# 241 / Edito

Trente ans après son assassinat, que reste-t-il à commémorer de ce que représentait Yitzhak Rabin ? Le 4 novembre, les Israéliens et leurs représentants auront à dire quelque chose sur ce qui s’est passé ce jour-là, lorsque le militant ultranationaliste religieux Yigal Amir tua celui qui venait de se prononcer en faveur du processus de paix. Que pourront en dire les admirateurs de l’assassin, dont certains siègent au gouvernement, et de manière générale le camp des opposants au chemin ouvert par Rabin ? Et que trouveront à répondre ceux qui n’ont pas oublié l’espoir, serait-il avorté, que représentait Rabin ? Cette semaine, avant de revenir dans le numéro de la semaine prochaine sur les conséquences politiques de l’assassinat, nous publions les bonnes feuilles du dernier livre de Denis Charbit : Yitzhak Rabin, la paix assassinée ? Une mémoire fragmentée (Éditions Lattès). S’y trouvent rappelés le contexte de l’époque et, surtout, l’impossible et paradoxale commémoration du 4 novembre qui a lieu depuis lors. Car, dans un pays profondément clivé, ce sont les adversaires politiques de Rabin qui énoncent clairement leur jeu de dupes : « Nous avons le devoir moral de le commémorer et le devoir politique de l’oublier ».

Pour la tradition exilique, l’oubli est une trahison. Or, la variante réactionnaire du sionisme qui est au pouvoir en Israël trahit bien souvent, rendant méconnaissable ce dont elle prétend se revendiquer, à commencer par l’esprit du sionisme. L’historien allemand Michael Brenner restitue dans son texte ce qui, de la pensée des pères fondateurs de l’État d’Israël, a été enseveli. Reparcourant les écrits de Theodor Herzl, David Ben Gourion et même Vladimir Ze’ev Jabotinsky, il souligne la manière dont chacun a marqué son attachement aux idéaux d’égalité civique et de coexistence pacifique entre les peuples.

En septembre dernier, paraissait chez Grasset La part sauvage de Marc Weitzmann, livre-hommage dédié à l’écrivain américain Philip Roth. La couverture médiatique qui a entouré cette publication est venue donner du grain à moudre à la thèse d’un changement d’époque défendue à contrecœur par Weitzmann : de subversif, Roth serait devenu suranné. Alexandre Journo nous propose une perspective en décalage, faisant la part belle à l’impossible rapport de Roth à sa judéité et interrogeant ce que l’ironie mordante du « rebelle inutile en temps de paix » peut encore avoir d’actuel.

Il y a exactement trente ans, le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin était tué par un juif religieux extrémiste opposé au processus de paix. Dans Yitzhak Rabin, la paix assassinée ? (Editions Lattes), Denis Charbit revient sur l’onde de choc de l’événement, l’héritage ambigüe et la mémoire fracturée du Premier ministre israélien dans son pays. Car son nom divise encore, malgré les commémorations qui sont devenues « un temps où l’on ment, un jeu de rôles, où par respect des formes, les adversaires de Rabin qui sont au pouvoir depuis près de trente ans ont ‘le devoir moral de le commémorer et le devoir politique de l’oublier’ » écrit Charbit dont nous publions deux extraits de son livre à paraître cette semaine.

« Trahison », c’est le mot approprié pour décrire ce que fait la coalition gouvernementale au pouvoir en Israël à l’esprit du sionisme. Alors que l’on espère que la fin de la guerre à Gaza sera l’occasion pour Israël de sortir de cette mauvaise pente, l’historien allemand du sionisme Michael Brenner rappelle ici ce qu’avaient en tête les pères fondateurs, toutes tendances politiques confondues, lorsqu’ils envisageaient la création d’un État juif démocratique.

Pourquoi Philip Roth faisait-il scandale ? À l’occasion de la parution du livre-hommage de Marc Weitzmann La part sauvage, Alexandre Journo interroge la subversivité de l’écrivain américain à l’aune de son impossible rapport à une judéité en voie d’assimilation. Que faire alors, aujourd’hui, de l’ironie flegmatique de ce « rebelle inutile d’un temps de paix » ?

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.