# 87 / Edito

Même si les résultats des dernières élections israéliennes avaient dans leurs grandes lignes été anticipés, ils provoquent un effet de sidération : le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays devrait voir le jour, avec en son sein un homme – Itamar Ben-Gvir, le chef du parti Otzma Yehudit [Force juive] dont Netanyahou a fait son principal allié – qui n’a certainement pas pleuré le jour de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Comme l’écrit Bruno Karsenti dans son article : « La pente est prise : les forces progressistes, qui se sont révélées incapables de s’allier et de converger, et dont le déficit sur le terrain social a fait le lit depuis longtemps des partis religieux, sont aujourd’hui défaites au profit d’une figure de la réaction dont la radicalité affichée justifie toutes les craintes. » Une de ces craintes : la perspective d’un processus qui touche à la redéfinition même du sionisme. En Israël, on entend désormais un slogan, auquel on était davantage accoutumé dans les vieilles nations européennes : « On est chez nous ». Mais qui est ce « on » dans le cas d’Israël ? Le projet sioniste originaire paraît bel et bien dévoyé – en tout cas vu d’Europe et depuis la diaspora – si l’on entend dans cette formule l’expression d’un nationalisme identitaire qui entend fermer et replier le pays sur une forme d’État que ne reconnaitrait pas Ben Gourion. Que peut bien vouloir dire « être chez soi » dans un tel État, se demande Bruno Karsenti, rappelant qu’une certaine idée de l’ouverture est structurelle à l’idée qui préside à la création d’Israël et à sa raison d’être. Ce faisant, il nous montre que c’est aussi à une réflexion renouvelée sur la bipolarité Israël-diaspora que nous engagent ces récentes élections.

On est plusieurs fois revenu dans K. sur la mémoire spécifique à l’Allemagne du nazisme et de la Shoah : le travail actif du pays mais aussi son ambivalence ; sa manière d’osciller entre la reconnaissance de l’ampleur du crime commis et la tentation du refoulement. Cette semaine nous publions la première partie d’une enquête de l’avocat et écrivain Zachary Simon : il revient sur l’histoire de la judiciarisation des criminels nazis, pointe la succession des manquements à la justice et s’interroge : insuffisance de l’arsenal judiciaire ou indifférence politique ?

Enfin, nous sommes heureux de publier la nouvelle d’une jeune auteure danoise, Shosha Raymond, déjà reconnue dans son pays, et traduite pour la première fois en français. Deux pigeons est une plongée dans l’ambiance d’une famille juive du Danemark où alternent les voix d’un jeune garçon de douze ans, de son père en burn-out, et de sa mère sur le point de demander à Google comment expliquer à son fils que son père fait une dépression…

L’arrivée impromptue de la famille Netanyahou un jour de l’hiver 1959 sous le toit de la famille de Ruben Blum fait vaciller la vie du jeune professeur d’histoire dans une université de province de l’Etat de New York. Mais comment comprendre cet événement explosif que le romancier américain Joshua Cohen met en scène sans nous en livrer la clé ?

L’examen autocritique de l’ère nazie fait partie de la culture politique de l’Allemagne d’aujourd’hui. C’est cependant sur l’histoire d’une autre « culture » que l’avocat Zachary Simon revient dans son récit dont nous publions cette semaine la seconde partie : une longue culture judiciaire de l’acquittement des criminels nazis, laquelle aura commencé à se fissurer au moment les criminels poursuivis et jugés sont devenu des paisibles nonagénaires…

« – Il arrive qu’on traîne des fardeaux plus lourds qu’on ne veut le croire, déclare Moishe. Je lève les yeux sur lui. Je le suis à l’intérieur de la synagogue. Et m’installe sur l’un des bancs en bois. Mes jambes me paraissent lourdes comme du plomb et mes bras se balancent bizarrement lorsque je me relève. Il faut faire ça de temps en temps. Se lever, chanter, prier, lire et se rassoir. La synagogue est dorée et agréable. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.