244 / Edito

L’actualité récente a été marquée – comme nous l’avons déjà évoqué – par de virulents débats au sujet de la liberté académique. Notamment, l’écho entre la désinvitation d’Eva Illouz de l’Université de Rotterdam et l’annulation du colloque « La Palestine et l’Europe » au Collège de France a suscité de savantes discussions comparatistes, dont le défaut a souvent été un certain formalisme dans la conception de la liberté académique. C’est-à-dire que, pour se prémunir contre la menace des « pressions politiques » – pourtant inévitable dès lors qu’est actée la spécificité des sciences sociales -, on a cherché à se réfugier dans une indépendance évidée de son contenu. La question de l’assomption par l’université de sa liberté, et donc des normes qu’elle se donne et qu’elle a à faire respecter, a alors tendu à être reléguée à l’arrière-plan. Puisqu’il est dommage qu’il en soit ainsi, il nous a paru judicieux de donner à voir que c’est au contraire dans le débat sur ces normes, en tant qu’elles sont intriquées à des enjeux politiques, que la liberté académique s’éprouve. Cette semaine, nous publions donc la critique formulée par Eva Illouz à l’égard du dernier livre d’Omer Bartov : Genocide, the Holocaust, and Israel-Palestine: First Person History in Times of Crisis [Génocide, Shoah et Israël-Palestine : une histoire à la première personne en temps de crise, non traduit en français]. Le contentieux, ici, porte sur les limites que les normes académiques imposent à l’usage de la comparaison mémorielle.

Mi-octobre, la ministre de l’égalité des chances et de la famille du gouvernement Meloni, Eugenia Maria Roccella, lançait en Italie une polémique au sujet de la mémoire de la Shoah. Elle s’attaquait en effet aux voyages scolaires organisés à Auschwitz, supposés par elle alimenter une culture politique de gauche et diaboliser l’extrême droite. En écho aux débats suscités, nous avons reçu un texte de l’historienne de la diaspora juive Serena Di Nepi, qui revient sur le développement de la politique mémorielle italienne. Expliquant pourquoi elle n’a jamais elle-même participé à un de ces « Voyages de la Mémoire », elle retrace le tournant représenté par l’adoption de ce rite civique central, tout en soulignant qu’il n’est pas exempt d’ambiguïtés, en particulier en raison de la place de victime attribuée par ce genre de politique mémorielle aux juifs dans le collectif national.

Après le texte d’André Markowicz que nous avons publié la semaine dernière sur le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, nous avons reçu le témoignage d’un spectateur présent dans la salle. C’est, en somme, le récit personnel de quelqu’un qui s’est simplement retrouvé, un peu par hasard, à prendre part à un concert symphonique des plus inhabituels. Mais, au plaisir de lire une expérience bien narrée, s’ajoute une interrogation informée sur ce que l’Orchestre d’Israël avait choisi, ce soir-là, de programmer. Beethoven et Tchaïkovski, la crise des empires et le doute des artistes, c’est aussi cela qui était pour certains inaudible.

Pour l’historien Omer Bartov, la mémoire de la Shoah a éclipsé la Nakba et participe de la continuation de la catastrophe palestinienne : dans son dernier livre, il cherche alors à les replacer dans un même horizon historique et moral. Eva Illouz nous donne ici une lecture de cette entreprise qui interroge les œillères politiques de Bartov : jusqu’où comparaison est raison et ne dénature pas les objets qu’elle rapproche ?

Les propos de la ministre de l’égalité des chances du gouvernement Meloni remettant en cause les voyages scolaires à Auschwitz ont ravivé un débat ancien sur la mémoire de la Shoah dans l’espace public italien. Historienne de la diaspora juive, Serena Di Nepi raconte pourquoi elle n’a jamais participé à ces « Voyages de la Mémoire » pourtant devenus un rite civique central. Entre histoire familiale, transmission intime et cérémonial institutionnel, elle explore le décalage profond entre mémoire juive et mémoire nationale, et la manière dont le judaïsme continue de se dire en Italie hors des cadres commémoratifs officiels.

Après le texte d’André Markowicz que nous avons publié la semaine dernière sur le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, nous avons reçu ce témoignage d’un spectateur présent dans la salle. Il revient, à hauteur de siège, de musique et d’émotion, sur cette soirée du 6 novembre 2025 : drones au-dessus du bâtiment, interruptions, fumigènes, hymne israélien en bis. À travers Beethoven et Tchaïkovski, ce récit interroge ce que peut un concert quand l’actualité s’invite au cœur même de l’écoute.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.