Il y a quelques semaines, K. vous proposait un article du chercheur Islandais Vilhjálmur Örn Vilhjálmsson. Il se demandait pourquoi l’histoire de l’Islande, « un pays sans juif », était si riche en matière d’antisémitisme, au point de renâcler à organiser l’enseignement de l’histoire de la Shoah dans ses écoles. L’île des confins de l’Europe s’y était pourtant engagée à de nombreuses reprises auprès d’instances internationales. Retour vers le nord cette semaine, mais cette fois en Norvège où, en 1814, sa constitution, pourtant parmi les plus libérales d’Europe, contenait ce paragraphe : « Les Juifs sont toujours exclus du royaume. » L’article de la journaliste norvégienne Vibeke Knoop Rachline revient sur la genèse de ce « paragraphe de la honte » – dont on apprend qu’il fut inspiré par certains penseurs des Lumières, et non des moindres. Elle évoque également le retour du paragraphe honteux en 1942 et s’interroge sur les traces qu’il laisse dans la société norvégienne aujourd’hui. Comme en Islande, les juifs forment en Norvège une toute petite communauté. Pourtant, même quasi absents sur le sol national, on réalise combien l’image qu’on s’en fait quelquefois affole les consciences.
Les deux autres articles que K. propose cette semaine sont consacrés au patrimoine juif français et européen. D’abord, à l’entretien et à la conservation des traces de la présence juive en Europe ; dans un contexte où la question du patrimoine qu’ont laissé les populations juives se pose, à des degrés divers, partout sur le continent. La vente du manuscrit unique d’un livre de prières juives vieux de 700 ans a fait renaître le débat. Comme le rappelle la chercheuse en études juives Noëmie Duhaut, le Mahzor dit « Luzzatto » – du nom du savant italien Samuel David Luzzatto, un de ses précédents propriétaires – a voyagé à travers les siècles et les communautés juives en Europe depuis la fin du XIIIe siècle avant de devenir, en 1870, un des joyaux de la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle. Contrainte de devoir le vendre, le manuscrit a été acquis aux enchères, le mois dernier à New York, par un collectionneur privé et anonyme pour plus de huit millions d’euros. Noëmie Duhaut revient sur son histoire et pose la question : La vente d’un manuscrit médiéval sauvera-t-elle les études juives en France ?
Il y a le patrimoine qui quitte la France et l’Europe et celui que l’on redécouvre et met sous les projecteurs. C’est toute la démarche du musée d’art et d’histoire du Judaïsme qui a présenté de juin à octobre dernier une exposition sur les artistes juifs de l’École de Paris. Un retour bienvenu sur cette école à l’occasion de la récente édition en français de l’ouvrage de Hersh Fenster, Nos artistes martyrs (traduit du yiddish par Nadia Déhan-Rotschild et Evelyne Grumberg, mahJ-Hazan). Comme le rappelle pour K. Paul Salmona, le directeur du mahJ, « [cette] récente traduction française de Undzere farpaynikte kinstler répare une triple injustice : l’oubli dans lequel est tombée une génération d’artistes déportés ou morts pendant l’Occupation, la méconnaissance de la richesse culturelle de l’émigration yiddishophone dans le Paris de l’entre-deux-guerres et l’anonymat frappant leur mémorialiste, Hersh Fenster (1892-1964), journaliste et écrivain originaire de Galicie, installé à Paris en 1922. » Être contraint de se séparer d’une pièce majeure de l’histoire juive, qui éclaire en creux le destin de l’Europe, et, au même moment, redécouvrir le rôle de juifs dans un épisode majeur de l’histoire artistique de la France du XXe siècle, tels sont les derniers épisodes de ce difficile rapport aux juifs et au patrimoine juif qu’entretiennent les nations européennes quand elles se retournent sur elles-mêmes.