#28 / Edito

Se frotter au phénomène Zemmour n’est pas chose aisée. Un juif devenu leader d’extrême-droite qui suscite plus d’adhésion que toute autre figure de cette frange antisémite de l’espace politique, voilà qui constitue un phénomène inédit. Il est à multiples facettes: celle de la dérive d’une fraction des réactions juives à vingt ans d’antisémitisme virulent qui n’a que marginalement l’extrême-droite pour foyer, mais qui est plutôt imputable à des diagonales tracées entre plusieurs points de frustrations dans la société française ; celle de l’attraction exercée par un réactionnaire qui, parce que juif, est perçu comme exempt de tout le passif véhiculé par l’extrême droite classique, et peut d’autant mieux attirer vers soi une portion de l’électorat républicain qu’il se présente comme un modèle d’intégration ; celle, enfin, de la restauration d’un expédient d’identité nationale sur le vide laissé béant par la peur de passer au crible de la raison politique les luttes identitaires d’aujourd’hui, dont les juifs sont les premiers à faire les frais. Zemmour, c’est tout cela. C’est pourquoi, si difficile soit la tâche, K. se doit d’en traiter. La semaine dernière nous avons fait le choix d’essayer de comprendre ce qui se joue à travers son audience. Entre les deux attitudes principales qu’il provoque actuellement, celle de la déploration sans fin (et sans beaucoup de risques) d’une réalité effectivement déplorable, et celle de la justification contournée d’un discours xénophobe qui n’est justifiable en rien, nous avons tracé une autre ligne, celle du diagnostic sur la situation dont il est le symptôme. Nous redoutions ce faisant de nous éloigner quelque peu des préoccupations immédiates des lecteurs. Or il en a été tout autrement, si l’on en croit le nombre inédit de consultations de notre site au cours de la semaine qui vient de s’écouler. Comprendre pour juger correctement est à l’évidence un besoin très largement ressenti. C’est pourquoi nous maintenons pour la seconde semaine ce texte à la une de K, en rappelant qu’il est la première étape d’une réflexion qui se poursuivra dans plusieurs directions.

Les deux textes inédits que proposent par ailleurs la revue cette semaine se situent chacun à deux points diamétralement opposés de l’Europe : l’est et l’Ukraine, d’une part ; le grand nord et l’Islande de l’autre. La distance géographique et historique est grande entre ces deux pays, mais un point commun apparaît : quelque chose n’y tourne pas rond concernant la mémoire de la Shoah qui y est entretenu, ou pas, ou en tout cas difficilement…

La date d’aujourd’hui marque le quatre-vingtième anniversaire du massacre de Babi Yar commis les 29 et 30 septembre 1941 par les nazis. Près de 34 000 Juifs de Kiev furent alors exécutés dans un ravin situé à l’ouest de la capitale ukrainienne. Lisa Vapné nous raconte dans son enquête sur Babi Yar l’histoire chaotique des monuments et commémorations sur un site qui symbolise par excellence l’extermination des Juifs de cette région dans la mémoire collective soviétique et postsoviétique. Comme elle l’écrit : « Depuis 1944, des Juifs ont manifesté le souhait de se rassembler près du lieu à Babi Yar (…) C’est en silence et dans le secret qu’ils commémoraient leurs morts. L’État soviétique, jusqu’à son effondrement en 1991, s’est opposé à ce que le site soit reconnu comme un centre de mise à mort des Juifs. A partir 1991, les chefs d’État ukrainiens se sont rendus aux grandes commémorations officielles au mois de septembre, mais ont montré peu de volonté politique pour mémorialiser ce lieu avec de l’argent public. La volonté de donner un centre mémoriel et muséal à Babi Yar n’a été qu’une suite ininterrompue d’échecs et dessine une histoire accablante – dont on peine à voir le dénouement… »

De son côté, le chercheur Islandais Vilhjálmur Örn Vilhjálmsson, auteur notamment d’une étude sur l’antisémitisme dans un pays sans juifs, se demande pourquoi les autorités de son pays natal ont promis d’initier l’enseignement de la Shoah en 2000 et 2002 pour ensuite ne rien faire. « Plus je pense aux sympathies nazies des Islandais, à leurs sentiments antisémites dans un pays où il n’y a pratiquement pas de Juifs, plus je suis reconnaissant à la nature d’avoir fait de l’Islande une île et d’avoir éloigné ses habitants de leurs idoles fascistes sur le continent européen. » finit-il par lâcher, dans une chronique où la colère est palpable.

Que recouvre le phénomène Zemmour ? La popularité croissante du tribun nationaliste mérite d’être remise à sa vraie place : celle du conflit des identités qu’on a laissé enfler depuis au moins deux décennies, où aucune des positions en lutte n’a la légitimité à laquelle elle prétend.

La date de publication de cet article marque le quatre-vingtième anniversaire du massacre de Babi Yar commis les 29 et 30 septembre 1941 par les nazis. Près de 34 000 Juifs de Kiev ont été exécutés dans un ravin situé à l’ouest de la capitale ukrainienne. La question de la mémorialisation du lieu, posée dès la fin de la guerre, n’a toujours pas trouvé à ce jour de réponse claire. Lisa Vapné nous donne un aperçu de la longue histoire conflictuelle, foisonnante de péripéties, d’une mémoire qu’il reste encore à édifier sur le lieu même du crime.

La communauté juive d’Islande est à la fois jeune et très petite. Et pourtant, l’île située aux confins de l’Europe a une histoire riche en matière d’antisémitisme. Pour en savoir davantage sur cet apparent paradoxe, K. publie ici un texte troublant du chercheur Vilhjálmur Örn Vilhjálmsson. Il y raconte l’Islande, ses élites aux ascendances douteuses, ses relents antisémites… et ses quelques juifs.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.