puis-je être favorable au fait que les habitants de Gaza ne reçoivent pas assez de nourriture ? Comment puis-je approuver des bombardements qui causent d’énormes dommages collatéraux ? Je ne peux pas. Mais cela signifie-t-il pour autant que je suis pro-Palestinien ? Comment puis-je être en faveur du massacre de familles ? Comment puis-je prôner une idéologie selon laquelle je ne me soucie pas de sacrifier tous mes concitoyens parce qu’Allah fera d’eux de grands hommes ? Je ne peux pas. Je dis donc que je suis pour l’humanité et en faveur de ce que je pense devoir promouvoir dans ce monde, comme mes parents me l’ont appris. Et j’essaie d’éviter toute forme d’étiquetage qui aurait pour effet de sous-traiter ma responsabilité morale.

Q : La responsabilité morale est-elle la leçon la plus importante que vous ayez apprise de vos parents?

Savez-vous quelle est la première chose que le monde nous demande de sous-traiter de nos jours ? La compassion. Aujourd’hui, nous vivons à une époque où les gens nous dictent quand et comment faire preuve de compassion. Ils nous disent : « Tu ne peux pas pardonner à ce type, tu ne peux pas faire ça ».

Mais je peux lui pardonner si je le veux. Et je pense que ce procédé relève de cette sorte d’arbitraire devenu prédominant dans le monde. Car lorsque le monde était organique, lorsque nous vivions dans un village, même si tu faisais quelque chose qui m’agaçait, disons si tu racontais des blagues racistes, je n’aimais pas tes blagues, mais tu étais le seul à vendre du beurre à cinq kilomètres à la ronde. Et puis tu étais gentil et quand je devais m’absenter quelques jours, tu arrosais mes fleurs. Alors je ne t’aimais pas, mais je t’aimais bien, car je percevais ta part d’humanité.

Certaines personnes semblent penser que l’important est d’agir, de se sentir totalement impliquées. Quant à savoir quel est le véritable impact de leur action, c’est une autre histoire.

De nos jours, sur les réseaux sociaux, tout passe au filtre d’une sorte d’idée puriste de la vertu. Nous n’aimons pas ces gens parce qu’ils ne sont pas « vertueux »… Je crois que si l’un d’entre nous était disséqué et analysé en profondeur, il s’avérerait que nous sommes loin d’être parfaits. Mentir est mal. Pourtant, je ne connais personne qui n’ait jamais menti. Nous avons tous fait des choses honteuses que nous regrettons. Si quelqu’un les filmait et les postait sur Facebook, nous serions perdus. C’est ainsi que nous faisons preuve d’impatience avec l’employé de la banque. Que nous maudissons le chauffeur de taxi et l’appelons « Espèce de gros dégueulasse ! ». Pourquoi se moquer de son physique ? Nous savons pourtant que ce n’est qu’un aspect de notre humanité. Nous ne nous réduisons pas à cela. Et dans l’arbitraire des réseaux sociaux, on ne connaît pas vraiment les gens ni parfois les phénomènes. Beaucoup de pro-Hamas, par exemple, ignorent ce qu’est réellement le Hamas.

Quand la guerre russo-ukrainienne a éclaté, ma femme et moi avons collecté des vêtements et des couvertures pour l’Ukraine. Mais alors, des gens m’ont pris à partie : « Pourquoi ne changes-tu pas ta photo de profil pour y mettre le drapeau ukrainien ? ». Quand des millions de personnes changent leur photo de profil Facebook pour y mettre le drapeau ukrainien, en quoi cela aide-t-il réellement les Ukrainiens ? Je doute que changer sa photo fasse qu’une personne dans un abri antiaérien à Kiev ait soudainement plus à manger ou moins peur. On le fait davantage pour soi-même, pour se donner bonne conscience.

J’ai été invité à prendre la parole à la foire du livre de Bologne au nom du peuple ukrainien. J’y ai rencontré quelqu’un qui travaille à l’Institut culturel italien et qui m’a dit : « Vous savez, ici en Italie, nous sommes de tout cœur avec le peuple ukrainien, nous sommes très actifs et nous faisons plein de choses ». Et j’ai demandé : « Quoi par exemple ? ». Il m’a répondu : « Il devait y avoir une conférence sur le centenaire de Dostoïevski, mais nous l’avons annulée à cause de l’invasion russe ». Je lui ai demandé : « Dostoïevski était-il en faveur de Poutine ? ». Il m’a répondu : « Peu importe. Pour les Russes, c’est leur héros ». Je me demande en quoi ne pas commémorer un chef-d’œuvre explorant la complexité humaine aidera les gens terrés dans les abris à Kiev. Je n’en suis pas sûr, mais certaines personnes semblent penser que l’important est d’agir, de se sentir totalement impliquées. Quant à savoir quel est le véritable impact de leur action, c’est une autre histoire.

Tel Aviv, 1995, Petros Malayan, Wikiart

Par le passé, les choses étaient plus limpides et les actions militantes plus compréhensibles. J’ai d’ailleurs écrit un essai sur ce sujet dans ma newsletter. Par exemple, si dans les années 70 vous aviez montré à un extraterrestre des écologistes s’enchaînant aux arbres pour les protéger face à des bulldozers, et que vous lui aviez demandé : « Que se passe-t-il ici ? », il aurait très probablement répondu : « Ces personnes attachées aux arbres veulent empêcher qu’on les abatte et détruise la forêt ». Si vous preniez aujourd’hui le même extraterrestre pour lui montrer un individu jetant de la soupe de tomates sur la Joconde et que vous lui demandiez : « Que veut ce type ? », le même extraterrestre répondrait : « Il déteste probablement l’art ou n’aime pas la soupe de tomates ». Mais quel est le lien logique entre ce geste et la lutte contre le réchauffement climatique ? On peut de nos jours jeter de la soupe pour n’importe quelle cause : le droit à l’avortement, la vaccination contre le COVID…. Au final, cette action ne fait que dégrader un chef-d’œuvre universel. Son auteur veut se faire passer pour un militant écolo, mais ses moyens sont pour le moins déroutants. Et c’est là que je vois émerger avec Greta Thunberg un nouveau type de militantisme, très différent de celui pratiqué par de grandes figures historiques comme Gandhi, Martin Luther King ou Rosa Parks. Quelle est cette différence fondamentale ? Premièrement, ces derniers agissaient d’abord pour changer les choses dans leur environnement direct et immédiat. Rosa Parks voulait transformer sa propre condition de vie. MLK et Gandhi également. Greta, elle, parle surtout de l’avenir lointain de ses enfants hypothétiques, c’est beaucoup plus abstrait comme combat. Deuxièmement, toutes les personnes qui ont agi pour le changement en ont payé le prix. Gandhi a été assassiné. Martin Luther King également. Rosa Parks a été envoyée en prison. Greta a beaucoup d’adeptes sur Instagram. Elle a posté une photo, « Libérez Gaza », depuis son canapé. C’est donc très, très facile pour elle. Lorsqu’on regarde le profil de Greta, on voit une jeune fille vivant dans l’un des pays les plus privilégiés au monde, ayant de faibles compétences sociales et peinant parfois à s’associer aux émotions des autres. Voilà le modèle qu’on nous propose. Quelqu’un qui n’a pas de vastes connaissances particulières, qui n’a jamais rien investi, mais qui est très incisive et capable d’injurier les gens avec un remarquable brio pour une fille de son âge. Une bonne partie de ce militantisme est largement discutable.

Il existe un fossé entre le sentiment narcissique d’être dans notre bon droit et notre capacité à prendre du recul de manière réfléchie.

Je pense qu’il y a quelque chose de très simpliste, de réducteur et de narcissique dans ce type de militantisme. C’est un militantisme qui ne réfléchit pas au monde, mais à la façon dont vous vous présentez au monde. Et je pense qu’aujourd’hui, il est intéressant de se demander si beaucoup de ces activistes font réellement avancer la cause ou s’ils travaillent en fait contre elle.

Toutes les personnes qui participent aux manifestations hebdomadaires massives contre la réforme judiciaire en Israël croient pourtant en ce type de militantisme.

Mais c’est justement ce que je veux dire. Écoutez, j’ai participé à ces manifestations presque chaque semaine. J’ai affronté des policiers, j’ai bloqué des autoroutes. Mon frère s’est même cassé le pied et a été arrêté. Je ne dénigre pas ces manifestations, mais je voudrais souligner quelque chose qui me paraît intéressant. C’est une expérience de second ordre en quelque sorte. Je vais manifester parce que je me sens impuissant, démuni, mais que j’ai besoin d’agir d’une façon ou d’une autre. J’y vais sans penser que cela fera une énorme différence, mais j’en ai besoin pour moi-même et pour exprimer mon opinion. C’est ce que je ressens lorsque j’y participe. Quand vous vous retrouvez au milieu d’une foule nombreuse qui scande des slogans à l’unisson, vous pouvez avoir l’illusion que vous incarnez le peuple et que tout le monde pense comme vous. Je manifeste, mais je reste critique et pondéré en permanence. Par exemple, quand les gens scandent « Libérez-les maintenant ! », je me demande souvent : « OK, à qui je m’adresse ? À Yahya Sinwar ? ». Si je crie assez fort, est-ce qu’il dira : « OK, on les laisse partir. Il y a des gens qui me demandent de les libérer maintenant, alors il faut le faire » ? Est-ce que je pense sincèrement que ça va marcher ? Ou bien est-ce que je scande « Libérez-les maintenant ! » pour que Biden comprenne qu’il devrait agir à ce sujet ? Ou peut-être que je le crie à Netanyahu qui se dira alors : « Oh, mon Dieu, oui, on devrait les libérer maintenant. Je n’y avais pas pensé… ». Mais qu’est-ce que j’accomplis exactement ? Quand je crie ainsi d’une voix déterminée, n’est-ce pas un peu comme si je priais ? Vous voyez ce que je veux dire ?

Je dis donc que je peux me rendre à une telle manifestation tout en restant critique et pondéré. Ce que je déplore, c’est que des gens y aillent uniquement pour assouvir un sentiment narcissique de toute-puissance, sans jamais remettre en question leur démarche. Et je voudrais ajouter autre chose… Quand la guerre a commencé, il y a eu d’énormes manifestations anti-israéliennes en Europe. Si l’on essaie d’analyser lucidement leur impact réel sur le conflit à Gaza, je dirais : très peu, voire aucun. Si vous me demandez quels ont été leurs véritables effets — elles ont engendré une vague d’islamophobie en Europe. Dans la plupart des pays, à cause de ces manifestations, et de manière injuste, les lois sur l’immigration ont été durcies, rendant la vie des réfugiés plus difficile. Aux Pays-Bas, pour la première fois, un fasciste a été choisi comme Premier ministre. Cela ne se serait probablement pas produit sans ces manifestations violentes qui ont effrayé la population. Injustement certes, mais elles ont fait naître une image négative de l’islam, pas du tout représentative de cette religion.

En fin de compte, si l’on considère les causes et les effets, ce que les gens descendus dans la rue ont réellement accompli, c’est rendre leur propre pays moins libéral et moins ouvert d’esprit. Ils ont compliqué leur vie, celle de leurs pairs, et peut-être celle des personnes qui veulent immigrer dans le pays. Pourtant, ils se sont sentis extrêmement vertueux et actifs sur le moment. Vous savez, concernant les manifestants de l’Université de Columbia, dans deux ans, lorsqu’on regardera les choses avec du recul historique, on pourra se demander quel a été le véritable impact de leurs actions. Ont-elles contribué à faire élire Trump ? Et si c’est le cas, la prochaine élection sera peut-être la dernière, car un nouveau mandat de Trump pourrait mettre un terme au régime démocratique.

Ce n’est pas un simple conflit israélo-palestinien. C’est fondamentalement un affrontement entre des groupes messianiques religieux et les gens normaux. Les modérés des deux camps en sont les otages.

Il existe un fossé entre le sentiment narcissique d’être dans notre bon droit et notre capacité à prendre du recul de manière réfléchie. Aujourd’hui, quand j’observe les gens, qu’il s’agisse de moi scandant « Libérez-les maintenant ! » lors d’une manifestation ou d’étudiants de Columbia criant « De la rivière à la mer ! », cela ressemble parfois bigrement à une réaction infantile face à la réalité. Lorsque je scande « Libérez-les maintenant ! », j’imagine aussi un père promettant une glace à son enfant, puis arrivant chez le glacier pour constater qu’il est fermé. L’enfant se met alors à piquer une crise et à hurler par terre : « Tu avais promis ! Je veux ma glace ! Tu avais promis ! ». La question est de savoir dans quelle mesure je me lamente, dans quelle mesure je change et dans quelle mesure je suis simplement en train de faire un caprice. Je ne nie rien, mais je dis que la seule façon honnête de faire face à la situation est de l’aborder dans toute sa complexité.

S’il ne faut pas s’enfoncer dans un déni infantile de la réalité, trouvez-vous qu’il y ait des raisons de rester optimiste dans la situation actuelle ?

Je suis optimiste d’abord par héritage génétique, mes parents l’étant restés malgré la Shoah. Mais aussi par stratégie, car je pense que c’est la meilleure approche. Pourtant, en tant qu’optimiste, j’admets que c’est actuellement la pire période de ma vie.

Né en 1967, j’ai vécu la guerre de 1973. Jamais auparavant je n’avais craint qu’un pays ennemi détruise Israël. Cela ne m’avait même pas semblé envisageable. Et même après la tragédie impensable du 7 octobre, je n’ai pas senti Israël réellement menacé. Non, la grande menace à mes yeux— parce que je connais l’histoire — vient de nous-mêmes. À un moment, un mouvement juif fondamentaliste radical tentera de prendre le contrôle du pays.

Poussés par une sorte de mégalomanie religieuse, ces extrémistes se considèrent comme des êtres supérieurs… Autrefois, dans l’Empire romain, ils se targuaient de ne pas avoir besoin de Rome. De nos jours, ils se croient au-dessus des États-Unis ou de l’Europe. Ils s’érigent en parangons de vertu. Historiquement, nous avons eu deux Temples. Mais l’idée d’un État juif n’a jamais perduré un siècle entier. Toujours un peu moins. Nous en sommes à la 76e année, donc si le schéma se répète, il ne nous reste qu’environ 15 à 20 ans. Car l’histoire montre que le même cycle se reproduit toujours. C’est un conflit intérieur opposant d’un côté les Juifs religieux et nationalistes ultra-orthodoxes et de l’autre les laïcs. Ces ultra-orthodoxes sont capables d’entraîner le pays dans le néant, de le ruiner. Cela s’est produit avec le premier Temple, puis le second. Et si l’on en croit des colons comme Ben Gvir et Smotrich, cela se reproduira. Il n’y a aucune différence entre Sinwar, Ben Gvir et les évangélistes, car ils partagent tous la même vision. Ils croient en une sorte d’Apocalypse, après laquelle ils l’emporteront. Ils l’appellent donc de leurs vœux. Ils la désirent, car leur rêve est un monde radicalement différent, sans bonté ni compassion. Un monde où Dieu désignerait les bons et les mauvais, aidant les premiers et prenant en pitié les seconds. Pour eux, notre réalité actuelle est inacceptable. Et s’il faut que le monde brûle pour qu’ils atteignent leur idéal, alors qu’il brûle ! Je dis donc que ce n’est pas un simple conflit israélo-palestinien. C’est fondamentalement un affrontement entre des groupes messianiques religieux et les gens normaux. Les modérés des deux camps en sont les otages.

L’idée d’Itamar Ben Gvir, ministre israélien d’extrême droite de la Sécurité nationale, de vouloir établir des villages juifs dans la bande de Gaza est perçue par environ 90% de la population israélienne comme totalement ridicule, immorale, problématique et destructrice. De même, bien que plus de 80% des Israéliens estiment que Netanyahu devrait démissionner, ce dernier reste Premier ministre. Nous sommes donc en présence d’une coalition de fait entre Netanyahu et Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, les deux hommes sachant pertinemment que la fin de la guerre mettra un terme à leur carrière politique. Et pour satisfaire les ambitions personnelles de ces deux hommes, ce sont les civils palestiniens de Gaza, les populations du nord d’Israël évacuées à cause des tirs de roquettes, et l’ensemble des citoyens israéliens confrontés aux missiles et à l’effondrement économique, qui payent le prix fort. Ce conflit n’oppose pas vraiment Israël au Hamas dans son ensemble, mais deux individus : Netanyahu et Sinwar. Dans ces moments on peut donc légitimement remettre en cause l’efficacité de la démocratie israélienne censée représenter la volonté populaire.


Propos recueillis par Emmy Barouh

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