« L’artisanat des faux papiers, comme la prise de vue photographique, incite à s’interroger sur ce qu’est l’authenticité » avertit Elisabeth de Fontenay dans son portrait d’Adolfo Kaminsky, ce faussaire au service de la survie et de la liberté mais aussi photographe qui, plongé dans une existence clandestine, n’a jamais montré son œuvre. Révélée il y a peu notamment grâce à une exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme et au livre Changer la donne[1] en 2019, visible en ce moment à la Mairie de Paris Centre, cette oeuvre témoigne d’une vie où l’engagement politique est indissociable d’un œil qui regarde le monde avec attention. « Tu photographies n’importe quoi » lui dit un jour son frère. C’est que l’homme d’action est aussi un contemplatif, le résistant un flâneur minutieux qui observe la nuit obscurcir Paris, l’eau sur les pavés, les regards que croise son objectif, les enfants qui jouent dans les rues…
Le deuxième texte que publie K. cette semaine revient sur les épisodes de départs des juifs des pays arabes, dans le contexte de l’exposition « Juifs d’Orient » qui se tient en ce moment à l’Institut du Monde Arabe. Si celle-ci entend porter « un regard inédit sur l’histoire plurimillénaire des communautés juives dans le monde arabe » jusqu’à leur départ, elle a provoqué une tribune dans laquelle des intellectuels arabes l’ont condamnée parce qu’elle donnerait « des signes explicites de normalisation, [et serait une] tentative de présenter Israël et son régime de colonialisme de peuplement et d’apartheid comme un État normal. » L’ensemble de la tribune, ses arguments, mériteraient un commentaire attentif. On y reviendra. Notons avec Denis Charbit[2] qu’elle eut le mérite d’inciter Elias Khoury, l’un de ses premiers signataires, à aborder de front la question sensible du départ des Juifs d’Orient et à reconnaître la part de responsabilité du monde arabe dans cet événement. Car là est un des nœuds de la controverse : la difficulté de s’accorder sur un récit commun concernant les circonstances et raisons du départ de 800.000 juifs qui, en à peine deux décennies, ont quitté une terre où ils ont vécu durant des siècles.
Le texte de Denis Charbit soulève notamment la question de la cohabitation des Juifs et des Musulmans, de son histoire et de son avenir. Elle est aussi soulevée, mais dans une autre perspective, par l’entretien qu’Anoush Ganjipour avait accordé à K. au moment de la parution de son livre L’ambivalence politique de l’islam (Seuil). Pour le philosophe spécialiste de la pensée islamique, il faut « rappeler aux musulmans et aux juifs que leurs sorts sont indissociables ici en Europe et leur rappeler leur fraternité culturelle qu’ils ont tendances à oublier. L’optimisme n’est pas mon fort, mais plus j’y réfléchis plus je suis convaincu [qu’une] nouvelle subjectivité diasporique juive et musulmane aurait même un rôle à jouer pour arriver à une nouvelle entente et une paix véritable entre juifs et musulmans en Orient. »